Eau potable : un service public en voie de contamination

7 août 2025

Tout le monde boit de l’eau. Mais per­sonne ne sait ce qu’il y a vrai­ment dedans. Et quand on le décou­vre, il est sou­vent trop tard.

En France, l’eau du robi­net est l’un des biens publics les plus par­ta­gés. On y a accès 24 heures sur 24, dans chaque foyer, chaque hôpi­tal, chaque école. Elle semble propre, trans­pa­rente, iné­pui­sa­ble. Mais cette confiance repose sur un mythe. Car l’eau pota­ble n’est plus ce qu’elle était. Et les mena­ces qui pèsent sur elle ne sont ni rares, ni invi­si­bles. Elles sont déjà là. Dans les nappes, dans les cana­li­sa­tions, dans nos verres.

Le Haut-Commissariat au Plan et France Stratégie vien­nent de publier un rap­port gla­çant  : à l’hori­zon 2050, 88% du ter­ri­toire métro­po­li­tain pour­rait être en situa­tion de ten­sion hydri­que sévère l’été. Non seu­le­ment l’eau va man­quer, mais celle qui res­tera pour­rait ne plus être conforme à nos cri­tè­res sani­tai­res. La crise de l’eau n’est plus un risque : c’est une tra­jec­toire. Et elle com­mence bien avant 2050.
https://www.stra­te­gie-plan.gouv.fr/publi­ca­tions/leau-en-2050-graves-ten­sions-sur-les-eco­sys­te­mes-et-les-usages

Les conta­mi­nants ne sont plus l’excep­tion. Pesticides, nitra­tes, PFAS, rési­dus médi­ca­men­teux, micro­plas­ti­ques, chlo­rure de vinyle mono­mère... Tous ces pol­luants sont désor­mais mesu­rés dans l’eau pota­ble fran­çaise. Selon Le Monde, en se fon­dant sur les bilans des agen­ces régio­na­les de santé, plus de dix mil­lions de per­son­nes ont consommé en 2022 une eau non conforme, prin­ci­pa­le­ment en raison de la pré­sence de pes­ti­ci­des ou de leurs rési­dus. La plu­part n’en ont rien su.
https://www.lemonde.fr/idees/arti­cle/2024/05/29/le-temps-est-a-l-action-pour-secu­ri­ser-le-prin­cipe-de-l-eau-pota­ble-au-robi­net-pour-tous_6236128_3232.html

Car les dépas­se­ments ponc­tuels sont encore tolé­rés. Les méta­bo­li­tes de pes­ti­ci­des, sou­vent plus mobi­les et per­sis­tants que leurs molé­cu­les mères, sont sur­veillés avec retard. Les sta­tions d’épuration ne sont pas conçues pour éliminer les micro­pol­luants. Et les réseaux de dis­tri­bu­tion vieillis­sants aggra­vent la situa­tion : les ancien­nes cana­li­sa­tions en PVC peu­vent relar­guer du chlo­rure de vinyle, un can­cé­ro­gène avéré, sans que les habi­tants n’en soient infor­més.

L’eau du robi­net contient aujourd’hui plus de rési­dus médi­ca­men­teux que de pes­ti­ci­des. Et tout le monde en boit. Ces der­niè­res années, plu­sieurs études ont révélé la pré­sence cons­tante de médi­ca­ments dans les réseaux d’eau pota­ble : anti­bio­ti­ques, anti­dé­pres­seurs, anti­dia­bé­ti­ques, anti­can­cé­reux, hor­mo­nes, antal­gi­ques... Tous types de molé­cu­les se retrou­vent dans les cours d’eau, les nappes, et par­fois jusque dans les verres. Le plus inquié­tant ? Tous les prin­ci­pes actifs ne sont même pas recher­chés. Leur impact sani­taire, lui, reste encore lar­ge­ment sous-estimé.
https://syn­di­cat-infir­mier.com/Des-medi­ca­ments-dans-l-eau-et-per­sonne-pour-les-fil­trer.html

