Santé publique : l’urgence d’une approche collective

11 mai 2023

La santé publique devrait se penser avec et non pour la population. Rendu public par décision du tribunal administratif de Paris, le rapport de l’Igas sur le pilotage de la réponse à la crise sanitaire néglige ce point essentiel.
Le SNPI a signé cette tribune dans l’EXPRESS du 04.05.23 dans le cadre d’un collectif de 55 scientifiques, associatifs et membres de la société civile

Dès 2020, une fois la pre­mière vague atté­nuée, il était pos­si­ble de choi­sir un angle d’appro­che dif­fé­rent. L’empo­wer­ment (1) est un levier de santé publi­que fort. Mais déve­lop­per le pou­voir d’agir col­lec­tif et indi­vi­duel demande des pré­re­quis : un meilleur accès à l’infor­ma­tion, le déve­lop­pe­ment de com­pé­ten­ces néces­sai­res à sa com­pré­hen­sion et à son appro­pria­tion, une impli­ca­tion dans les pro­ces­sus de déci­sion - y com­pris pou­voir faire remon­ter les besoins et les deman­des. Cela impli­que aussi un chan­ge­ment de posi­tion­ne­ment : il faut reconnaî­tre à la popu­la­tion des capa­ci­tés orga­ni­sa­tion­nel­les et déci­sion­nel­les, ne plus se penser en seuls experts mais au contraire en accom­pa­gnants.

C’est ce que n’ont pas fait nos gou­ver­nants. L’empo­wer­ment est dan­ge­reux : il néces­site de donner la faculté d’agir contre les iné­ga­li­tés, de tolé­rer l’auto­dé­ter­mi­na­tion, de lâcher du lest sur le pou­voir, et ce n’est pas dans l’air du temps.

La pro­mo­tion d’une pré­ten­due res­pon­sa­bi­lité indi­vi­duelle sans qu’aucune de ces condi­tions ne soit rem­plie était vouée à l’échec : on a privé la popu­la­tion de sa capa­cité de res­pon­sa­bi­li­sa­tion. En don­nant de faus­ses infor­ma­tions, en mépri­sant ses apti­tu­des, mais aussi en la scin­dant en dif­fé­rents grou­pes comme s’ils étaient indé­pen­dants les uns des autres : Il fal­lait enfer­mer les per­son­nes âgées et les per­son­nes avec comor­bi­di­tés, cons­puer les jeunes irres­pec­tueux, consi­dé­rer que les enfants fran­çais magi­ques ne ris­quaient rien pen­dant que d’autres devaient trimer vaille que vaille.

De même, l’héroï­sa­tion des soi­gnants les a placés en dehors de tout groupe com­mu­nau­taire, dans un dan­ge­reux et sur­réa­liste déni de leur vie privée. Tout a été mis en place pour rendre impos­si­ble le moin­dre empo­wer­ment.

Le chaos actuel, entre déni, défiance et fake news, est la résul­tante de ce qui n’a pas été fait. Aujourd’hui l’état de notre sys­tème de soins néces­site urgem­ment, même hors Covid, une appro­pria­tion de la santé par la popu­la­tion.

Dès 2020, il aurait fallu :

● Communiquer les bonnes infor­ma­tions avec humi­lité. Reconnaître que la société, qu’elle soit civile, scien­ti­fi­que ou médi­cale, avait encore à appren­dre, et qu’il était pos­si­ble d’avan­cer ensem­ble.

● Reconnaître que l’erreur était pos­si­ble et les infor­ma­tions sou­mi­ses à évolution. Le meilleur exem­ple reste l’absence de com­mu­ni­ca­tion sur la trans­mis­sion par aéro­sols du virus, uni­que­ment relayée par quel­ques scien­ti­fi­ques et mili­tants avec le hash­tag #Co­vi­dI­sAir­borne.

● Donner accès à la culture scien­ti­fi­que de base per­met­tant de com­pren­dre la situa­tion. Plutôt que d’énumérer les morts chaque soir à la télé, expli­quer les carac­té­ris­ti­ques des virus, leurs modes de trans­mis­sion et l’évolution de l’état des connais­san­ces sur le Covid-19, pour poser les bases d’un accès loca­lisé et adapté à l’infor­ma­tion.

