Lettre ouverte d’un IADE à la profession infirmière

17 janvier 2010

Réaction d’Eric Delmas au protocole de "revalorisation salariale"

Le projet de réforme du minis­tère est la pire escro­que­rie jamais pro­po­sée dans le monde la santé, et c’est bien sûr les infir­miers qui doi­vent en être les dupes.
C’est une escro­que­rie dont l’évidence saute immé­dia­te­ment aux yeux des plus âgés d’entre-nous mais qui concerne de la même manière les plus jeunes.

Passage en caté­go­rie A séden­taire :
Cela aura trois impacts très néga­tifs sur nos car­riè­res et sur notre vie per­son­nelle.

1/ Perte du droit de partir en retraite avant 60 ans.

Théoriquement il semble impos­si­ble de partir en retraite avant 60 ans vu les 41 annui­tés de coti­sa­tion exi­gées (et bien­tôt 42). Pourtant en cumu­lant les droits natu­rel­le­ment acquis et les abat­te­ments liés à l’exer­cice actif en fonc­tion publi­que (1 an tous les 10 ans), voire en y ajou­tant les déco­tes liées à l’éducation des enfants, nom­breux sont ceux qui pour­raient partir à taux plein avant 60 ans. Avec cette réforme, c’est fini et, même 60 ans devien­dra un hori­zon dif­fi­cile à attein­dre pour beau­coup d’entre-nous.

À titre d’exem­ple, céli­ba­taire sans enfant, je pense partir à la retraite vers 57 ans à taux plein alors que je devrai atten­dre au moins 61 ans dans le nou­veau sys­tème et que je ne béné­fi­cie­rai de l’aug­men­ta­tion annon­cée (et fausse en plus) que de 2015 à 2018 !

2/ Perte de la décote des fonc­tion­nai­res actifs.

Comme je viens de le dire cette décote peut faire gagner jusqu’à 4 ans de coti­sa­tions si l’on conserve le statut actif et que l’on refuse le statut séden­taire. Certes les plus jeunes argue­ront que les aug­men­ta­tions de salaire annon­cées com­pen­se­ront cet inconvé­nient. C’est faux et je le prouve.

Non seu­le­ment les chif­fres avan­cés sont faux car basés sur des cal­culs opti­mis­tes qui “oublient” oppor­tu­né­ment qu’une partie de notre rému­né­ra­tion est fluc­tuante (prime annuelle) et dépend de para­mè­tres sans rap­port avec notre com­pé­tence, sans parler du fait que les grilles à deux niveaux (classe nor­male et sup.) créent un dif­fé­ren­tiel injuste et de nature à for­te­ment faus­ser ces chif­fres appa­rem­ment mer­veilleux. En outre, ceux qui refu­se­ront auront aussi des aug­men­ta­tions, même si elles res­te­ront très fai­bles. C’est donc le dif­fé­ren­tiel qu’il faut étudier et non les don­nées brutes.

Enfin, ces chif­fres mépri­sent notre pro­fes­sion en omet­tant de remar­quer que notre for­ma­tion (de Bac + 3 à Bac + 5), nos res­pon­sa­bi­li­tés pro­fes­sion­nel­les et les ris­ques que nous subis­sons sont sans rap­port avec les grilles actuel­les. Il suffit de se com­pa­rer à des pro­fes­sions exté­rieu­res à la santé pour s’en convain­cre. Récemment la grève des conduc­teurs du RER A à Paris nous a prouvé à quel point notre salaire est misé­ra­ble et mépri­sant. Le retard est de l’ordre de 25 à 40% et l’on nous pro­pose au mieux que 4% d’aug­men­ta­tion.

3/ Perte des heures sup­plé­men­tai­res réel­le­ment effec­tuées.

Les séden­tai­res (deman­dez à vos cadres) ont un quota d’heures sup­plé­men­tai­res qu’ils dépas­sent allè­gre­ment sans les récu­pé­rer. Voulez-vous ouvrir cette boîte de Pandore et tra­vailler 48 heures payées 35 ?

Que cache le gou­ver­ne­ment der­rière cette réforme ?

Il y a plu­sieurs rai­sons pour expli­quer l’urgence du gou­ver­ne­ment :
- 1/ retar­der les départs en retraite des infir­miers, ou plutôt les étaler sur une dizaine d’années au lieu d’assis­ter à une envo­lée de moi­neaux entre 2012 et 2015 (tiens quel hasard que ces dates cor­res­pon­dent à celles annon­cées pour la réforme). Ainsi il serait plus facile de limi­ter la casse dans le sec­teur de santé car on va au devant d’un véri­ta­ble tsu­nami poli­ti­que qui devrait mettre la popu­la­tion fran­çaise dans la rue quand les soins ne seront plus pos­si­bles faute de soi­gnants. À ce moment là croyez bien que le gou­ver­ne­ment sera moins à l’aise pour dis­cu­ter avec ceux qui res­te­ront sur le mon­tant des aug­men­ta­tions de salaire et sur leur dates de départ en retraite.
- 2/ dis­po­ser d’effec­tifs infir­miers accep­ta­bles pour orga­ni­ser les trans­ferts de com­pé­ten­ces médi­ca­les des­ti­nés à com­pen­ser les départs en retraite des méde­cins qui ne pour­ront guère être davan­tage retar­dés. Du coup on aura un sys­tème où l’on verra nos res­pon­sa­bi­li­tés aug­men­ter sans reconnais­sance sta­tu­taire et sala­riale. Double bonus pour Sarkozy !
- 3/ pour­sui­vre la poli­ti­que de res­tric­tion envers la santé des­ti­née à deve­nir ce que même le sys­tème Thatcher ou Bush n’avaient jamais osé rêver.

