Canicule à l’hôpital : des vies en danger, faute d’adaptation

2 juillet 2025
Chaque été, la chaleur revient. Et avec elle, les morts évitables. Malgré les alertes, la France n’est toujours pas prête. Pourquoi nos hôpitaux ne tiennent-ils pas face à la canicule ? Et comment y remédier ?
Ventilateurs bruyants, climatisations vétustes, soignants épuisés, chambres surchauffées : dans nos hôpitaux, l’été n’a plus rien d’une saison tranquille. À mesure que les températures grimpent, le système craque. Pourtant, depuis 2003, les signaux d’alarme se répètent. Mais vingt ans plus tard, la réponse reste lacunaire, désarticulée, souvent improvisée. Et chaque été devient une course contre la montre – et contre la mort.
Les vagues de chaleur ne sont plus des événements exceptionnels. Elles deviennent la norme. En 2022, Santé publique France a recensé 2 816 décès en excès attribuables à la canicule. En 2023, six épisodes de chaleur intense ont été enregistrés, pour un bilan estimé à plus de 1 800 morts. Ces chiffres, alarmants, concernent majoritairement des personnes âgées, isolées, ou souffrant de maladies chroniques. Et beaucoup de ces décès surviennent à domicile ou dans des établissements de santé, preuve que la prévention comme la prise en charge sont largement insuffisantes.
Nos hôpitaux, souvent construits dans les années 60 à 80, ne sont pas conçus pour affronter des températures extrêmes. Selon la Fédération hospitalière de France (FHF), près de 60 % des bâtiments hospitaliers ont plus de 25 ans, sans rénovation thermique suffisante. Dans de nombreux services, les fenêtres restent bloquées, les volets absents, la climatisation inexistante ou réservée aux blocs opératoires. Les chambres peuvent atteindre 32°C l’après-midi. Certains patients sont perfusés sous des ventilateurs d’appoint. D’autres reçoivent des soins dans des salles où l’air est devenu irrespirable.
La chaleur aggrave pourtant tout : décompensations cardiaques, délires, troubles électrolytiques, insuffisance rénale aiguë. Elle transforme un séjour hospitalier en facteur de risque. Et pour les équipes, c’est un épuisement supplémentaire dans un contexte déjà tendu.
L’été, censé être une période de répit, se transforme en zone de turbulence pour l’hôpital. Faute de personnels disponibles, les plannings sont fragiles. Faute de remplaçants, des services ferment ou tournent au ralenti. Faute d’anticipation, la canicule devient une crise de plus.
Depuis des années, les soignants alertent : les plans canicule sont insuffisants. La mobilisation est souvent trop tardive, les moyens sont dérisoires, et les solutions, bricolées. « On fait prendre des douches froides aux patients, on pose des linges humides, on met des blocs de glace devant des ventilateurs. Ce sont des expédients, pas une réponse adaptée », témoignent les soignants.
Les recommandations ministérielles arrivent, mais sans moyens concrets. L’État demande de protéger les plus vulnérables, mais sans débloquer les crédits nécessaires pour équiper les services, recruter du personnel ou financer des travaux urgents. Dans les faits, les soignants restent seuls, à improviser des solutions dans des conditions de plus en plus intenables. précise Thierry Amouroux, le porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI.
En dehors de l’hôpital, les établissements médico-sociaux sont encore plus exposés. La fédération nationale des directeurs d’EHPAD, a mené cette enquête flash en juin 2023 auprès de 1 500 établissements : elle dresse un état des lieux précis sur le confort thermique en période de canicule. Ses résultats, largement repris par la Cour des comptes, montrent que seulement 13 % des EHPAD interrogés disposaient d’un système de rafraîchissement adapté. Or, les résidents sont particulièrement sensibles à la chaleur : troubles cognitifs, difficulté à exprimer leur inconfort, faible sensation de soif, perte d’autonomie.
Le rapport de la Cour des comptes de 2023 sur les risques climatiques dans le secteur médico-social est sans appel : l’adaptation au changement climatique est largement en retard. La majorité des EHPAD sont vétustes, sous-financés, et peinent déjà à faire face aux besoins quotidiens. Alors lorsque la température grimpe, c’est la survie qui est en jeu.
Ce qu’il faut faire, selon le SNPI
1. Rénover massivement les bâtiments de santé
L’adaptation climatique doit commencer par des chantiers concrets : isolation thermique, ventilation naturelle, protections solaires, végétalisation, création d’îlots de fraîcheur, remplacement des équipements obsolètes. Ce ne sont pas des « améliorations de confort », mais des mesures de sécurité pour les patients et les équipes.
2. Intégrer la chaleur dans les risques sanitaires reconnus
Il est temps de considérer la chaleur extrême comme un facteur aggravant des pathologies. Cela suppose de former les équipes, d’élaborer des protocoles clairs de détection des signes de déshydratation ou de coup de chaleur, et de renforcer les moyens de prévention dès l’entrée du patient.
3. Renforcer les effectifs en période estivale
Chaque année, les absences estivales sont connues à l’avance. Et chaque année, les hôpitaux manquent de bras. Il faut anticiper, organiser des remplacements, prévoir des renforts régionaux. Cela nécessite un volant de soignants formés, disponibles, rémunérés à la hauteur de l’enjeu.
4. Redonner une place centrale aux infirmiers dans la stratégie climat-santé
Les soignants ne doivent pas être les derniers informés. Leur expérience de terrain, leur expertise clinique, leur connaissance fine des patients vulnérables en font des acteurs clés de l’adaptation climatique. Ils doivent siéger dans les comités de pilotage, être écoutés dans les choix d’équipements, et formés pour devenir forces de proposition.
L’éco-infirmier : acteur-clé de la résilience
Dans ce contexte, une figure se dessine avec de plus en plus de pertinence : celle de l’éco-infirmier. Formé à l’interface entre santé et environnement, il identifie les risques climatiques pour les patients, évalue les vulnérabilités, et propose des solutions concrètes, durables, souvent low-tech mais efficaces.
L’éco-infirmier sensibilise aussi ses collègues, les familles, les patients : comment repérer les signes d’un coup de chaleur ? Comment rafraîchir une chambre sans climatisation ? Comment adapter l’hydratation ou l’alimentation en période de forte chaleur ? Ce rôle éducatif et préventif est essentiel, et devrait être reconnu et valorisé au sein des établissements.
Dans plusieurs pays, comme la Belgique ou le Canada, ce type de profil s’intègre déjà dans les plans d’adaptation hospitaliers. En France, il est encore marginal. Pourtant, face à un risque désormais structurel, il pourrait devenir un levier puissant de transformation, alliant expertise infirmière, écologie pratique et réponse aux besoins du terrain.
En conclusion, chaque été, la canicule teste la résilience de notre système de santé. Chaque été, les hôpitaux s’échauffent, les personnels s’épuisent, les patients souffrent – parfois jusqu’à en mourir. Et chaque été, les mêmes constats reviennent, sans réponses à la hauteur.
Nous savons ce qu’il faut faire. Ce qui manque, ce n’est ni la connaissance, ni les recommandations. C’est la volonté politique et les investissements. Adapter les hôpitaux au dérèglement climatique, reconnaître le rôle des soignants dans cette transition, soutenir l’émergence de l’éco-infirmier, ce n’est pas un luxe. C’est une nécessité vitale. Pour continuer à soigner, même quand le thermomètre s’affole.