Ratios : dotation en personnel infirmier sûre, fondée sur des données probantes (CII)

Ratios : dotation en personnel infirmier sûre, fondée sur des données probantes (CII)

27 mars 2024

En tant que voix mondiale des soins infirmiers et conscient du fait qu’une dotation sûre en personnel infirmier est déterminante pour préserver tant la qualité que la sécurité des soins prodigués aux patients, le Conseil International des Infirmières CII a analysé l’impact des ratios de patients par infirmière

Les soins infir­miers sont un ser­vice fon­da­men­tal dans tous les soins de santé.
Une « dota­tion en per­son­nel infir­mier sûre » signi­fie qu’un nombre appro­prié d’infir­miè­res munies d’un mélange adé­quat d’éducation, de com­pé­ten­ces et d’expé­rience, est dis­po­ni­ble en tout temps et dans tout le conti­nuum de soins, de telle sorte que les besoins des patients soient satis­faits ; et que l’envi­ron­ne­ment et les condi­tions de tra­vail per­met­tent au per­son­nel de pro­di­guer des soins de qua­lité.

Une dota­tion en per­son­nel infir­mier sûre est un élément déter­mi­nant de la sécu­rité des patients et de la qua­lité des soins dans les hôpi­taux, dans la com­mu­nauté et dans tous les contex­tes où des soins sont pro­di­gués. Les effec­tifs d’infir­miè­res insuf­fi­sants ou ina­dé­quats aug­men­tent le risque de soins com­pro­mis, d’appa­ri­tion d’événements indé­si­ra­bles au détri­ment des patients, de résul­tats cli­ni­ques moins bons, de décès de patients hos­pi­ta­li­sés et d’expé­rience néga­tive des patients au contact des soins1-7.

Le fait de dis­po­ser d’effec­tifs insuf­fi­sants ou ina­dé­quats de per­son­nel infir­mier par rap­port aux besoins des patients entraîne également des char­ges de tra­vail insup­por­ta­bles et nuit à la santé et au bien-être du per­son­nel 4,5,8.

La recher­che sug­gère que l’inves­tis­se­ment dans des niveaux de dota­tion en per­son­nel infir­mier sûrs, effi­ca­ces et répon­dant aux besoins peut être ren­ta­ble, amé­lio­rer la santé des patients et pré­ve­nir sa dété­rio­ra­tion, et ainsi réduire la durée et l’inten­sité des inter­ven­tions de soins de santé9,10. Les preu­ves qui s’accu­mu­lent témoi­gnent de l’impor­tance d’une dota­tion en per­son­nel infir­mier sûre pour assu­rer la sécu­rité des patients dans tous les sec­teurs des soins de santé.

Plusieurs éléments condi­tion­nent une dota­tion en per­son­nel infir­mier sûre, fondée sur des don­nées pro­ban­tes :
• une évaluation en temps réel des besoins des patients ;
• une évaluation locale du niveau de dota­tion en per­son­nel infir­mier néces­saire pour assu­rer tel ou tel ser­vice ;
• l’exis­tence de modè­les de pres­ta­tion de soins infir­miers et inter­dis­ci­pli­nai­res qui per­met­tent aux infir­miè­res de tra­vailler dans la pleine mesure de leur domaine d’exer­cice ;
• l’appli­ca­tion de bonnes pra­ti­ques dans le domaine des res­sour­ces humai­nes, pour recru­ter et fidé­li­ser le per­son­nel infir­mier ;
• des milieux de tra­vail sains, des poli­ti­ques et ser­vi­ces en matière de santé et de sécu­rité au tra­vail qui favo­ri­sent une pra­ti­que pro­fes­sion­nelle de haute qua­lité ;
• des sys­tè­mes de pla­ni­fi­ca­tion de la main-d’œuvre garan­tis­sant que l’offre de per­son­nel cor­res­pond aux besoins des patients ;
• l’appli­ca­tion d’outils pour mesu­rer la charge de tra­vail et sa ges­tion ;
• l’établissement de listes de ser­vice, pour faire en sorte que la pla­ni­fi­ca­tion réponde aux fluc­tua­tions pré­vues de la charge de tra­vail ;
• des indi­ca­teurs per­met­tant d’évaluer l’impact de la dota­tion en per­son­nel infir­mier sur les soins ; et des poli­ti­ques pour orien­ter et favo­ri­ser les meilleu­res pra­ti­ques dans tous ces domai­nes9,11,12.