Même les eaux répu­tées de bonne qua­lité ne sont pas épargnées. Le suivi des sub­stan­ces émergentes reste lacu­naire. Les normes évoluent trop len­te­ment. Et les dis­po­si­tifs de sur­veillance varient for­te­ment selon les ter­ri­toi­res. Certaines eaux embou­teillées ne sont pas exemp­tes de contro­ver­ses. Des enquê­tes par­le­men­tai­res ont récem­ment mis en lumière des pra­ti­ques de trai­te­ment non décla­rées, contrai­res aux cri­tè­res régle­men­tai­res de l’eau « natu­relle ». Des ques­tions sub­sis­tent sur la trans­pa­rence des contrô­les, la tra­ça­bi­lité des sour­ces, ou encore la qua­lité réelle des eaux après sto­ckage pro­longé.

Les PFAS sont sur­nom­més « pol­luants éternels » pour une bonne raison : ils ne se dégra­dent pas dans l’envi­ron­ne­ment. Leur usage indus­triel massif les a rendus omni­pré­sents. Résistants à l’eau, à la cha­leur, à la graisse, on les retrouve dans les mous­ses extinc­tri­ces, les tex­ti­les, les embal­la­ges. Et désor­mais… dans l’eau du robi­net.

En 2023, une enquête col­la­bo­ra­tive a montré que près d’un pré­lè­ve­ment sur deux en France conte­nait des PFAS, par­fois à des niveaux très supé­rieurs aux recom­man­da­tions euro­péen­nes. À Paris, les concen­tra­tions en acide tri­fluo­roa­cé­ti­que (TFA), un sous-pro­duit issu de cer­tains pes­ti­ci­des, attei­gnent plus de 6000 ng/L, alors que la limite de sécu­rité est fixée à 100 ng/L.
https://www.fran­ceinfo.fr/envi­ron­ne­ment/pol­lu­tion/pfas/la-regie-eau-de-paris-porte-plainte-contre-x-pour-pol­lu­tion-aux-pfas_7157085.html

À Saint-Louis, dans le Haut-Rhin, la popu­la­tion a appris que l’eau du robi­net était conta­mi­née. Des recom­man­da­tions ont été émises pour que les femmes encein­tes, nour­ris­sons et per­son­nes vul­né­ra­bles ne la consom­ment plus. Des solu­tions tech­ni­ques sont pro­mi­ses pour 2026. En atten­dant, les habi­tants impro­vi­sent. Ceux qui peu­vent se tour­nent vers l’eau en bou­teille. Les autres n’ont pas le choix.
https://www.haut-rhin.gouv.fr/Actualites/Espace-presse/Communiques-de-presse-2025/Restriction-de-l-usage-de-l-eau-pota­ble-dans-l-agglo-de-Saint-Louis-pour-les-per­son­nes-sen­si­bles

La conta­mi­na­tion chi­mi­que n’est qu’un des deux visa­ges du pro­blème. L’autre, c’est la quan­tité. Le rap­port du HCSP dresse une car­to­gra­phie inquié­tante des pré­lè­ve­ments et des consom­ma­tions à l’hori­zon 2050. Si rien ne change, 88 % du ter­ri­toire hexa­go­nal pour­rait connaî­tre des ten­sions hydri­ques modé­rées ou sévè­res l’été. Et pas seu­le­ment dans le sud. Le quart nord-est est également concerné.

Cette situa­tion n’est pas uni­que­ment liée à la météo. Elle résulte d’un désé­qui­li­bre struc­tu­rel entre les res­sour­ces dis­po­ni­bles et la demande. Or cette demande explose. L’agri­culture pré­lève une part consi­dé­ra­ble de l’eau douce, et en consomme l’essen­tiel : elle ne la res­ti­tue pas au milieu après usage. L’eau uti­li­sée pour l’irri­ga­tion est évapotranspirée, c’est-à-dire absor­bée par les plan­tes ou perdue dans l’atmo­sphère. Contrairement à l’eau domes­ti­que, elle ne revient ni dans la nappe, ni dans la rivière.