● Fuir les dis­cours cli­vants pour encou­ra­ger la prise de cons­cience de la diver­sité, de notre besoin d’agir et d’exis­ter col­lec­ti­ve­ment. Oublier de ce fait la méri­to­cra­tie et l’indi­vi­dua­lisme de rigueur ces der­niè­res années.

● Expliciter les dif­fé­ren­tes options pos­si­bles, les consé­quen­ces pré­vi­si­bles et la part d’inconnu. Accepter les peurs, cri­ti­ques et inter­ro­ga­tions sans les mini­mi­ser. Donner des points de repè­res. Permettre à chacun d’avoir un niveau d’alerte satis­fai­sant, indi­vi­duel ou col­lec­tif.

● Ne pas faire de la science une ques­tion d’opi­nion. Accepter que les faits ne sont pas encore sûrs ou connus n’est pas accep­ter que les faits démon­trés sont sujet à débat. La terre n’est pas plate.

● Favoriser, par tout moyen, le déve­lop­pe­ment d’acti­vi­tés socia­les malgré le contexte sani­taire, pour s’appuyer sur la force col­lec­tive : inven­ter des lieux confi­gu­rés pour mini­mi­ser la trans­mis­sion, per­met­tre aux pro­fes­sion­nels d’y exer­cer et au public d’y être citoyen.

● Donner des moyens maté­riels de défense et de pré­ven­tion, dans tous les champs néces­sai­res et adap­tés aux spé­ci­fi­ci­tés ter­ri­to­ria­les.

● Sortir du tout-médi­cal (ou du tout-hos­pi­ta­lier). La santé ne doit pas se penser qu’en termes médi­caux : elle est une com­po­sante du quo­ti­dien et influe sur la pos­si­bi­lité des per­son­nes à pren­dre l’entière part de leur citoyen­neté, à étudier, à tra­vailler, à se dis­traire, à se loger, à être auto­nome.

"On ne rat­tra­pera pas les vies per­dues"

Ce n’est qu’en le com­pre­nant que nous pour­rons faire mieux. Les condui­tes pré­ven­ti­ves ne sont sui­vies que si elles recueillent l’adhé­sion. Plus la par­ti­ci­pa­tion aux déci­sions est active et impli­quée, plus l’adhé­sion est impor­tante et favo­rise la pré­ven­tion. Se repré­sen­ter d’une part la pan­dé­mie actuelle et d’autre part les défis à venir sans pensée glo­bale exclut d’emblée la pos­si­bi­lité de penser une santé qui serait publi­que.

La dif­fi­culté prin­ci­pale de l’empo­wer­ment, et par exten­sion de la pré­ven­tion en santé, c’est que les effets n’en sont pas immé­diats. Les mesu­res d’urgence étaient dif­fi­ci­le­ment évitables en mars 2020. La suite a été et reste catas­tro­phi­que. Le refus de se pro­je­ter autre­ment mène vers la mort, le han­di­cap ou plus géné­ra­le­ment une qua­lité de vie dété­rio­rée, y com­pris dans le champ de la santé men­tale elle aussi abîmée par les mal­trai­tan­ces gou­ver­ne­men­ta­les. On ne rat­tra­pera pas les vies per­dues, ni celles abî­mées par le Covid Long, et chaque jour qui passe en apporte d’autres. Chaque déni ajouté au pré­cé­dent ren­force aussi les consé­quen­ces des dis­cri­mi­na­tions subies par les per­son­nes vul­né­ra­bles - manque d’accès aux soins, à la vie sociale, à la par­ti­ci­pa­tion citoyenne.

On ne pourra jamais reve­nir en arrière, mais on pour­rait encore aller de l’avant. La ques­tion est : com­bien de morts et de souf­fran­ces, de drames, de défis et de catas­tro­phes faudra-t-il ? Sommes-nous capa­bles d’appren­dre de nos erreurs et de faire mieux à l’avenir ? C’est la ques­tion d’urgence à laquelle nous devons répon­dre col­lec­ti­ve­ment, gou­ver­nants et citoyens.

(1). Processus par lequel une per­sonne, ou un groupe social, acquiert la maî­trise des moyens qui lui per­met­tent de se cons­cien­ti­ser, de ren­for­cer son poten­tiel et de se trans­for­mer dans une pers­pec­tive d’amé­lio­ra­tion de ses condi­tions de vie et de son envi­ron­ne­ment

Liste des signa­tai­res sur
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