Refonder l’exercice infirmier en psychiatrie pour relever les défis de santé publique en santé mentale

14 avril 2010

Position adoptée lors de la session du Conseil national de l’Ordre des infirmiers du 30 mars 2010

Institué par la loi en décem­bre 2006, l’Ordre natio­nal des Infirmiers (ONI) doit « contri­buer à pro­mou­voir la santé publi­que et la qua­lité des soins » et « assu­rer la pro­mo­tion de la pro­fes­sion ». C’est dans ce cadre que l’ONI sou­haite appor­ter sa contri­bu­tion à l’évolution des pra­ti­ques infir­miè­res en psy­chia­trie et plus glo­ba­le­ment à l’amé­lio­ra­tion des soins et des ser­vi­ces en santé men­tale.

La santé men­tale est l’un des défis majeurs de santé publi­que. Les infir­miers font partie des acteurs essen­tiels de ce sec­teur, tant pour la pré­ven­tion que l’évaluation, les soins et les ser­vi­ces rendus, quels que soient les lieux de vie des per­son­nes confron­tées à des trou­bles psy­chia­tri­ques. Les contri­bu­tions récen­tes en vue de la future loi de Santé Publique prévue pour les pro­chains mois insis­tent sur la néces­sité de redé­fi­nir les dis­po­si­tifs de prise en charge des mala­dies chro­ni­ques. La réduc­tion des iné­ga­li­tés de santé est au centre des préoc­cu­pa­tions. Le contexte actuel de la psy­chia­trie doit également tenir compte de la mise en œuvre de la loi HPST

Pour l’Ordre, il est impé­ra­tif d’anti­ci­per les évolutions néces­sai­res et atten­dues par les usa­gers (patients et famil­les) et les acteurs de ter­rain.

En 2005, la Mission natio­nale d’appui en santé men­tale établissait un bilan mitigé de la sec­to­ri­sa­tion psy­chia­tri­que, au déve­lop­pe­ment ina­chevé et inégal selon les ter­ri­toi­res. Plaidant pour le pas­sage d’une logi­que de struc­tu­res à une logi­que de ser­vi­ces, la mis­sion pré­co­ni­sait une réor­ga­ni­sa­tion de l’offre en psy­chia­trie, arti­cu­lant de façon ration­nelle et gra­duée une offre de soins et de ser­vi­ces de court, moyen et long termes. Le Centre col­la­bo­ra­teur fran­çais de l’OMS pour la santé men­tale a aussi lar­ge­ment contri­bué à une vision de la psy­chia­trie inté­grée à la cité, fondée sur une démar­che par­ti­ci­pa­tive des usa­gers et des élus locaux, contri­buant, à une véri­ta­ble poli­ti­que ter­ri­to­riale de santé men­tale.

Plusieurs rap­ports ont été rédi­gés entre 2008 et 2010, dres­sant un pre­mier bilan du Plan santé men­tale achevé en 2008 et per­met­tant de poser les bases d’une future grande loi de santé men­tale. Le rap­port de la Mission COUTY, et plus récem­ment les pré­co­ni­sa­tions élaborées par le Sénateur MILON au titre de l’OPEPS indi­quent eux aussi des axes majeurs d’amé­lio­ra­tion sur le plan de la cli­ni­que, des orga­ni­sa­tions, des pra­ti­ques pro­fes­sion­nel­les et de la recher­che scien­ti­fi­que.

Les asso­cia­tions d’usa­gers (patients et famil­les) ont depuis de nom­breu­ses années fait part de leurs atten­tes. Le Livre blanc paru en 2001 insiste sur l’abso­lue néces­sité d’assu­rer un suivi global et continu sur le plan des soins, de l’accom­pa­gne­ment et du sou­tien des pro­ches. Ces asso­cia­tions ont appelé en 2004 à un véri­ta­ble plan d’urgence en six points : l’accès à des soins spé­cia­li­sés, la garan­tie de res­sour­ces mini­ma­les pour vivre, des pos­si­bi­li­tés d’héber­ge­ment adapté, un accom­pa­gne­ment effec­tif vers l’auto­no­mie, une pro­tec­tion juri­di­que, des pos­si­bi­li­tés de par­ti­ci­pa­tion sociale et pro­fes­sion­nelle.