Il ne faut pas oublier que nous avons vécu une répé­ti­tion géné­rale de ce prin­cipe avec la réforme du statut des sage-femmes. On les a mise en statut médi­cal sans aucun avan­tage (l’aug­men­ta­tion de revenu fut plus que sym­bo­li­que) mais avec tous les inconvé­nients sur la retraite, les heures sup­plé­men­tai­res et les res­pon­sa­bi­li­tés (donc les primes d’assu­rance).
Avec les infir­miers, le gou­ver­ne­ment veut faire mieux encore.

Connaissant la péni­bi­lité de notre tra­vail et sachant que très peu d’infir­miers attei­gnent l’âge de la retraite quand ils ont exercé cette pro­fes­sion depuis le début de leur car­rière pro­fes­sion­nelle - durée de vie pro­fes­sion­nelle de 12 ans actuel­le­ment - et que ceux qui par­tent en retraite le font le plus sou­vent en inva­li­dité (donc avec moins de santé et moins d’argent), êtes-vous prêts à réduire encore plus vos chan­ces d’en pro­fi­ter pour le seul béné­fice d’un gou­ver­ne­ment qui s’échine à nier sa res­pon­sa­bi­lité col­lec­tive dans le déla­bre­ment ter­ri­ble de notre sys­tème de santé ?

Que se pas­sera-t-il si nous refu­sons col­lec­ti­ve­ment le nou­veau sys­tème ?
- 1/ Le gou­ver­ne­ment se retrou­vera à la fin de l’année avec une pro­fes­sion prête à se battre pour une vraie reconnais­sance et avec... un an de moins pour la négo­cier.
- 2/ La situa­tion de pré-implo­sion de la santé fran­çaise aura conti­nué de pro­gres­ser et se verra encore mieux qu’aujourd’hui aug­men­tant de fait la pres­sion sur le gou­ver­ne­ment.
- 3/ La pro­fes­sion se sen­tant unie sur ce sujet sera mieux pré­pa­rée à une lutte effi­cace si le gou­ver­ne­ment tente de nous impo­ser son sys­tème de force.
- 4/ Devant l’urgence de la situa­tion, syn­di­cats et ordre infir­mier devront cesser leurs que­rel­les ridi­cu­les pour agir ensem­ble pour la pro­fes­sion.
- 5/ La négo­cia­tion pourra abor­der tous les points actuel­le­ment en litige : vraie reconnais­sance uni­ver­si­taire et seu­le­ment pro­fes­sion­nelle pour tous les infir­miers (avec équivalence reconnue pour les plus anciens), vraie reconnais­sance sala­riale de la com­pé­tence actuelle et des com­pé­ten­ces que le futur nous amè­nera à exer­cer, for­ma­tions adap­tées à la mise en place du projet Berland de glis­se­ment de com­pé­ten­ces, fin de la dis­cri­mi­na­tion sala­riale par la mise en place de grilles de salaire linéai­res, statut pro­fes­sion­nel adapté à nos nou­vel­les res­pon­sa­bi­li­tés et com­pé­ten­ces.

Voilà en quel­ques mots les axes de réflexion que je vous engage à déve­lop­per et à dif­fu­ser lar­ge­ment en atten­dant que l’ordre infir­mier réa­lise sa pre­mière vraie opé­ra­tion de pres­tige en pre­nant la tête de ce combat contre la des­truc­tion de nos pro­fes­sions.

Éric DELMAS, infir­mier anes­thé­siste (IADE), ancien par­ti­ci­pant aux luttes infir­miè­res de 1984 (décret de com­pé­ten­ces), 1988 et 1991 (reva­lo­ri­sa­tion de la pro­fes­sion infir­mière et des spé­cia­li­tés), membre de la Coordination infir­mière de 1988, partie pre­nante du projet d’ordre infir­mier dès 1990, fon­da­teur du pre­mier site infir­mier géné­ra­liste fran­çais (Infiweb) en 1996, par­ti­ci­pant aux mou­ve­ments de lutte infir­miers spé­cia­li­sés et cadre de 2000 et 2001 qui ont abouti à une reconnais­sance effec­tive (grille de salaire en caté­go­rie A active) de ces pro­fes­sions.

Je vous remer­cie de dif­fu­ser ce mes­sage sur tous les sup­ports aux­quels vous avez accès afin d’infor­mer au mieux la pro­fes­sion.

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