Dérive au CHU Saint Louis : quand le sécuritaire bouscule l’éthique
4 décembre 2007
Au nom de la "sécurisation", la direction veut généraliser le bracelet d’indentification aux malades capables de décliner leur identité. Cette attitude a été dénoncée le 7 décembre 2007 lors des 4èmes Rencontres de la Santé d’Aix en Provence, dont le thème était "Le champ de la santé exige-t-il une nouvelle éthique ?" Déjà en 2000, la Direction Générale de l’AP-HP avait du retirer un tel projet, suite aux réactions des infirmières qui refusaient de mettre une étiquette avec numéro et code barre au poignet des personnes hospitalisées, et à la condamnation des groupes de réflexion de l’Espace Ethique AP-HP "Soin citoyen" et "Soignants et éthique au quotidien". Pour agir, nous vous invitons à signer la pétition en téléchargement.
L’hôpital Saint Louis de l’AP-HP souhaite généraliser l’identification des malades par des bracelets d’identité. Le motif invoqué est la sécurité, la durée moyenne de séjour diminuant, tandis que le temps de présence d’un même soignant auprès d’un malade risque de diminuer avec la mutualisation des ressources humaines au niveau des pôles (déplacement d’agents d’autres services pour répondre à la pénurie d’infirmières).
Alors que l’on parle d’humanisation des hôpitaux, du droit des malades, de la dignité des personnes hospitalisées, nous sommes particulièrement choqués par un tel projet. Certes, cela peut être acceptable, au cas par cas, pour des personnes incapables de décliner leur identité (nourrissons, déments), sachant qu’il ne peut y avoir de catégorie particulière (une personne sénile ou un malade mental qui connait son nom n’a pas à subir ce genre d’humiliation), mais que des décisions d’équipe sur une personne donnée.
Le cas des malades devant avoir une anesthésie générale, ou étant dans le coma, devrait se résoudre par une organisation correcte du service, mais cela peut contribuer à rassurer un futur opéré le temps de l’opération, à condition que le bracelet ne lui soit pas imposé.
Par contre, lorsqu’une personne hospitalisée est capable de décliner son identité, lui demander de "s’étiqueter" revient à la nier en tant que personne, à lui faire quitter sa qualité de "sujet, objet de soins", pour en faire un "objet des soins". Agir ainsi pose de réels problèmes éthiques, et va à l’encontre de la démarche soignante.
Un bracelet d’identification n’est pas un objet neutre, car il renvoi à l’imaginaire du marquage, variable selon l’histoire personnelle :
le bracelet du prisonnier ou du délinquant sexuel, renforcé par le fait que l’hôpital comporte lui aussi des caractéristiques d’enfermement et de soumission à un personnel en uniforme (ne dit on pas toujours la surveillante en parlant du cadre infirmier ?). Une personne a ainsi demandé à l’infirmière si on l’obligeait à porter ce bracelet parce qu’elle était séropositive.
la chosification, renforcée par le fait que l’étiquette informatisée collée sur le bracelet comporte un numéro d’identification et un code barre. Lors d’une réunion d’information dans la cafétéria de Saint Louis, le cadre supérieur chargé du projet a même indiqué qu’à terme on passerait le lecteur de code barre sur la poche de sang ou de chimiothérapie, puis sur le bras du malade afin de lire l’étiquette du bracelet pour vérifier la compatibilité ! Peut on imaginer que traiter ainsi une personne hospitalisée comme un objet de consommation ne modifie pas la relation soignant /soigné ?
l’animalisation, un malade ayant ainsi indiqué à l’infirmière qu’il n’était pas un chien, et qu’il était hors de question qu’on lui mette un collier avec son nom. Ce n’est qu’une anecdote, mais pour l’infirmière qui rencontrait ce patient pour la première fois, cela a altéré durablement le rapport de confiance, car une gêne s’était installée entre eux.
le marquage des camps de concentration, particulièrement sensible, dans la mesure où l’hôpital Saint Louis se trouve entre Belleville et le Sentier.