Les infir­miers pren­nent une part signi­fi­ca­tive dans la mise en œuvre de ces actions ; plu­sieurs cons­tats peu­vent être faits concer­nant leur for­ma­tion et leur exer­cice en santé men­tale.

Pour ce qui est de leur for­ma­tion, il est géné­ra­le­ment admis que l’exer­cice infir­mier en psy­chia­trie relève au mini­mum d’une spé­cia­li­sa­tion, voire d’un véri­ta­ble réfé­ren­tiel de pra­ti­que avan­cée. Il ne peut y avoir d’effi­cience des soins psy­chia­tri­ques sans une exper­tise cli­ni­que infir­mière garan­tis­sant l’obser­vance, la conti­nuité, la glo­ba­lité et la qua­lité des répon­ses aux besoins des patients et de leurs pro­ches. Les mesu­res de tuto­rat infir­mier, mises en œuvre pour répon­dre à minima à ce besoin de for­ma­tion spé­ci­fi­que et faci­li­ter l’adap­ta­tion des nou­veaux infir­miers, n’ont pas permis d’attein­dre cet objec­tif d’exper­tise.

Les pra­ti­ques pro­fes­sion­nel­les res­tent rela­ti­ve­ment hété­ro­gè­nes selon leur contexte ins­ti­tu­tion­nel et cli­ni­que (pré­ven­tion, éducation thé­ra­peu­ti­que, urgen­ces, suivi des situa­tions chro­ni­ques, etc.), et elles sont peu valo­ri­sées.

Quant à l’orga­ni­sa­tion des soins et des ser­vi­ces, l’émergence de nou­vel­les pro­blé­ma­ti­ques de santé men­tale requiert une meilleure cohé­rence entre les inter­ven­tions, car celles-ci se heur­tent encore trop sou­vent au cloi­son­ne­ment entre les sec­teurs sani­taire et médico-social et aux obs­ta­cles à la coo­pé­ra­tion entre pro­fes­sion­nels.
En même temps, au niveau euro­péen et inter­na­tio­nal, des avan­cées impor­tan­tes ont eu lieu concer­nant le cadre d’inter­ven­tion des infir­miers. Plusieurs études et réfé­ren­tiels de pra­ti­ques peu­vent en témoi­gner. Il existe de véri­ta­bles oppor­tu­ni­tés de valo­ri­sa­tion réci­pro­que des savoir-faire. Les pra­ti­ques infir­miè­res en psy­chia­trie sont donc légi­ti­me­ment appe­lées à évoluer selon des moda­li­tés que l’Ordre natio­nal des Infirmiers sou­haite pro­mou­voir dès à pré­sent.

Les défis à rele­ver par la psy­chia­trie, vus par les infir­miers

Les défis à rele­ver par les ser­vi­ces de psy­chia­trie dans le cadre d’une poli­ti­que glo­bale de santé men­tale sont :
- la pré­ven­tion effec­tive des fac­teurs de ris­ques et de leurs consé­quen­ces par des actions concer­tées de pro­mo­tion de la santé men­tale en popu­la­tion géné­rale ;
- la prise en charge des mala­dies chro­ni­ques en santé men­tale par une appro­che glo­bale et inté­grée des soins et des ser­vi­ces aux patients et aux famil­les ;
- la réduc­tion des iné­ga­li­tés d’accès aux soins en psy­chia­trie pour les per­son­nes en situa­tion de grande vul­né­ra­bi­lité sociale ;
- une sec­to­ri­sa­tion psy­chia­tri­que renou­ve­lée, per­met­tant de déployer de façon exhaus­tive et effi­ciente, sur l’ensem­ble du ter­ri­toire, une offre de soins et de ser­vi­ces de court, moyen et long termes arti­cu­lant des répon­ses ambu­la­toi­res à des capa­ci­tés d’hos­pi­ta­li­sa­tion ration­nelle, fai­sant une large place à des soins inté­grés à la cité ;
- des effec­tifs et une répar­ti­tion des pro­fes­sion­nels de santé tenant compte des par­ti­cu­la­ri­tés ter­ri­to­ria­les
- une meilleure attrac­ti­vité de la psy­chia­trie pour les infir­miers.