En juillet, dans le bassin de l’Adour-Garonne, 75 % de l’eau dis­po­ni­ble a été absor­bée par l’irri­ga­tion agri­cole. Ce qui signi­fie qu’il ne reste pres­que rien pour les riviè­res, les nappes, les habi­ta­tions en aval.
https://www.pre­fec­tu­res-regions.gouv.fr/occi­ta­nie/occi­ta­nie/ire­contenu/tele­char­ge­ment/129830/955630/file/20250724_cp%20bas­sin.pdf

Les ten­sions sur l’eau ne sont pas que cli­ma­ti­ques. Elles sont aussi socia­les, économiques et poli­ti­ques. En témoi­gnent les polé­mi­ques récen­tes autour des méga­bas­si­nes, des fora­ges, des pro­jets indus­triels, des cap­ta­ges pour l’eau en bou­teille ou des usages agri­co­les inten­sifs.

En 2022 déjà, 86 % du ter­ri­toire était soumis à des arrê­tés séche­resse. Les inter­dic­tions d’arro­sage, les fer­me­tu­res de fon­tai­nes, les res­tric­tions d’usage ne sont qu’un avant-goût. À mesure que la res­source se raré­fie, chaque goutte devient un enjeu de pou­voir. Et les arbi­tra­ges ne sont pas tou­jours faits dans l’inté­rêt géné­ral.

Le rap­port évoque un avenir où les pré­lè­ve­ments, les consom­ma­tions et les ten­sions ne ces­se­ront de croî­tre. Y com­pris en hiver. Dans cer­tains bas­sins, comme celui de la Moselle ou du Rhône, les ten­sions pour­raient durer plus de six mois par an. Même un prin­temps-été humide ne suf­fi­rait plus à res­tau­rer l’équilibre.

La dégra­da­tion de la qua­lité de l’eau a des consé­quen­ces concrè­tes sur la santé des popu­la­tions. Or ces effets ne sont pas tou­jours visi­bles. Ils s’accu­mu­lent len­te­ment : trou­bles diges­tifs, der­ma­ti­tes, effets sur la gros­sesse, can­cers, per­tur­ba­tions endo­cri­nien­nes... Les plus vul­né­ra­bles sont les pre­miers expo­sés : enfants, per­son­nes âgées, femmes encein­tes, per­son­nes immu­no­dé­pri­mées.

Dans ce contexte, le rôle de l’infir­mière géné­ra­liste de ter­rain prend une impor­tance par­ti­cu­lière. Parce qu’elle connaît les patients, les famil­les, les habi­tu­des. Parce qu’elle est sou­vent la pre­mière à cons­ta­ter une recru­des­cence de symp­tô­mes inex­pli­qués dans un quar­tier, une école, un EHPAD. Parce qu’elle est en lien avec les mai­ries, les ser­vi­ces de l’eau, les agen­ces régio­na­les de santé.

L’infir­mière peut jouer un rôle de veille sani­taire, de repé­rage des signaux fai­bles. Elle peut aussi sen­si­bi­li­ser les famil­les à des gestes sim­ples de pré­ven­tion, sur­tout pour les per­son­nes fra­gi­les : uti­li­ser un filtre à char­bon actif, ne pas pré­pa­rer les bibe­rons avec l’eau du robi­net en cas de doute, lire les bul­le­tins de qua­lité publiés par les ARS.

Elle peut sur­tout poser des ques­tions. Insister pour obte­nir des répon­ses. Relier les acteurs locaux. Dans un monde où les indi­ca­teurs tech­ni­ques ne suf­fi­sent plus, la vigi­lance humaine reste irrem­pla­ça­ble.

La sobriété n’est plus une option. C’est un choix de société, qui passe par la géné­ra­li­sa­tion de l’agroé­co­lo­gie, la régu­la­tion stricte des sur­fa­ces irri­guées, la sobriété dans les usages domes­ti­ques et indus­triels.

En atten­dant, la ques­tion reste entière : com­bien de verres faudra-t-il boire avant que l’eau ne devienne un pro­blème de santé publi­que reconnu, sur­veillé, et mieux par­tagé ?

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