Il importe de dis­po­ser d’une dota­tion de base adé­quate en per­son­nel infir­mier muni d’une gamme de com­pé­ten­ces pou­vant être déployées de manière à répon­dre, en temps réel, à une acuité des patients fluc­tuante et évolutive. Des sys­tè­mes de pla­ni­fi­ca­tion des res­sour­ces humai­nes qui ali­gnent les besoins des patients et des com­mu­nau­tés sur l’offre de soins infir­miers devraient être en place.

La défi­ni­tion d’exi­gen­ces opti­ma­les en matière de dota­tion de per­son­nel est une ques­tion com­plexe. Actuellement, un cer­tain nombre d’outils de pla­ni­fi­ca­tion et de modé­li­sa­tion des res­sour­ces humai­nes exis­tent pour faire cor­res­pon­dre les besoins des patients et les exi­gen­ces du ser­vice avec les effec­tifs et les com­pé­ten­ces néces­sai­res en matière de soins infir­miers. La fia­bi­lité de ces outils dépend de l’exis­tence de don­nées de très bonne qua­lité au sujet des patients et de la dota­tion en per­son­nel. Ces outils doi­vent être appli­qués conjoin­te­ment au juge­ment pro­fes­sion­nel13. Le lea­der­ship et l’enga­ge­ment des infir­miè­res sont cru­ciaux, de même que l’octroi aux infir­miè­res de l’auto­no­mie néces­saire en matière de bud­gé­ti­sa­tion, de concep­tion et d’appli­ca­tion des modè­les et outils de dota­tion. On a montré que les infir­miè­res cadres jouent un rôle vital au niveau des conseils d’admi­nis­tra­tion, en tant que chefs de file pro­fes­sion­nels assu­mant une auto­rité visi­ble 9.

Certaines orga­ni­sa­tions de soins de santé ont ins­tauré des niveaux obli­ga­toi­res et sûrs de dota­tion en per­son­nel : les don­nées dis­po­ni­bles mon­trent que cette mesure entraîne une amé­lio­ra­tion des résul­tats pour les patients (recul de la mor­ta­lité) et pour les infir­miè­res (réten­tion, satis­fac­tion au tra­vail, réduc­tion de la charge de tra­vail)14.

Quels que soient les outils ou les sys­tè­mes uti­li­sés pour évaluer et pla­ni­fier les niveaux de dota­tion en per­son­nel infir­mier, une ana­lyse com­pa­ra­tive avec des domai­nes cli­ni­ques com­pa­ra­bles et avec des pra­ti­ques opti­ma­les reconnues peut four­nir un point de réfé­rence utile. Un ensem­ble agréé de don­nées en temps réel, accom­pa­gné d’indi­ca­teurs per­ti­nents et cohé­rents, doit exis­ter à l’appui de l’élévation des niveaux de dota­tion pour, si néces­saire, tenir compte des absen­ces nor­ma­les au sein du per­son­nel. Il devrait également exis­ter des pro­ces­sus d’examen et d’évaluation pério­di­ques, ainsi que des méca­nis­mes de décla­ra­tion clairs à l’inten­tion des équipes de direc­tion des orga­ni­sa­tions, afin que le finan­ce­ment soit suf­fi­sant pour pré­ser­ver la sécu­rité des patients.

En tout temps, les cadres infir­miers devraient pou­voir, par l’exer­cice de leur juge­ment pro­fes­sion­nel, contrô­ler et ajus­ter le niveau de dota­tion en per­son­nel infir­mier de manière à assu­rer la sécu­rité des patients. En cas de dota­tion insuf­fi­sante en per­son­nel infir­mier, des ajus­te­ments devraient être appor­tés aux sys­tè­mes qui contrô­lent le flux ou l’admis­sion des patients afin d’assu­rer le res­pect des normes de sécu­rité.

Quels que soient les envi­ron­ne­ments de soins de santé, des outils de pla­ni­fi­ca­tion vali­des et fia­bles, une dota­tion en per­son­nel infir­mier fondée sur des don­nées pro­ban­tes et des pro­ces­sus d’examen soli­des sont néces­sai­res pour per­met­tre la pres­ta­tion de soins infir­miers effi­ca­ces en toute sécu­rité.