Une jeune infirmière ne se posait pas de problème par rapport au bracelet : elle appliquait la consigne de la direction. Jusqu’au jour où le vieil homme hospitalisé à qui elle demandait de mettre ce bracelet, avec son étiquette à code barre, l’a regardé, à remonté sa manche, et lui a dit « Mademoiselle, je n’ai pas besoin de votre bracelet, j’ai déjà un numéro d’identification de tatoué ». Face à cet ancien déporté, elle a vécu un grand moment de solitude. Elle n’a jamais pu reprendre en charge ce patient, car quelque chose était brisé dans la relation soignant/soigné. Et pour elle, ce bracelet n’est plus une simple procédure de sécurisation.
A travers ce cas concret d’ethique clinique, chacun peut constater que la technique modifie la relation de soins. Même en dehors de l’aspect stigmatisant, le bracelet induit un rapport de docilité, de contrôle, de soumission, qui va à l’encontre des valeurs du soin. En mettant un bracelet, un patient ne peut plus être dans un rapport égalitaire avec le soignant.
Qui plus est, c’est l’infirmière que l’on instrumente pour imposer ce bracelet, alors qu’au contraire l’infirmière est là pour défendre la valeur et la dignité humaine du malade au sein de l’univers hospitalier, en rappelant qu’il est en lui-même une fin, c’est-à-dire une personne que l’on doit respecter, et non une simple chose (organe, pathologie), dont on peut disposer. De part sa vision globale et ses capacités relationnelles, l’infirmière permet au malade de conserver son humanité. Il est donc particulièrement cynique de la part de la technostructure d’utiliser les infirmières pour ses basses oeuvres, plutôt que le service des admissions !
Or si l’on généralise le bracelet aux malades capables de décliner leur identité, c’est bien pour s’y assurer de l’identité de la personne hospitalisée : seule l’étiquette fait foi. Chaque soignant la rencontrant pour la première fois afin d’accomplir un acte, devrait donc vérifier son identité sur le bracelet, pour justifier l’utilité de celui-ci. Un peu comme le policier qui vous demande vos papiers, car il ne peut se contenter de vos paroles.
Contrôler son identité pour ne pas lui donner le traitement du voisin. Ce qui sous entend que, jusque là, la sécurité était moins assurée. Et que l’on ne peut garantir une même qualité de soins à la personne hospitalisée qui refuserait de porter ce bracelet. Voilà un autre problème éthique, qui montre que le choix de refuserdemeure théorique, vu la pression psychologique exercée sur une personne fragilisée par la maladie.
L’infirmière doit avoir un rôle de révélateur, c’est-à-dire d’essayer de mettre en évidence aux yeux des divers acteurs de l’hôpital, aux yeux des personnes soignées, aux yeux de la population, toutes les contradictions, les insuffisances, les incohérences du système, qui nous empêchent de remplir au mieux la fonction qui nous est assignée.
Si l’on ne redonne pas du sens dans l’univers de routine et technicité que constitue un CHU, un patient peut devenir un assemblage d’organes variés, objet d’analyses et de traitements menés par des équipes distinctes, extrêmement spécialisées et communiquant entre elles par beeper et courriers médicaux. Le patient peut avoir l’impression d’être réduit à un « emballage » que les différents services se renvoient pour compléter la représentation d’une maladie à identifier et d’une thérapie à définir.
Soigner, c’est libérer, c’est faire renaître, et retrouver l’espérance. C’est aider celui qui souffre à sortir de son isolement, à bâtir un projet de vie compatible avec son état. C’est refuser une relation infantilisante et paternaliste, en aidant l’autre à redevenir adulte. C’est offrir des choix et tenter de les faire accepter.
Le soignant ne bénéficie malheureusement pas encore de la formation universitaire qu’il réclame pourtant depuis des années. Il est loin de posséder les connaissances et les capacités d’analyse des philosophes. Mais de par sa fonction première (rappeler l’humanité de la personne, sa présence et son ouverture au monde) et son vécu quotidien en confrontation avec la maladie et la mort (ce qui l’amène chaque jour à affronter des questions existentielles), il incarne une philosophie en action. Le philosophe est un penseur, le soignant est un acteur de la philosophie.
Pour lire le texte rédigé par les groupes de réflexion de l’Espace Ethique AP-HP "Soin citoyen" et "Soignants et éthique au quotidien", lorsqu’ils se sont opposés à un projet d’identification des malades par des bracelets d’identité en 2000 : cliquer ici
Pour agir, nous vous invitons à signer la pétition en téléchargement.