Infirmières et revaccination antigrippale (novembre 2007)
10 novembre 2007
Les parlementaires ont adopté un article additionnel au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) autorisant les infirmiers à effectuer certaines vaccinations, sans prescription médicale.
Les sénateurs ont validé, sans amendement ni discussion en séance, cette disposition introduite lors de l’examen du PLFSS en première lecture à l’Assemblée nationale.
Selon le texte adopté,"l’infirmière ou l’infirmier peut effectuer certaines vaccinations, sans prescription médicale, dont la liste, les modalités et les conditions de réalisation seront fixées par décret en Conseil d’Etat après avis du Haut conseil de la santé publique (HCSP)".
A l’Assemblée nationale le 26 octobre, la ministre de la santé, Roselyne Bachelot, avait expliqué que cette disposition serait notamment appliquée pour la vaccination grippale, ce qui constituerait "une mesure d’économie pour l’assurance maladie" et allait "dans le sens d’une valorisation de la filière de la profession infirmière".
Interrogée sur la prise en compte des contre-indications et des allergies des patients, la ministre avait indiqué que la première injection serait prescrite par le médecin afin de déterminer si l’état de santé du patient est compatible avec la vaccination.
Ceci n’a pu être possible que grace à une mobilisation des infirmières libérales, comme un témoigne la lettre adressée au Président de l’Académie Nationale de Médecine par la FNI (Fédération Nationale des Infirmières libérales), suite à l’avis restrictif émis concernant la revaccination antigrippale :
Monsieur le Président,
Nous avons appris que l’Académie Nationale de Médecine, dont vous assurez la
Présidence, a émis un avis extrêmement restrictif concernant « la possibilité pour
l’infirmier de réaliser des injections de vaccins anti-grippe sans prescription médicale
préalable, à l’exception des primo-vaccinations ».
Cet avis, en réponse à Madame la Ministre de la Santé, exclut cette possibilité pour
toute la population concernée en priorité par cette vaccination, c’est-à-dire les personnes
âgées de 65 ans en ALD et plus et les personnes de moins de 65 ans en ALD, personnes
les plus fragiles exposées aux complications de la grippe et aux risques de déstabilisation de
la maladie chronique.
Cet avis, par les exclusions que vous y avez insérées, ne peut cacher le refus de
l’Académie Nationale de Médecine de permettre cette évolution, alors que les infirmiers sont
reconnus comme compétents pour réaliser ce geste et que les indicateurs de santé publique
indiquent un écart de 12 points sur le pourcentage de la couverture vaccinale souhaitée.
Cette décision, prise dans un souci de santé publique et de protection des personnes dans le cadre de vos missions, appelle pour nous plusieurs commentaires :
Nous regrettons vivement que cet avis n’ait pas été rendu public, dans la mesure où
l’Académie n’a jamais, à notre connaissance, engagé jusqu’à maintenant d’échanges
formalisés avec la profession infirmière et ses représentants. Nous devons aujourd’hui
nous contenter de quelques explications embarrassées de nos interlocuteurs à
l’U.N.C.A.M. et au Ministère de la Santé. Nous craignons fort que cet avis, non
argumenté auprès des professionnels concernés, soit relayé auprès des infirmiers plus
comme un repli médical corporatiste que comme une réponse médicale à un réel problème de santé publique, alors que nous partageons avec les médecins cette vision
globale de l’état du patient.
Nous nous félicitons, par ailleurs, du souci que vous avez d’apporter une réelle qualité des soins à nos concitoyens. Nous attendons, en effet, que vous apportiez votre expertise médicale dans des dossiers qui pourraient quelquefois souffrir de choix comptables rapides, faute de perspectives soignantes et de représentations professionnelles légitimes pour y veiller. Ces patients fragiles, que nous suivons au quotidien et dont nous assurons la surveillance clinique à leur domicile en collaboration avec leur médecin traitant, nécessitent sans doute des compétences médicales et cliniques qui ne peuvent être sous évaluées par souci d’économie.
Nous craignons, néanmoins, que cette réserve arrivant un an après la régularisation par
la loi des aides opératoires « bénévoles » en 2005 - dont nous connaissons le faible
niveau de formation en regard des risques encourus pour les patients - soit très mal
perçue par la profession. Vous comprendrez légitimement l’étonnement des infirmiers,
professionnels de santé réglementés et qualifiés par un diplôme d’Etat, considérés
aujourd’hui à travers votre avis comme sous qualifiés pour réaliser « des injections de vaccins anti-grippe sans prescription médicale préalable, à l’exception des primovaccinations en toute sécurité ».
Nous ne doutons pas que vous avez pris ces décisions sur des études cliniques
référencées, notamment en comparaison avec d’autres pays européens qui ont fait le
choix depuis plusieurs années de faire effectuer la plupart des vaccinations par les
infirmiers. Il va de soi que dans ces pays, ces décisions ont été largement concertées
avec les représentations professionnelles ordinales ou collégiales Infirmières et
Médicales, afin de définir les périmètres d’intervention et les formations nécessaires de
chacun. Nous sommes prêts, sur ce point, à en faire autant avec vous pour pouvoir
accéder à ces pratiques couramment développées en Europe, dans l’intérêt des patients
et pour une meilleure accessibilité aux soins.
Les soins techniques, voire hautement techniques, que nous dispensons dans tous les
secteurs où s’exercent la médecine et le maintien de l’état de santé de nos concitoyens, les
responsabilités en terme de surveillance clinique et de permanence des soins que nous assurons de jour comme de nuit avec la totale confiance des médecins qui travaillent avec nous, les situations éthiques et complexes (fin de vie par exemple ...) auxquelles nous
faisons face, les difficultés à venir de la démographie médicale sont autant de défi que la
profession infirmière doit relever au quotidien avec votre soutien.
Dans ce contexte, nous ne doutons pas que vous aurez à coeur de promouvoir auprès du Ministère l’évolution et la professionnalisation de vos collaborateurs privilégiés que sont les infirmiers notamment sur les deux dossiers suivants :
Le LMD et l’intégration universitaire des infirmiers, qui est un sujet majeur pour
l’attractivité de la profession, l’évolution de sa formation et la sécurité des patients. Cette
intégration s’impose sur toute la filière jusqu’au doctorat, comme cela est le cas dans de
nombreux pays, pour permettre aux infirmiers de développer une recherche clinique infirmière adaptée aux évolutions des besoins de santé et de la recherche médicale. La qualité de ce cursus impose aussi qu’il s’appuie sur un référentiel métier élaboré par les
professionnels eux-mêmes et non pas par une représentation administrative hospitalière, comme cela est le cas actuellement.
La mise en place très rapidement du Conseil National de l’Ordre des Infirmiers, qui permettra enfin des échanges réguliers et dépassionnés avec des représentations
professionnelles stables afin de maintenir l’efficience des choix politiques.
Dans de nombreux pays, l’infirmier est considéré comme un des interlocuteurs incontournables sur les questions de santé et comme un des maillons essentiels de la
permanence et de la continuité des soins avec les résultats que l’on connaît en terme de performance, particulièrement en ce qui concerne les soins de premiers recours. Sur ce point, de nombreux efforts restent à faire en France.
Nous serons donc très vigilants sur toutes vos positions nous concernant et regrettons vivement le peu d’échanges avec votre institution.
Je reste à votre disposition pour tout échange, si vous le souhaitez, dans un souci d’efficience de notre pratique.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma considération distinguée.
LE PRESIDENT DE LA FNI, Philippe TISSERAND