Appel des soignants : Le soin, une urgence politique

Appel des soignants : Le soin, une urgence politique

12 août 2024

« Lorsque la puis­sance publi­que ne par­vient plus à offrir des soins, quel risque prend-on à ren­ver­ser la table ? » : un col­lec­tif de soi­gnants (dont le SNPI) alerte, dans une tri­bune au « Monde » du 09.08.24, sur les iné­ga­li­tés dans l’accès au soin en France et leurs consé­quen­ces poli­ti­ques dès lors qu’elles génè­rent un sen­ti­ment de déclas­se­ment et une immense et légi­time ran­cœur.

Vous aussi, vous pouvez signer la tri­bune : https://soins­de­vie.org/le-soin-une-urgence-poli­ti­que-pour-la-nou­velle-assem­blee/

Aujourd’hui, l’accès aux soins est une préoc­cu­pa­tion majeure des Français, avant même le ter­ro­risme, le contrôle des flux migra­toi­res ou la lutte contre le réchauf­fe­ment cli­ma­ti­que, d’après les enquê­tes d’opi­nion qui se suc­cè­dent (voir par exem­ple l’enquête Ipsos, « Ce qui préoc­cupe les Français », en juillet).

Les caren­ces sont connues, docu­men­tées et vécues par tous au quo­ti­dien. Selon le minis­tère de la santé, 87 % du ter­ri­toire est consi­déré comme un désert médi­cal, et un tiers de la popu­la­tion n’a pas un accès suf­fi­sant aux soins. Les urgen­ces souf­frent, cra­quent, fer­ment ou trient. L’accès à un spé­cia­liste ou à un centre d’exper­tise peut pren­dre des mois, à condi­tion qu’ils accep­tent encore de nou­veaux patients.

Ainsi en est-il par exem­ple des cen­tres anti­dou­leur, des cen­tres médico-psy­cho­lo­gi­ques ou des équipes de soins pal­lia­tifs aux­quels n’ont accès que la moitié des patients qui en auraient besoin alors même qu’ils sont atteints de mala­dies graves en phase par­fois très avan­cée (Cour des comp­tes, juin 2023). Trop sou­vent, l’accès aux soins est affaire de réseau. « Connais-tu un bon méde­cin spé­cia­liste ? » « Pourrais-tu parler de moi ? » « As-tu quelqu’un dans ta famille qui connaît quelqu’un ? » Le capi­tal social est ainsi devenu la meilleure assu­rance-mala­die, ce qui crée dans le pays un fort sen­ti­ment d’insé­cu­rité médi­cale.

Le soin comme enga­ge­ment

Cette réa­lité est un moteur pro­fond de colère et une des causes majeu­res du sen­ti­ment de déclas­se­ment. L’impos­si­bi­lité de par­ve­nir à être soigné ou à faire soi­gner ses parents ou ses enfants génère une immense et légi­time ran­cœur. La vio­lence qui s’exerce par­fois à l’encontre des soi­gnants en est une consé­quence. Lorsque la puis­sance publi­que ne par­vient plus à offrir des soins, quel risque prend-on à ren­ver­ser la table ? Les votes des der­niè­res semai­nes tra­dui­sent aussi cette réa­lité.

Soignants, nous ne sommes pas là par hasard. Nous sommes là parce que ce qui compte, c’est l’humain. Infirmiers, aides-soi­gnants, psy­cho­lo­gues, phar­ma­ciens ou méde­cins de toutes dis­ci­pli­nes, nous accueillons tous ceux qui deman­dent de l’aide. Chaque jour, nous accom­pa­gnons les per­son­nes dans leur diver­sité. Pour nous qui les soi­gnons, ces per­son­nes ne sont pas de gauche ou de droite, fran­çai­ses ou étrangères, avec ou sans papiers, elles sont sim­ple­ment humai­nes, et notre mis­sion est de les aider à guérir ou à vivre avec la mala­die et de les accom­pa­gner par­fois jusqu’à la mort.

En cela, le soin est un enga­ge­ment poli­ti­que au sens le plus élémentaire, c’est notre enga­ge­ment : pren­dre soin de tous sans dis­tinc­tion et avec la même atten­tion parce que la rela­tion de soin est un bien commun. Alors même que notre société valo­rise le pou­voir, le contrôle et la force, nous, soi­gnants, nous sommes là pour enten­dre la détresse, pour accom­pa­gner la souf­france jusqu’à par­fois même l’envie de mourir et pour essayer de com­pren­dre, sou­la­ger et ras­su­rer. Or, notre ser­vice public du soin est exsan­gue voire mal­trai­tant, pour les per­son­nes qu’il accueille comme pour celles qui y tra­vaillent. Chaque jour, nous fai­sons avec inquié­tude le cons­tat de la fra­gi­lité de notre sys­tème de santé et de son inca­pa­cité crois­sante à répon­dre aux besoins de tous.

