Le témoignage d’une infirmière

15 novembre 2008

Message reçu par mail : illustration de la vie quotidienne dans un CHU.

Je suis assez catas­tro­phée en ce moment, car dans aucun média, aucune presse, même dans les dis­cours de nos chers poli­ti­ques, per­sonne ne parle de ce qui se passe du côté de l’hôpi­tal public... Et pour­tant, moi qui le vis de l’inté­rieur, je vous garan­tie qu’il y a de quoi sauter au pla­fond :

Tout ce qui va suivre est un peu com­pli­qué, peut-être, mais néces­saire pour vous expli­quer ce qui se passe sur le ter­rain.

Je suis infir­mière dans un ser­vice de Médecine interne à l’hôpi­tal B, avec une capa­cité d’accueil de 21 patients, dont 95% est muté direc­te­ment des urgen­ces. Autrement dit, la plu­part ne sont pas encore très sta­bi­li­sés sur le plan médi­cal et ont donc besoin d’une sur­veillance étroite et effi­cace de la part des infir­miers et aide-soi­gnants.

Les femmes de ménage (ASH) ont elles aussi un rôle impor­tant, car au détour d’un cou­loir ou pen­dant qu’elles net­toient une cham­bre, elles peu­vent être les pre­miers signaux d’alarme d’un patient en détresse. Sans parler de leur tra­vail pri­mor­dial pour assu­rer l’hygiène des ser­vi­ces, rôle majeur dans la lutte des infec­tions noso­co­mia­les.

Nos équipes s’orga­ni­sent ainsi : (les équipes de jour et de nuit sont indé­pen­dan­tes, je ne tra­vaille que le jour matin-soir)
- 2 infir­miè­res + 2 aide-soi­gnan­tes + 1 ASH le matin
- 2 infir­miè­res + 2 aide-soi­gnan­tes + 1 ASH le soir
- 1 infir­mière + 1 aide-soi­gnante la nuit

Ceci est ce qu’on appelle le ser­vice mini­mum, autre­ment dit, c’est le mini­mum régle­men­taire pour assu­rer la sécu­rité des patients. Or il faut savoir que nous n’avons jamais de per­son­nel en plus et que la ten­dance actuelle est de nous faire tour­ner en sous-effec­tif de manière pres­que sys­té­ma­ti­que les soirs et les week-end, soit un seul infir­mier pour 21 patients.

Depuis 2 mois, une de mes col­lè­gues infir­miè­res a démis­sionné et n’est pas rem­pla­cée, une autre est en arrêt de tra­vail qui risque d’être pro­longé cet été et n’est pas non plus rem­pla­cée. Nous ne sommes donc plus que 6 infir­miers au lieu de 8 à assu­rer un rou­le­ment sur 4 semai­nes, jours de semaine, week-end et fériés com­pris. Alors nous effec­tuons 1 puis 2 puis 3 week-end sup­plé­men­tai­res (nous en tra­vaillons déjà 2 sur 4 habi­tuel­le­ment) et ainsi de suite pour que le ser­vice tourne, avec des jours de repos qui sau­tent et des alter­nan­ces de rythme inces­san­tes. Si bien qu’ il devient impos­si­ble de pré­voir quoi que ce soit en dehors de la vie au CHU, sous peine de devoir annu­ler au der­nier moment pour cause : boulot !

Samedi der­nier, une autre col­lè­gue s’est arrê­tée et, étant la seule infir­mière du soir, il n’y avait donc per­sonne pour pren­dre la relève du matin... C’est un infir­mier des urgen­ces qui a été déta­ché de son ser­vice pour venir dans le nôtre, qui a assuré les soins de nos 21 patients, alors qu’il ne les connais­sait pas, et qui a dû faire face en plus à une situa­tion d’urgence vitale de l’un d’eux...

Une des ASH est arrê­tée depuis 1 an en étant rem­pla­cée de manière très ponc­tuelle, obli­geant les 3 ASH res­tan­tes du ser­vice à se par­ta­ger un rou­le­ment sur 4 semai­nes, jours de semaine, week-end et fériés com­pris. Leur tâche est de net­toyer à elles seules, tous les jours, la tota­lité des 16 cham­bres du ser­vice de fond en comble (vitres, mobi­lier, murs, WC), les bureaux médi­caux, les pièces de vie (office, douche, WC, cou­loirs), la salle de soins...

Il faut savoir que le CHU est en pleine réor­ga­ni­sa­tion, puisqu’un gros com­plexe est en fin de cons­truc­tion à l’hôpi­tal N, pro­met­tant parait-il des tech­no­lo­gies de pointe, des locaux moder­nes et sur­tout des soins effi­ca­ces et de qua­lité...

Alors expli­quez-moi com­ment être à la hau­teur de ces exi­gen­ces quand le per­son­nel est déjà lar­ge­ment en sous-effec­tif ? L’hôpi­tal refuse d’embau­cher, car défi­cit bud­gé­taire, mais pré­fère faire appel à l’inté­rim, qui coûte plus cher que des contrac­tuels...

Hier, j’étais nor­ma­le­ment en ’repos’ et j’ai passé une bonne partie de ma jour­née à démar­cher la Médecine du Travail, les syn­di­cats et à parler avec notre chef de ser­vice, pour essayer de trou­ver des solu­tions pour­que notre direc­tion nous entende...

