Nouvelles règles de représentativité syndicale contraires au droit communautaire

8 novembre 2009

Le tribunal d’Instance de Brest juge les nouvelles règles de représentativité syndicale contraires au droit communautaire (jugement du 27.10.09)

Le tri­bu­nal d’Instance de Brest « cons­tate que les dis­po­si­tions des arti­cles L. 2324-2 [sur la com­po­si­tion du comité d’entre­prise], L. 2122-1 [sur la repré­sen­ta­ti­vité syn­di­cale dans l’entre­prise], L. 2143-3 [sur la dési­gna­tion de délé­gué syn­di­cal] et L. 2143-22 [sur les attri­bu­tions com­plé­men­tai­res des délé­gués syn­di­caux dans les entre­pri­ses de moins de 300 sala­riés] du code du Travail sont contrai­res au droit com­mu­nau­taire. »

Ce juge­ment du tri­bu­nal d’Instance de Brest du 27 octo­bre 2009 concerne une affaire oppo­sant, l’entre­prise SDMO Industries et l’union dépar­te­men­tale CFDT du Finistère à l’union dépar­te­men­tale Force ouvrière du Finistère. FO a tenté de dési­gner un délé­gué syn­di­cal dans l’entre­prise alors que, faute d’avoir obtenu plus de 10 % des suf­fra­ges au pre­mier tour des élections pro­fes­sion­nel­les, elle n’est pas consi­dé­rée repré­sen­ta­tive selon les dis­po­si­tions pré­vues dans la loi du 20 août 2008 por­tant réno­va­tion du dia­lo­gue social.

En l’espèce, le 2 avril 2009, lors de l’élection des délé­gués du per­son­nel et des mem­bres du comité d’entre­prise de la société SDMO Industries, FO a obtenu 7,01 % des suf­fra­ges vala­ble­ment expri­més au pre­mier tour, donc en deçà de la barre des 10 %. Par consé­quent, confor­mé­ment à la loi du 20 août 2008, le syn­di­cat FO ne peut être consi­déré comme repré­sen­ta­tif dans l’entre­prise. Malgré sa non repré­sen­ta­ti­vité, l’union dépar­te­men­tale FO du Finistère a tout de même dési­gné un délé­gué syn­di­cal au sein de celle-ci. L’entre­prise et l’union dépar­te­men­tale CFDT du Finistère, orga­ni­sa­tion repré­sen­ta­tive dans l’entre­prise à l’issue du scru­tin, ont l’une et l’autre for­mulé une requête en annu­la­tion de cette dési­gna­tion.

CONVENTIONS INTERNATIONALES

« Le repré­sen­tant FO s’est opposé aux deman­des d’annu­la­tion au motif que la loi du 20 août 2008 vio­le­rait les dis­po­si­tions des conven­tions inter­na­tio­na­les, des trai­tés, char­tes et déci­sions de la Cour euro­péenne des droits de l’Homme, dis­po­si­tions qui ont une auto­rité supé­rieure aux lois fran­çai­ses et qui s’impo­sent, selon la Cour de Justice euro­péenne, au juge natio­nal chargé de l’appli­ca­tion de la règle natio­nale incom­pa­ti­ble », rap­pelle le tri­bu­nal d’Instance de Brest dans son juge­ment.

En l’occur­rence, FO et son repré­sen­tant dans l’entre­prise « ne contes­tent pas les condi­tions d’appli­ca­tions [des dis­po­si­tions de la loi du 20 août 2008 sur la repré­sen­ta­ti­vité syn­di­cale dans l’entre­prise et sur la dési­gna­tion de délé­gué syn­di­cal] mais demande [de les] écarter comme étant contrai­res aux dis­po­si­tions inter­na­tio­na­les et com­mu­nau­tai­res ». Pour fonder son juge­ment, le tri­bu­nal d’Instance de Brest s’appuie sur l’arti­cle 11 rela­tif à la liberté de réu­nion et d’asso­cia­tion de la Convention de sau­ve­garde des droits de l’Homme et des liber­tés fon­da­men­ta­les et l’arti­cle 6 sur le droit de négo­cia­tion col­lec­tive de la Charte sociale euro­péenne.

« CONTRAIRE AU PRINCIPE DE LIBERTÉ SYNDICALE »

Selon le tri­bu­nal d’Instance de Brest, « l’obli­ga­tion de choi­sir le délé­gué syn­di­cal parmi les can­di­dats ayant obtenu au moins 10 % [des suf­fra­ges vala­ble­ment expri­més au pre­mier tour d’une élection pro­fes­sion­nelle] est contraire au prin­cipe de liberté syn­di­cale et cons­ti­tue une ingé­rence dans le fonc­tion­ne­ment syn­di­cal ». Ces nou­vel­les règles ont pour effet « d’empê­cher FO de par­ti­ci­per à toute négo­cia­tion au sein de l’entre­prise, élément essen­tiel à l’exer­cice du droit syn­di­cal, qui n’est pas com­pensé par le pos­si­bi­lité de dési­gner un repré­sen­tant [de sec­tion syn­di­cale] puis­que ce der­nier ne pos­sède pas une telle com­pé­tence, alors qu’il s’agit d’une orga­ni­sa­tion syn­di­cale repré­sen­ta­tive au niveau natio­nal [et] qu’elle repré­sente 12 % des suf­fra­ges des suf­fra­ges expri­més en ce qui concerne le pre­mier col­lège » (ouvriers et employés) dans l’entre­prise.