Un corpus sub­stan­tiel et tou­jours plus vaste d’éléments pro­bants démon­tre qu’il existe un lien entre la dota­tion en per­son­nel infir­mier et les résul­tats pour les patients1-7, notam­ment un recul des événements indé­si­ra­bles tels qu’ulcè­res de pres­sion, infec­tions de la voie uri­naire, mal­nu­tri­tion et dété­rio­ra­tion de la capa­cité de réa­li­ser les acti­vi­tés de la vie quo­ti­dienne.

Ont aussi été obser­vés une réduc­tion du nombre des réad­mis­sions à l’hôpi­tal et de la durée des hos­pi­ta­li­sa­tions, un risque dimi­nué de com­pli­ca­tions noso­co­mia­les et une satis­fac­tion des patients en haus­se2,15,16. Un nombre insuf­fi­sant d’infir­miè­res entraîne, d’une part, une réponse ina­dé­quate ou retar­dée à une dété­rio­ra­tion cli­ni­que chez un patient, et, d’autre part, une inca­pa­cité à pro­di­guer des soins infir­miers, avec pour résul­tat des pro­blè­mes de santé chez le patient et une aug­men­ta­tion de la mor­bi­dité et de la mor­ta­lité17-19.

Un niveau plus élevé d’infir­miè­res diplô­mées pro­cure des avan­ta­ges immé­diats : la pré­sence d’une infir­mière diplô­mée sup­plé­men­taire pour dix lits est ainsi asso­ciée à une baisse du nombre des décès trente jours après un AVC de 11 % à 28 % et, un an après un AVC, de 8 % à 12 %20. Les don­nées dis­po­ni­bles mon­trent que les hôpi­taux qui emploient une plus grande pro­por­tion d’infir­miè­res titu­lai­res d’un bache­lor obtien­nent de meilleurs résul­tats pour les patients et enre­gis­trent des taux de mor­ta­lité moins élevés7. Les com­pé­ten­ces de réflexion cri­ti­que des infir­miè­res diplô­mées sont liées à des résul­tats amé­lio­rés pour les patients et à une mor­ta­lité réduite.

Le fait de rem­pla­cer ces infir­miè­res diplô­mées par du per­son­nel infir­mier et de sou­tien plus nom­breux mais moins qua­li­fié ou moins formé (infir­miè­res assis­tan­tes diplô­mées et aides-soi­gnants) est asso­cié à des taux supé­rieurs de mor­ta­lité à l’hôpi­tal, à une baisse de la ren­ta­bi­lité et à une aug­men­ta­tion des événements indé­si­ra­bles (tels qu’erreurs dans l’admi­nis­tra­tion des médi­ca­ments et chutes) et enfin à des résul­tats de santé moins favo­ra­bles pour les patients6,7.

S’agis­sant du bien-être des infir­miè­res, une dota­tion insuf­fi­sante risque de conduire à une moins bonne satis­fac­tion au tra­vail, à davan­tage de stress, à l’épuisement du per­son­nel, à une ten­dance plus grande aux départs et à l’aug­men­ta­tion du taux de rota­tion parmi le per­son­nel4-6,8. Plusieurs études ont montré que cette situa­tion avait des réper­cus­sions très impor­tan­tes en termes de res­sour­ces21,22,23.

Les pénu­ries d’infir­miè­res, les coupes bud­gé­tai­res dans la santé, la répar­ti­tion iné­qui­ta­ble des infir­miè­res à l’échelle mon­diale et la migra­tion des infir­miè­res des pays à faible revenu vers les pays à revenu élevé inci­tent cer­tai­nes orga­ni­sa­tions à essayer d’autres moda­li­tés de dota­tion en per­son­nel et de nou­veaux mélan­ges de com­pé­ten­ces. Pour tenter de remé­dier à une pénu­rie d’infir­miè­res diplô­mées et pour réduire leur fac­ture sala­riale, plu­sieurs pays rem­pla­cent des infir­miè­res diplô­mées par des agents de santé de sou­tien et créent de nou­veaux rôles, confiés à d’autres per­son­nels que les infir­miè­res diplô­mées. Ces appro­ches doi­vent inci­ter à la pru­dence car les éléments pro­bants dont nous dis­po­sons sug­gè­rent qu’elles ris­quent d’aggra­ver les résul­tats pour les patients et qu’elles ne sont pas néces­sai­re­ment d’un bon rap­port coût-effi­ca­ci­té24. Au contraire, les don­nées rela­ti­ves aux infir­miè­res diplô­mées démon­trent clai­re­ment qu’elles sau­vent des vies, rédui­sent les coûts et amé­lio­rent la per­for­mance des sys­tè­mes.

