Effectifs infirmiers : ratios ou rationnement ?

Effectifs infirmiers : ratios ou rationnement ?

25 mars 2019

La chambre relève que les ratios normés ne sont pas respectés dans certains services. Ce faisant les services concernés font peser un risque sur la sécurité des soins et engagent la responsabilité de l’établissement en cas d’accident médical.

La cham­bre régio­nale des comp­tes (CRC) d’Ile-de-France a relevé que "les ratios normés" de per­son­nel infir­mier à l’AP-HP (Assistance publi­que-hôpi­taux de Paris) n’étaient pas res­pec­tés dans cer­tains ser­vi­ces (rap­port publié le 18.03.19).

Le Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI CFE-CGC alerte régu­liè­re­ment sur le dou­ble­ment de la charge de tra­vail infir­mier depuis 10 ans. Situation confir­mée par le cons­tat de la CRC selon lequel pour les 20.400 infir­miers de l’AP-HP, "le tra­vail s’est den­si­fié, au regard de la crois­sance et de la modi­fi­ca­tion de l’acti­vité, carac­té­ri­sée par un virage ambu­la­toire, une aug­men­ta­tion de la sévé­rité des séjours et de l’âge moyen des patients en hos­pi­ta­li­sa­tion com­plète et une contrac­tion de la durée moyenne de séjour."

A noter également que "malgré un effort de for­ma­tion quan­ti­ta­ti­ve­ment impor­tant, d’autres for­ma­tions essen­tiel­les à la sécu­rité des soins, qui doi­vent léga­le­ment être régu­liè­re­ment sui­vies, ne le sont qu’insuf­fi­sam­ment si bien qu’une majo­rité d’infir­miers ne se conforme pas aux obli­ga­tions de for­ma­tion." Le SNPI dénonce régu­liè­re­ment le sous-effec­tif qui empê­che les départs de for­ma­tion, ce qui empê­che les IDE de res­pec­ter l’obli­ga­tion de DPC Développement Professionnel Continu. Et ce alors que l’employeur est juge et partie de ses man­que­ments envers les IDE.

Quelques rap­pels au droit for­mu­lés par la CRC :
- Respecter les normes d’infir­miers au lit impo­sées par le code de la santé publi­que dans l’ensem­ble des ser­vi­ces concer­nés.
- Veiller au res­pect pour les infir­miers des for­ma­tions obli­ga­toi­res que sont la for­ma­tion à la sécu­rité incen­die et l’AFGSU à la fré­quence requise, en assu­rant le suivi de ces for­ma­tions et en for­mant au plus vite les infir­miers contre­ve­nant actuel­le­ment à la régle­men­ta­tion

Quelques recom­man­da­tions adres­sées par la cham­bre
- Poursuivre l’élaboration de stan­dards capa­ci­tai­res de ratios au lit de pré­sence infir­mière au-delà des seuls ser­vi­ces de méde­cine.
- Accroître le nombre de for­ma­tions label­li­sées DPC afin d’assu­rer l’obli­ga­tion de for­ma­tion trien­nale de tous les infir­miers.
- Renforcer au sein du centre de for­ma­tion et de déve­lop­pe­ment des com­pé­ten­ces la coor­di­na­tion entre les IFSI pour har­mo­ni­ser les condi­tions d’études et affer­mir le posi­tion­ne­ment des IFSI face aux uni­ver­si­tés

Selon la CRC "Les per­son­nels infir­miers font part d’un sen­ti­ment d’alour­dis­se­ment de la charge de tra­vail et de den­si­fi­ca­tion du temps de tra­vail, sen­ti­ment que les don­nées d’acti­vité per­met­tent d’objec­ti­ver."

"Le report d’une partie de l’acti­vité d’hos­pi­ta­li­sa­tion com­plète vers l’ambu­la­toire a pour consé­quence l’aug­men­ta­tion de la sévé­rité des cas trai­tés en hos­pi­ta­li­sa­tion com­plète : si les séjours de sévé­rité « une » dimi­nuent de 5 %, ceux de sévé­rité « deux » et « trois » aug­men­tent res­pec­ti­ve­ment de 16,5 % et 13,4 % sur la période, la hausse attei­gnant 46,1 % pour les séjours de sévé­rité « quatre ». "

" L’alour­dis­se­ment du poids moyen du cas traité tient également au vieillis­se­ment de la patien­tèle, marqué sur les sévé­rité trois et quatre, lequel accroît la pro­ba­bi­lité de comor­bi­di­tés et le temps néces­saire aux soins. En effet, les patients plus âgés appel­lent en moyenne non seu­le­ment des soins plus tech­ni­ques mais aussi, à patho­lo­gie équivalente, davan­tage de soins de nur­sing.