Les valeurs et les pra­ti­ques por­tées par les infir­miers exer­çant en psy­chia­trie

Les valeurs fon­da­men­ta­les de l’action des infir­miers exer­çant en psy­chia­trie sont :
- la qua­lité et l’effi­cience du ser­vice rendu ;
- la conti­nuité et la glo­ba­lité des soins et des ser­vi­ces ;
- la non-ségré­ga­tion des deman­des et des usa­gers ;
- l’égalité d’accès aux soins.

L’infir­mier est acteur des poli­ti­ques d’amé­lio­ra­tion de la santé men­tale des popu­la­tions.

Conformément aux expé­rien­ces pro­ban­tes au niveau inter­na­tio­nal et à la réa­lité des pra­ti­ques actuel­les en France, il est l’inter­ve­nant-pivot pour la coor­di­na­tion du par­cours de soins et du plan per­son­na­lisé de santé des patients. A ce titre :
- l’infir­mier orga­nise des actions de pré­ven­tion et de repé­rage de la détresse psy­cho­lo­gi­que et des fac­teurs de ris­ques liés à la vul­né­ra­bi­lité psy­chi­que en popu­la­tion géné­rale ;
- il évalue les situa­tions à ris­ques, repère les situa­tions de crise et les gère dans le cadre d’un conti­nuum de soins négo­cié avec les par­te­nai­res com­pé­tents ;
- il prend appui sur les réfé­ren­tiels de bonnes pra­ti­ques et les recom­man­da­tions inter­na­tio­na­les afin de déli­vrer une infor­ma­tion exacte et garan­tir la qua­lité de son inter­ven­tion ;
- il accom­pa­gne les per­son­nes vul­né­ra­bles vers des soins adap­tés ;
- il lutte contre l’exclu­sion ou la stig­ma­ti­sa­tion des per­son­nes en situa­tion de han­di­cap psy­chi­que ;
- il évalue les besoins de soins spé­cia­li­sés et de santé glo­bale, les inca­pa­ci­tés liées au han­di­cap des per­son­nes souf­frant d’une mala­die men­tale ;
- il conduit toutes les actions néces­sai­res pour limi­ter l’impact du han­di­cap psy­chi­que dans la vie quo­ti­dienne de la per­sonne ;
- il met en rela­tion et coor­donne les dif­fé­rents inter­ve­nants des struc­tu­res ou ser­vi­ces néces­sai­res au main­tien de la per­sonne dans son envi­ron­ne­ment ;
- il déli­vre une éducation à la santé pro­pice à l’alliance thé­ra­peu­ti­que.
- L’infir­mier engage ses actions dans une démar­che réflexive pro­pice à la valo­ri­sa­tion de ses com­pé­ten­ces auprès de ses par­te­nai­res et à la trans­mis­sion de ses connais­san­ces auprès de ses pairs.

La néces­sité de refon­der l’exer­cice infir­mier en psy­chia­trie et santé men­tale

La psy­chia­trie et la santé men­tale néces­si­tent une véri­ta­ble exper­tise cli­ni­que et orga­ni­sa­tion­nelle en pra­ti­que infir­mière. Cette exper­tise requiert une for­ma­tion spé­ci­fi­que sanc­tion­née par un diplôme de spé­cia­lité.

