Psychiatrie, santé mentale : créons des postes pour éviter le naufrage !

Psychiatrie, santé mentale : créons des postes pour éviter le naufrage !

6 juin 2022

75 soignants lancent un appel dans une tribune

« Un diman­che d’avril aux urgen­ces d’un grand hôpi­tal de la région pari­sienne, 18 patients atten­dent une prise en charge psy­chia­tri­que, tous dans des situa­tions graves impo­sant une hos­pi­ta­li­sa­tion immé­diate : crise sui­ci­daire, bouf­fées déli­ran­tes avec agi­ta­tion, états dépres­sifs extrê­mes, etc. Pour accueillir, évaluer, ras­su­rer, sur­veiller, soi­gner, contac­ter les famil­les et les hôpi­taux pour ces 18 patients : un psy­chia­tre et un infir­mier, et des locaux insuf­fi­sants. Ce débor­de­ment des capa­ci­tés d’accueil se tra­duit par des heures et des jours d’attente sur un bran­card ou une chaise dans un cou­loir, des fugues, des agi­ta­tions, voire des bagar­res, et for­cé­ment des pro­fes­sion­nels débor­dés et épuisés, ne sou­hai­tant qu’une chose : chan­ger de poste, d’hôpi­tal, voire de métier. Quel gâchis !

La situa­tion d’engor­ge­ment des urgen­ces psy­chia­tri­ques n’est pas nou­velle, elle s’aggrave d’année en année, en psy­chia­trie d’adul­tes comme en pédo­psy­chia­trie. Mais, depuis la pan­dé­mie, nous vivons une accé­lé­ra­tion dra­ma­ti­que de cet engre­nage. Deux rai­sons prin­ci­pa­le­ment : l’aug­men­ta­tion très forte des besoins de soins psy­chia­tri­ques d’une part, et la fer­me­ture de très nom­breux lits dans les ser­vi­ces spé­cia­li­sés par pénu­rie de per­son­nel soi­gnant d’autre part.

Pour nombre d’états psy­chia­tri­ques aigus, et d’autant plus dans des contex­tes sociaux dégra­dés, le recours à l’hos­pi­ta­li­sa­tion est incontour­na­ble. Il est certes néces­saire d’inter­ve­nir en amont des crises et en ambu­la­toire, et ceci se fait de mieux en mieux. Mais il res­tera tou­jours des situa­tions impo­sant un temps d’hos­pi­ta­li­sa­tion. Or, le tra­vail en unités de soins psy­chia­tri­ques, notam­ment les plus inten­si­ves, est par­ti­cu­liè­re­ment éprouvant et stres­sant. Il s’agit d’un tra­vail d’équipe qui peut être pas­sion­nant mais qui demande de passer un temps long auprès des patients et de les accom­pa­gner dans leurs souf­fran­ces.

Beaucoup de soi­gnants ont heu­reu­se­ment cette voca­tion et cette com­pé­tence, et grâce à eux de très bons résul­tats thé­ra­peu­ti­ques peu­vent être obte­nus. Mais hélas tout est fait aujourd’hui pour les dis­sua­der de s’y inves­tir et d’y trou­ver du sens : on leur demande de faire tou­jours plus vite, avec moins de per­son­nels et moins de moyens, et pèsent sur eux de plus en plus de char­ges admi­nis­tra­ti­ves. Les effec­tifs sont cal­cu­lés au plus juste, sans tenir compte sou­vent des spé­ci­fi­ci­tés des soins psy­chia­tri­ques et des aléas des absen­ces et des situa­tions dif­fi­ci­les (pics de patients, crises diver­ses, etc.).

Cette perte de sens et cette pres­sion du temps et des économies à réa­li­ser génè­rent un cercle vicieux de la pénu­rie. Pas assez nom­breux à la base (même quand tous les postes sont occu­pés), les soi­gnants quit­tent nos hôpi­taux ou sont absents pour des rai­sons de santé, ce qui réduit encore plus les effec­tifs dis­po­ni­bles. On demande alors aux per­son­nels de se rem­pla­cer d’un ser­vice à l’autre, de faire des heures sup­plé­men­tai­res, et de chan­ger d’horai­res en per­ma­nence. Cela les incite encore plus à quit­ter le navire, avec un effet domi­nos sur l’ensem­ble des ser­vi­ces de psy­chia­trie et d’urgence où la charge de tra­vail aug­mente. Le prin­ci­pal motif de décou­ra­ge­ment des per­son­nels n’est pas le mon­tant des rému­né­ra­tions mais les condi­tions de tra­vail, le stress, le sen­ti­ment d’épuisement et d’insé­cu­rité, et le déca­lage entre les aspi­ra­tions pro­fes­sion­nel­les et la réa­lité du tra­vail imposé.

Alors que nous man­quons de can­di­dats, il pour­rait paraî­tre illu­soire de fixer des objec­tifs de per­son­nels à la hausse. Mais ne pas affi­cher de telles ambi­tions nor­ma­les ne fait que nour­rir la pénu­rie : les postes ne sont pas attrac­tifs quand les can­di­dats cons­ta­tent que, de toute façon, ils seront en nombre insuf­fi­sant pour soi­gner cor­rec­te­ment. La défi­ni­tion de ratios mini­maux de soi­gnants par ser­vice est une néces­sité vitale, récla­mée par tous ceux qui s’inquiè­tent de l’avenir de nos hôpi­taux (rap­port du Sénat en 2022, contrô­leur géné­ral des lieux de pri­va­tion de liberté, etc.). Les auto­ri­tés s’y refu­sent, crai­gnant de ne pas avoir les moyens de finan­cer de telles mesu­res, mais cette abs­ten­tion risque de coûter beau­coup plus cher à notre société très rapi­de­ment.

La fer­me­ture de ser­vi­ces, voire d’hôpi­taux, ne peut conduire qu’à des drames humains par absence de soins, avec des consé­quen­ces économiques évidentes : chô­mage, arrêts de tra­vail, com­pli­ca­tions socia­les, etc. Il faut conti­nuer à déve­lop­per les soins ambu­la­toi­res, la pré­ven­tion des crises et les pra­ti­ques orien­tées vers le réta­blis­se­ment mais, tant qu’elles sont néces­sai­res, main­te­nir des équipes d’hos­pi­ta­li­sa­tion en effec­tifs suf­fi­sants pour éviter toute mal­trai­tance.

La solu­tion existe donc. Qui pourra pren­dre enfin cette déci­sion cou­ra­geuse de des­ser­rer le carcan qui contraint sans cesse les effec­tifs hos­pi­ta­liers et nous mène au nau­frage ? Les direc­tions hos­pi­ta­liè­res se doi­vent d’équilibrer leurs bud­gets et de res­pec­ter des pla­fonds d’emploi, et les ARS ne peu­vent accor­der des bud­gets qu’elles n’ont pas. Le minis­tre de la Santé ne semble pas avoir ce pou­voir, l’enga­ge­ment doit venir de plus haut. Quoi qu’il en soit, et quoi qu’il en coûte, si rien n’est fait dans ce sens, un avenir très sombre nous attend. »

75 soi­gnants lan­cent un appel dans une tri­bune
https://www.lepa­ri­sien.fr/societe/sante/le-sos-des-psy­chia­tres-lance-a-la-pre­miere-minis­tre-30-05-2022-IXIHFMSPXFGK3ASUR7OPC2ZOAI.php

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