Ces patients deman­dent également plus de temps consa­cré à leur expli­quer les soins et à les ras­su­rer selon ce qu’indi­quent les équipes soi­gnan­tes. Les patients plus âgés pren­nent en outre davan­tage de trai­te­ments (anté­rieurs à l’hos­pi­ta­li­sa­tion), d’où une ges­tion plus déli­cate des effets médi­ca­men­teux. Les équipes soi­gnan­tes sou­li­gnent également la fré­quence accrue de situa­tions socia­les dégra­dées com­pli­quant la prise en charge, à patho­lo­gie équivalente"

"Le res­senti des per­son­nels infir­miers repose donc sur une réelle den­si­fi­ca­tion de leur tra­vail, lié à un fac­teur exo­gène, à savoir le vieillis­se­ment de la popu­la­tion, au déve­lop­pe­ment de l’ambu­la­toire pour les niveaux de sévé­rité les plus fai­bles et à l’orga­ni­sa­tion des soins pour les niveaux de sévé­rité plus élevés."

L’adé­qua­tion entre l’offre infir­mière et le besoin

L’évaluation de la charge de tra­vail infir­mière n’est pas réa­lisé à l’AP-HP, qui n’uti­lise pas les SIIPS qu’elle juge très lourds et très com­plexes à mettre en œuvre, pas plus que les ratios indi­ca­tifs déve­lop­pés par l’ANAP. Selon la CRC, "la fixa­tion des effec­tifs infir­miers néces­sai­res au fonc­tion­ne­ment des unités de soins (hors effec­tifs normés) s’effec­tue aujourd’hui sur le fon­de­ment du taux d’occu­pa­tion des lits, du niveau d’acti­vité des ser­vi­ces et de la lour­deur des dis­ci­pli­nes".

Pour le SNPI, il y a un his­to­ri­que qui tient compte des luttes socia­les d’une part, du poids poli­ti­que de cer­tains man­da­rins d’autre part. La réforme en cours à l’APHP "nou­velle adap­ta­tion capa­ci­taire" consiste uni­que­ment à réduire les effec­tifs pour réa­li­ser des économies bud­gé­tai­res, sans tenir compte des besoins de santé réels des patients hos­pi­ta­li­sés. La direc­tion passe des ratios au ration­ne­ment

Ainsi, en 2018, l’APHP a sup­primé 600 postes dans le cadre de son plan d’économies. A titre d’exem­ple, au CHU St Antoine, 22 postes sup­pri­més en octo­bre (17 AS et 5 IDE) et 62 autres postes d’aides soi­gnants dis­pa­rais­sent en décem­bre avec la nou­velle "adap­ta­tion capa­ci­taire". Lors des élections de décem­bre 2014, l’APHP comp­tait 75.746 agents. 4 ans plus tard, il n’en reste plus que 72.268 pour les élections de décem­bre 2018, donc 3500 postes en moins.

Les ser­vi­ces normés : des ratios régle­men­tai­res pas tou­jours res­pec­tés

Afin de garan­tir la sécu­rité des soins autant que l’égalité de trai­te­ment des patients, cer­tains ser­vi­ces cri­ti­ques sont soumis par le code de la santé publi­que à des ratios normés d’infir­miers au lit, de manière à ne pas dépen­dre de l’appré­cia­tion par chaque hôpi­tal du niveau de pré­sence consi­déré comme normal et suf­fi­sant.

La cham­bre relève que les ratios normés ne sont pas res­pec­tés dans cer­tains ser­vi­ces. Ce fai­sant les ser­vi­ces concer­nés font peser un risque sur la sécu­rité des soins et enga­gent la res­pon­sa­bi­lité de l’établissement en cas d’acci­dent médi­cal.