Un choix de société

Nous sommes dans une période de grande incer­ti­tude poli­ti­que. Dans ce contexte chao­ti­que, nous invi­tons nos élus, d’où qu’ils vien­nent, à faire front commun en faveur du soin pour le béné­fice de tous. Comment sou­hai­tons-nous habi­ter notre Terre pour pren­dre soin des humains qui la peu­plent ? Comment vou­lons-nous col­lec­ti­ve­ment pren­dre soin de tous et, en par­ti­cu­lier, des per­son­nes mala­des, vul­né­ra­bles, âgées ou han­di­ca­pées ?

Ces ques­tions font du soin un projet pro­fon­dé­ment poli­ti­que, un choix de société au-delà des que­rel­les de partis. Car une société qui n’accom­pa­gne pas de manière satis­fai­sante ceux qui ont le plus besoin d’aide face à la mala­die et à la souf­france est une société où se déve­lop­pent la colère et l’indif­fé­rence. Soignants, nous ne pou­vons nous résou­dre à cette défaite annon­cée qui serait celle de tous et d’abord des plus fra­gi­les.

Le soin ras­sem­ble et ouvre une pers­pec­tive de soli­da­rité, de pro­grès et de fra­ter­nité. Il replace le pro­grès tech­ni­que au ser­vice de l’humain, peut remé­dier à de nom­breu­ses patho­lo­gies socia­les (iso­le­ment, sen­ti­ment d’inu­ti­lité, vio­len­ces de tous ordres…). Il est un éloge de l’atten­tion et nous invite à nous enga­ger les uns pour les autres. Il est l’espoir de recou­dre notre société frac­tu­rée. Nous espé­rons que s’impose la « loi du plus faible ». Ce plus faible que nous conti­nue­rons d’accom­pa­gner quoi qu’il arrive parce que c’est notre métier, notre choix et le cœur bat­tant de notre enga­ge­ment. Ce cœur qui bat pour toute notre société.

Premiers signa­tai­res  : Pr Georges Abi Lahoud, neu­ro­chi­rur­gien, ICVNS Paris, membre de l’aca­dé­mie natio­nale de chi­rur­gie, Thierry Amouroux, infir­mier, porte-parole du SNPI (Syndicat natio­nal des pro­fes­sion­nels infir­miers), Dr Cyril Boronad, phar­ma­cien, pré­si­dent du Synprefh (Syndicat natio­nal des phar­ma­ciens en établissement de santé), Dr Claire Fourcade, pré­si­dente de la SFAP (Société Française d’accom­pa­gne­ment et de soins pal­lia­tifs), Carole Gauvrit, pré­si­dente du CNPAS (Conseil natio­nal pro­fes­sion­nel des aides-soi­gnants, Dr Raphaël Gourevitch, psy­chia­tre, hôpi­tal Sainte-Anne, délé­gué de la Société médico-psy­cho­lo­gi­que, Pr Olivier Guérin, pré­si­dent du CNP (col­lège natio­nal pro­fes­sion­nel) de géria­trie, Pr Patrice Queneau Membre émérite de l’Académie natio­nale de méde­cine, membre émérite de l’Académie natio­nale de phar­ma­cie, Dr Manuel Rodrigues, pré­si­dent de la SFC (Société fran­çaise du cancer), Ghislaine Sicre, infir­mière, pré­si­dente de Convergence Infirmière…

Retrouvez la liste com­plète des signa­tai­res
https://docs.google.com/docu­ment/d/18q42X6swl4VX4oY6zPt1os6z2-_9l2cp66sTpT4R3Q8/edit

Voir également :
 https://www.lemonde.fr/idees/arti­cle/2024/08/09/lors­que-la-puis­sance-publi­que-ne-par­vient-plus-a-offrir-des-soins-quel-risque-prend-on-a-ren­ver­ser-la-table_6273933_3232.html?lmd_medium=al&lmd_cam­paign=envoye-par-appli&lmd_crea­tion=ios&lmd_source=mail
 https://www.lin­ke­din.com/posts/thierry-amou­roux-16482937_lors­que-la-puis­sance-publi­que-ne-par­vient-acti­vity-7227712982598795266-9hzP?utm_source=share&utm_medium=member_desk­top
 https://x.com/infir­mierSNPI/status/1821898903509196993
 https://soins­de­vie.org/

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