Nous sommes par chance sou­te­nus par notre chef de ser­vice, qui connaît la valeur de notre tra­vail et sait que nous ne pro­tes­tons pas pour rien. Il nous connaît suf­fi­sam­ment pour lui même remuer ciel et terre pour qu’on s’occupe du sort des soi­gnants à l’hôpi­tal. Il nous sou­tient par ce que lui-même est très inquiet de la situa­tion et voit notre gou­ver­ne­ment asphyxier le ser­vice public hos­pi­ta­lier, or lui a choisi de tra­vailler au CHU par foi en ce ser­vice public, et dans le res­pect du ser­ment d’Hippocrate.

Je dors très mal et pour être hon­nête je pense au boulot cons­tam­ment. J’ai peur que le stress me fasse oublier un soin, que la pres­sion m’ empê­che de pren­dre le temps avec un patient déprimé, que la fati­gue me fasse faire un mau­vais calcul de dose, admi­nis­trer un pro­duit au mau­vais patient... J’ai peur que ce métier que j’aime me trans­forme en assas­sin, invo­lon­tai­re­ment, par ce qu’on aura laissé la situa­tion se dégra­der. Parce que nous sommes tous res­pon­sa­bles : je suis l’infir­mière d’aujourd’hui mais nous sommes tous les patients de demain. VOUS pouvez être au bout de ma serin­gue, ou votre mari, votre enfant, votre proche.

Je vis l’insé­cu­rité dans mon tra­vail, alors que je le maî­trise pour­tant. Mais je suis humaine avant tout.

Vous serez ceux qui pâti­rez du manque de soi­gnants dans les ser­vi­ces : je n’aurai pas pu pren­dre le temps de vous donner des nou­vel­les du patient que vous aimez, je n’aurai pas pu gérer 2 situa­tions d’urgence à la fois... Faut-il atten­dre qu’il y ait des morts pour réagir et pren­dre cons­cience de ce qui se passe dans les hôpi­taux ???

Aujourd’hui, j’ai besoin de vous. Merci de bien vou­loir trans­fé­rer ce mail de manière la plus large pos­si­ble, pour infor­mer le plus de monde pos­si­ble. Si vous connais­sez des per­son­nes du monde hos­pi­ta­lier, jour­na­lis­ti­que, poli­ti­que ou autre, n’hési­tez pas à les sol­li­ci­ter.

Il faut se mobi­li­ser en masse pour être plus effi­cace, moi toute seule, je n’inté­resse per­sonne.

Merci pour votre atten­tion !

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Depuis la publi­ca­tion de cet arti­cle, nous avons reçu beau­coup d’autres témoi­gna­ges, mais nous ne pou­vons pas tous les repren­dre, faute de place.

Voici celui de Nathalie :

Je tiens à sou­te­nir le témoi­gnage de cette infir­mière, car je vis exac­te­ment la même chose dans ma cli­ni­que.

Je tra­vaille en chi­rur­gie et nous avons à charge bien sou­vent jusqu’à 25 patients par infir­mière.

Il arrive très fré­quem­ment que nous dou­blions les cham­bres seules pour faire face aux urgen­ces et pour répon­dre aux exi­gen­ces des chi­rur­giens, sans parler également des exi­gen­ces des admi­nis­tra­teurs qui se réjouis­sent lors­que la cli­ni­que est bien pleine ...

Le per­son­nel est également trop peu nom­breux, et les absen­ces ne sont pas tou­jours rem­pla­cées.

En plus de notre tra­vail d’infir­mière nous devons enca­drer les élèves, rem­pla­cer les bran­car­diers lorsqu’’ils sont partis ou absents et bien entendu faire office de secré­taire, de stan­dar­diste et de dié­té­ti­cienne.

Nous tra­vaillons dans le stress per­ma­nent et dans la crainte de se faire " insul­ter" par les méde­cins si par hasard nous n’allions pas assez vite, ou si nous étions dans l’impos­si­bi­lité de répon­dre à leurs som­ma­tions.

Comme ma col­lè­gue, je dors mal la nuit car je repense à ce que j’ai fait dans ma jour­née en espé­rant n’avoir rien oublié pour ne pas nuire à ma consœur.

Il est bien évident, que notre temps passé auprès du patient est chro­no­mé­tré. Les soins sont faits dans la hâte, ce qui limite notre temps de parole.

Je suis aussi très inquiète sur l’évolution de ma pro­fes­sion. Les salai­res n’évoluent pas et les res­pon­sa­bi­li­tés s’accrois­sent.

Je suis com­plè­te­ment contre le fait de réduire le temps d’études car les infir­miè­res doi­vent avoir de plus en plus de connais­san­ces pour faire face à l’absence des méde­cins, aux situa­tions d’urgence et aux inquié­tu­des des famil­les et des patients.

Il serait bien temps que nous soyons reconnues offi­ciel­le­ment BAC + 3, et niveau licence et que l’on reconnaisse nos com­pé­ten­ces, et notre savoir.

Le temps des Sœurs dévouées est révolu...

J’espère tou­jours voir le milieu hos­pi­ta­lier se rebel­ler sérieu­se­ment, et j’aime­rais que les syn­di­cats soient plus actifs et plus offen­sifs, afin de réunir la pro­fes­sion pour une sérieuse mobi­li­sa­tion.

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