Le nombre de patients par infir­mière impacte la qua­lité et la sécu­rité des soins, mais les exem­ples étrangers mon­trent que c’est aussi ren­ta­ble économiquement ! Aussi le SNPI se demande pour­quoi la France est-elle en train de sabor­der les établissements hos­pi­ta­liers ? Voir https://www.syn­di­cat-infir­mier.com/Ameliorer-les-ratios-infir-miere-patients-est-aussi-ren­ta­ble-3087.html

La concor­dance des temps médi­caux et para­mé­di­caux : une mise en œuvre labo­rieuse

La concor­dance des temps vise à syn­chro­ni­ser les temps de chaque inter­ve­nant, médi­cal ou para­mé­di­cal auprès du malade afin de limi­ter les pertes de temps et donc d’opti­mi­ser l’uti­li­sa­tion des équipements médi­caux, en par­ti­cu­lier les blocs opé­ra­toi­res.

Selon la CRC, entre 2015 et 2017 le délai entre l’arri­vée de l’IBODE et l’entrée du patient s’est réduit de sept minu­tes, celui entre le temps d’ins­tal­la­tion et l’inci­sion du patient de 11 minu­tes et le retard du début de l’opé­ra­tion par rap­port au plan­ning de trois minu­tes. En 2017 45 % des opé­ra­tions com­men­çaient à l’heure ou en avance, et 39 % accu­saient un retard infé­rieur à 15 minu­tes. Toutefois, près des trois quarts des retards cons­ta­tés sont impu­ta­bles à une coor­di­na­tion insuf­fi­sante des plan­nings des dif­fé­rents inter­ve­nants, ce qui illus­tre le poten­tiel d’opti­mi­sa­tion que repré­sente la démar­che de concor­dance des temps.

"Les hôpi­taux sou­li­gnent qu’à côté de spé­cia­li­tés en ten­sion exis­tent aussi des ser­vi­ces en ten­sion, qui éprouvent des dif­fi­cultés à atti­rer, au pre­mier rang des­quels la psy­chia­trie. Est à ce titre déplo­rée la dis­pa­ri­tion de la spé­cia­lité d’infir­mier en soins men­taux, inter­ve­nue lors de la pré­cé­dente réforme des études infir­miè­res en 1992. En revan­che, la faible attrac­ti­vité tra­di­tion­nelle de la géria­trie n’est plus aussi pré­gnante, grâce à l’image plus tech­ni­que et moins « hos­pi­cielle » de cette spé­cia­lité. Elle attire dès lors des pro­fils dif­fé­rents d’infir­miers qui sou­hai­tent passer davan­tage de temps avec les patients."

Selon la CRC, Le taux de rota­tion des per­son­nels infir­miers à l’AP-HP dépasse très lar­ge­ment la moyenne fran­çaise de 10 % : il est entre 12 et 16% selon les années. Le SNPI attire l’atten­tion sur le fait que ce chif­fre concerne les IDE qui quit­tent l’APHP, mais ne tient pas compte des chan­ge­ments de ser­vice entre les 39 hôpi­taux de l’APHP.

Plus de détails :
- Infirmiers sur­char­gés, patients en danger http://www.syn­di­cat-infir­mier.com/Infirmiers-sur­char­ges-patients-en.html
- Lien entre mor­ta­lité et charge de tra­vail infir­mière http://www.syn­di­cat-infir­mier.com/Lien-entre-mor­ta­lite-et-charge-de-tra­vail-infir­miere.html
- Déranger une infir­mière aug­mente de plus de 12 % les ris­ques d’erreur http://www.syn­di­cat-infir­mier.com/Deranger-une-infir­miere-aug­mente.html
- Les patients paient le prix du manque de per­son­nel et des sur­char­ges de tra­vail http://www.syn­di­cat-infir­mier.com/Les-patients-paient-le-prix-du
- L’épuisement des infir­miers aug­men­tent les mala­dies noso­co­mia­les http://www.syn­di­cat-infir­mier.com/L-epui­se­ment-des-infir­miers.html
- Danger : nos condi­tions de tra­vail aug­men­tent le risque d’erreurs de soins http://www.syn­di­cat-infir­mier.com/Nos-condi­tions-de-tra­vail.html
- Majoration du risque d’erreurs de soins avec la pénu­­rie
http://www.syn­­di­­cat-infir­­mier.com/Majoration-du-risque-d-erreurs-de.html
- Les erreurs de médi­ca­tion http://www.syn­­di­­cat-infir­­mier.com/Les-erreurs-de-medi­­ca­­tion-une,

Le rap­port est en télé­char­ge­ment en fin d’arti­cle et sur : https://www.ccomp­tes.fr/system/files/2019-03/IDR2019-05.pdf

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