Pour le TI de Brest, ces règles inci­te­raient « les électeurs à se détour­ner d’un syn­di­cat dépourvu de tout pou­voir, d’empê­cher tout syn­di­cat de s’implan­ter dans une entre­prise où il n’inter­ve­nait pas pré­cé­dem­ment, en favo­ri­sant ainsi les situa­tions acqui­ses voire les mono­po­les ». Parallèlement, elles rédui­raient « pro­gres­si­ve­ment le nombre des orga­ni­sa­tions syn­di­ca­les contrai­re­ment aux dis­po­si­tions inter­na­tio­na­les[…] qui ten­dent au contraire à favo­ri­ser la liberté d’expres­sion ». De même, les dis­po­si­tions de la loi du 20 août 2008 auraient pour consé­quence, selon le tri­bu­nal d’Instance de Brest, de « donner pré­pon­dé­rance aux repré­sen­tants élus au détri­ment de la repré­sen­ta­tion dési­gnée, contrai­re­ment aux [textes inter­na­tio­naux men­tion­nés] qui sont des­ti­nés à contre­ba­lan­cer les pres­sions sus­cep­ti­bles d’être exer­cées sur l’électorat au sein des entre­pri­ses ».

REPRÉSENTATIVITÉ CATÉGORIELLE

Se fon­dant sur un prin­cipe d’égalité entre les syn­di­cats, le juge­ment remet aussi en cause les dis­po­si­tions sur la repré­sen­ta­ti­vité des orga­ni­sa­tions caté­go­riel­les pré­vues par la loi du 20 août 2008. Le tri­bu­nal consi­dère, en effet, que ces dis­po­si­tions, « qui per­met­tent à la CFE-CGC syn­di­cat caté­go­riel affi­lié à une confé­dé­ra­tion syn­di­cale caté­go­rielle inter­pro­fes­sion­nelle natio­nale, d’être repré­sen­ta­tive pour les sala­riés de la caté­go­rie qu’elle repré­sente en obte­nant au moins 10 % dans le seul col­lège où elle se pré­sente [le troi­sième, celui réservé aux ingé­nieurs, chefs de ser­vice et cadres admi­nis­tra­tifs, com­mer­ciaux ou tech­ni­ques assi­mi­lés], mais qui ne permet pas à un syn­di­cat inter­ca­té­go­riel, tel FO, qui a obtenu 12 % des voix sur le col­lège où il a pré­senté une liste, d’être repré­sen­ta­tif pour les sala­riés de ce col­lège, sont dis­cri­mi­na­toi­res et vio­lent les règles com­mu­nau­tai­res ».

Au final, le TI de Brest estime qu’ « il n’y a lieu à annu­la­tion de la dési­gna­tion [du syn­di­ca­liste pro­posé par l’union dépar­te­men­tale du Finistère] comme délé­gué syn­di­cal CGT-FO et repré­sen­tant syn­di­cal au Comité d’entre­prise ».

Mobilisant l’arti­cle 11 de la CEDH (Convention euro­péenne des droits de l’homme) sur la liberté syn­di­cale, l’arti­cle 6 de la charte sociale euro­péenne de 1961 (Conseil de l’Europe) sur l’exer­cice effec­tif du droit de négo­cia­tion col­lec­tive, la conven­tion 98 de l’OIT (droit de négo­cia­tion col­lec­tive) et l’arti­cle 28 de la charte des droits fon­da­men­taux de l’Union euro­péenne, le tri­bu­nal a conclu :

- « l’obli­ga­tion de choi­sir le délé­gué syn­di­cal parmi les can­di­dats ayant obtenu au moins 10 % est contraire à la liberté syn­di­cale et cons­ti­tue une ingé­rence dans le fonc­tion­ne­ment syn­di­cal ;

- l’obli­ga­tion de recueillir au moins 10 % des suf­fra­ges expri­més [...] a pour effet :

1/ d’empê­cher FO de par­ti­ci­per à toute négo­cia­tion au sein de l’entre­prise, élément essen­tiel du droit syn­di­cal, qui n’est pas com­pensé par la pos­si­bi­lité de dési­gner un repré­sen­tant syn­di­cal puis­que ce der­nier ne pos­sède pas une telle com­pé­tence, alors qu’il s’agit d’une orga­ni­sa­tion repré­sen­ta­tive au niveau natio­nal, qu’elle repré­sente 12 % des suf­fra­ges expri­més en ce qui concerne le pre­mier col­lège et que cette res­tric­tion n’est pas néces­saire ;

2/ d’inci­ter, en consé­quence, les électeurs à se détour­ner d’un syn­di­cat dépourvu de tout pou­voir, d’empê­cher tout syn­di­cat de s’implan­ter dans une entre­prise où il n’inter­ve­nait pas pré­cé­dem­ment, en favo­ri­sant ainsi les situa­tions acqui­ses, voire les mono­po­les ;

3/ de réduire pro­gres­si­ve­ment le nombre des orga­ni­sa­tions syn­di­ca­les contrai­re­ment aux dis­po­si­tions inter­na­tio­na­les sus­vi­sées qui ten­dent au contraire à favo­ri­ser la liberté d’expres­sion, ce qui risque également d’avoir pour effet de détour­ner les sala­riés de toute adhé­sion à un quel­conque syn­di­cat [...] ;

4/ de donner pré­pon­dé­rance aux repré­sen­tants élus au détri­ment de la repré­sen­ta­tion dési­gnée, contrai­re­ment aux dis­po­si­tions sus­vi­sées qui sont des­ti­nées à contre­ba­lan­cer les pres­sions sus­cep­ti­bles d’être exer­cées sur l’électorat au sein des entre­pri­ses ».

Source :
Dépêche AEF n°122387 de Jérôme Lepeytre (5 novem­bre 2009)

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Jugement Brest - (235.4 ko) - PDF
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