En tant que voix mon­diale des soins infir­miers et cons­cient du fait qu’une dota­tion sûre en per­son­nel infir­mier est déter­mi­nante pour pré­ser­ver tant la qua­lité que la sécu­rité des soins pro­di­gués aux patients, le CII affirme les prin­ci­pes fon­da­men­taux sui­vants.
• Les déci­sions rela­ti­ves à la dota­tion en per­son­nel infir­mier doi­vent répon­dre aux besoins de soins de santé des clients et per­met­tre la four­ni­ture de soins sûrs, com­pé­tents, éthiques, de qua­lité et basés sur des éléments pro­bants.
• Des sys­tè­mes et des poli­ti­ques de pla­ni­fi­ca­tion des res­sour­ces humai­nes robus­tes, vali­des et fondés sur des éléments pro­bants doi­vent être en place pour faire cor­res­pon­dre l’offre de soins infir­miers avec les besoins de santé des patients et de la popu­la­tion.
• Les déci­sions en matière de dota­tion en per­son­nel infir­mier doi­vent être fon­dées sur des don­nées pro­ban­tes et appuyées par des sys­tè­mes d’infor­ma­tion uti­li­sant des don­nées fia­bles et recueillies en temps réel, des indi­ca­teurs conve­nus, des ana­ly­ses com­pa­ra­ti­ves et des pra­ti­ques opti­ma­les.
• Il est essen­tiel d’ajus­ter en temps oppor­tun la dota­tion en per­son­nel infir­mier, selon l’évolution des besoins de soins de santé des patients.
• Les infir­miè­res diplô­mées ne doi­vent pas être rem­pla­cées par des caté­go­ries de tra­vailleurs moins qua­li­fiés.
• Il faut iden­ti­fier des seuils de sécu­rité rela­tifs à la dota­tion en per­son­nel infir­mier dans dif­fé­rents milieux.
• Des évaluations de la dota­tion doi­vent être faites régu­liè­re­ment sur la base de preu­ves actua­li­sées et des meilleu­res pra­ti­ques s’agis­sant de la rela­tion entre les infir­miè­res diplô­mées et les intrants du milieu de tra­vail ; et sur la base des résul­tats enre­gis­trés par les patients, les infir­miè­res, l’orga­ni­sa­tion et le sys­tème.
• La pri­mauté du juge­ment pro­fes­sion­nel de l’infir­mière diplô­mée doit être res­pec­tée au moment de déter­mi­ner quels effec­tifs et quels ratios sont néces­sai­res pour assu­rer la sécu­rité.
• Le per­son­nel infir­mier chargé des soins directs de même que les res­pon­sa­bles des ser­vi­ces infir­miers devraient par­ti­ci­per à toutes les étapes de la concep­tion et de l’exploi­ta­tion des sys­tè­mes de dota­tion en per­son­nel infir­mier, ainsi qu’à l’élaboration des poli­ti­ques et à la prise de déci­sion en matière de ges­tion des res­sour­ces humai­nes.
• Les orga­ni­sa­tions devraient inté­grer au moins une infir­mière au niveau exé­cu­tif pour assu­rer la pres­ta­tion de soins de santé sûrs, effi­ca­ces, de haute qua­lité, éthiques et effi­cients. Les infir­miè­res à ce niveau devraient pou­voir exer­cer leur auto­rité sur les bud­gets consa­crés aux soins infir­miers, afin de garan­tir la sécu­rité de la dota­tion en per­son­nel.
• Les orga­ni­sa­tions qui repré­sen­tent les infir­miè­res devraient être au cœur de l’élaboration, de la mise en œuvre et de l’évaluation de poli­ti­ques et sys­tè­mes garan­tis­sant une dota­tion sûre en per­son­nel infir­mier.
• Il est essen­tiel de pour­sui­vre les recher­ches sur la sécu­rité des patients, sur la qua­lité des soins, sur le bien-être du per­son­nel et sur les avan­ta­ges économiques d’une dota­tion sûre.

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