Inflation, précarité et carences : en France, des enfants souffrent du scorbut

Inflation, précarité et carences : en France, des enfants souffrent du scorbut

23 décembre 2024

Le scor­but, mala­die emblé­ma­ti­que des marins du XVIIIe siècle, refait sur­face dans un contexte qui semble tout droit sorti d’un mau­vais rêve. En France, des enfants de 5 à 10 ans en souf­frent aujourd’hui, vic­ti­mes d’une pré­ca­rité gran­dis­sante. Une patho­lo­gie que l’on croyait dis­pa­rue, mais dont les chif­fres témoi­gnent d’un retour préoc­cu­pant : entre 2020 et 2023, les hos­pi­ta­li­sa­tions pour scor­but chez les mineurs ont bondi de près de 2 % chaque mois.

Derrière ces sta­tis­ti­ques se cache une réa­lité bru­tale : des dou­leurs osseu­ses, des hémor­ra­gies, une fai­blesse géné­ra­li­sée. Ces symp­tô­mes, sou­vent invi­si­bles au départ, tra­dui­sent une carence extrême en vita­mine C, causée par une ali­men­ta­tion défi­ciente en fruits et légu­mes. Mais com­ment est-il pos­si­ble qu’en France, sixième puis­sance mon­diale, des enfants man­quent d’une simple orange ?

La pré­ca­rité, racine du pro­blème

La réponse se trouve dans une série de crises qui ont creusé les iné­ga­li­tés socia­les et limité l’accès à des ali­ments frais et variés. La pan­dé­mie de Covid-19 a marqué un tour­nant : elle a fra­gi­lisé de nom­breu­ses famil­les, mul­ti­plié les pertes d’emploi et aug­menté les dépen­ses contrain­tes. À cela s’est ajou­tée une infla­tion galo­pante, exa­cer­bée par la guerre en Ukraine, qui a fait explo­ser les prix des den­rées ali­men­tai­res.

En France, 7 mil­lions de per­son­nes sont concer­nées par l’aide ali­men­taire : un Français sur six ne mange pas à sa faim aujourd’hui. Par ailleurs, 45% de la popu­la­tion déclare se res­trein­dre sur ses dépen­ses ali­men­tai­res et perdre en qua­lité nutri­tive. Les chif­fres de fré­quen­ta­tion des dis­tri­bu­tions ali­men­tai­res mon­trent une pro­gres­sion du nombre de béné­fi­ciai­res de 35 % sur quatre ans. Les jeunes sont les pre­miè­res vic­ti­mes : 19 % d’étudiants décla­raient ne pas manger à leur faim et sauter plus de trois repas par semaine. Le cumul des dif­fi­cultés est aussi à sou­li­gner : 22% des per­son­nes mala­des, en mau­vaise santé ou souf­frant d’un han­di­cap man­quent de nour­ri­ture. C’est d’autant plus insup­por­ta­ble que la richesse glo­bale de la France a aug­menté d’envi­ron 12 % depuis 10 ans.

Les fruits et légu­mes, pour­tant essen­tiels pour pré­ve­nir le scor­but, sont deve­nus inac­ces­si­bles pour les ména­ges les plus modes­tes. Aujourd’hui, prio­ri­ser le volume au détri­ment de la qua­lité est une néces­sité pour beau­coup. Résultat : des caren­ces nutri­tion­nel­les graves appa­rais­sent, affec­tant en pre­mier lieu les enfants, dont l’ali­men­ta­tion est cru­ciale pour la crois­sance.

L’étude publiée dans The Lancet montre une forte cor­ré­la­tion entre le nombre de cas de scor­but et l’infla­tion. Parmi les mineurs hos­pi­ta­li­sés après 2020, près de 23 % étaient également en situa­tion de mal­nu­tri­tion sévère. Plus alar­mant encore, la pro­por­tion d’enfants béné­fi­ciant de la Couverture Maladie Universelle (CMU) est passée de 20 % à 27 %, sou­li­gnant le lien direct entre pré­ca­rité et retour de cette mala­die du passé.

Le rôle des infir­miè­res : un maillon clé

Face à cette urgence sani­taire, les infir­miè­res jouent un rôle cen­tral. Présentes au sein des PMI (Protection Maternelle et Infantile) et des établissements sco­lai­res, elles sont en pre­mière ligne pour détec­ter les signaux fai­bles : enfants fati­gués, pro­blè­mes den­tai­res, retards de crois­sance. Elles sont aussi les pre­miè­res à aler­ter sur la dégra­da­tion des condi­tions de vie des famil­les.

En plus de leur rôle cli­ni­que, les infir­miè­res sont des éducatrices de santé, capa­bles d’accom­pa­gner les parents vers des solu­tions acces­si­bles. Une ali­men­ta­tion riche en vita­mine C ne néces­site pas for­cé­ment des pro­duits coû­teux. Des ali­ments comme les pommes de terre, le chou, les épinards ou les agru­mes peu­vent être inté­grés à moin­dre coût, à condi­tion d’en connaî­tre les béné­fi­ces. En soins de ville, de part le lien de confiance tissé avec les patients chro­ni­ques, les infir­miè­res de famille peu­vent guider les per­son­nes soi­gnées et leurs pro­ches. Etant les der­niers pro­fes­sion­nels de santé à se rendre quo­ti­dien­ne­ment au domi­cile, les 140.000 infir­miers libé­raux voient le contenu des frigos et les habi­tu­des de vie.

Cependant, ces actions de pré­ven­tion et d’éducation res­tent sous-exploi­tées, faute de moyens suf­fi­sants et de reconnais­sance ins­ti­tu­tion­nelle. « Des infir­miè­res nous signa­lent régu­liè­re­ment des famil­les qui n’ont pas mangé faute de moyens », pré­cise Thierry Amouroux, le porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI.

Une ques­tion de santé publi­que

Au-delà des chif­fres, le retour du scor­but en France est un symp­tôme acca­blant d’un sys­tème défaillant. Chaque cas hos­pi­ta­lisé reflète une chaîne de défaillan­ces : un accès insuf­fi­sant à l’éducation ali­men­taire, des aides socia­les ina­dap­tées, et une absence criante de pré­ven­tion.

Créer un pro­gramme natio­nal d’aide ali­men­taire ciblé, mieux former les soi­gnants à détec­ter les caren­ces, et inté­grer sys­té­ma­ti­que­ment l’éducation nutri­tion­nelle dans les actions des PMI et des écoles sont des pistes indis­pen­sa­bles.

En France, cer­tains enfants vivent dans l’abon­dance, tandis que d’autres man­quent d’une orange par jour. Que dit cette iné­ga­lité sur notre société ? Et sur­tout, com­bien de temps encore accep­te­rons-nous que des enfants soient les vic­ti­mes silen­cieu­ses des choix économiques des gou­ver­ne­ments ?

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