Cette for­ma­tion doit s’ins­crire plei­ne­ment dans un cursus LMD en scien­ces infir­miè­res.

La coo­pé­ra­tion inter­pro­fes­sion­nelle entre les infir­miers et les autres par­te­nai­res en santé men­tale doit tirer parti du rôle cen­tral de l’infir­mier dans la coor­di­na­tion et le suivi global des mala­dies psy­chia­tri­ques chro­ni­ques.

Le diplôme d’infir­mier de sec­teur psy­chia­tri­que, dont nombre d’infir­miers actuel­le­ment en poste sont titu­lai­res, n’est plus limité dans son champ et ses lieux d’exer­cice. La com­pé­tence de l’ISP doit être reconnue, quel que soit le contexte de sa pra­ti­que (libé­ral, hos­pi­ta­lier, médico-social, etc.).

La pra­ti­que infir­mière en psy­chia­trie doit s’appuyer sur les recom­man­da­tions et bonnes pra­ti­ques vali­dées dans la lit­té­ra­ture inter­na­tio­nale, dont la décli­nai­son dans le contexte fran­çais est à cons­truire en concer­ta­tion avec les orga­ni­sa­tions pro­fes­sion­nel­les.

Ce que l’Ordre pro­pose :

L’Ordre sou­haite tra­vailler sans plus atten­dre avec les pou­voirs publics et les autres orga­ni­sa­tions pro­fes­sion­nel­les com­pé­ten­tes, pour faire reconnaî­tre et pro­mou­voir de manière effec­tive l’exper­tise cli­ni­que et pro­fes­sion­nelle des infir­miers en santé men­tale et en psy­chia­trie, dans le cadre d’une poli­ti­que de santé men­tale glo­bale dans son appro­che et ambi­tieuse dans ses objec­tifs.

Il s’agit de défi­nir une spé­cia­li­sa­tion des infir­miers en santé men­tale et en psy­chia­trie, (comme cela existe pour la pué­ri­culture, l’anes­thé­sie ou l’acti­vité en bloc opé­ra­toire), en pré­ci­sant ses mis­sions, ses com­pé­ten­ces, sa for­ma­tion et en réflé­chis­sant à une réfé­rence natio­nale indi­ca­tive du nombre d’infir­miers spé­cia­li­sés recom­man­dés par sec­teur de psy­chia­trie et ter­ri­toire de santé, pour garan­tir le niveau d’exper­tise requis au sein des équipes soi­gnan­tes.

Cela impli­que de :

1. Parvenir à une reconnais­sance des infir­miers de sec­teur psy­chia­tri­que (ISP) équivalente à celle des infir­miers diplô­més d’Etat (IDE).

2. Valoriser les mis­sions d’orien­ta­tion, de pre­mière évaluation et de réfé­rent-coor­don­na­teur de l’infir­mier en psy­chia­trie et en santé men­tale, dans le cadre d’une recom­man­da­tion de la HAS pour la pra­ti­que cli­ni­que por­tant sur la ʺconsul­ta­tion infir­miè­reʺ.

3. Elaborer un nou­veau réfé­ren­tiel de com­pé­ten­ces et de for­ma­tion de l’infir­mier spé­cia­lisé en psy­chia­trie, béné­fi­ciant des expé­rien­ces de pra­ti­ques avan­cées, selon un cadre régle­men­taire adapté. A cet égard, il convient, dans une concer­ta­tion étroite entre les orga­ni­sa­tions pro­fes­sion­nel­les et scien­ti­fi­ques de la psy­chia­trie d’une part, et les pou­voirs publics (Santé et Education) d’autre part, de :

a) Définir la base de ce réfé­ren­tiel à partir de mis­sions répon­dant aux besoins de santé et des orien­ta­tions énoncées dans la loi à venir sur la réforme de la santé men­tale ;

b) Proposer le cadre d’évolution des com­pé­ten­ces des infir­miers en psy­chia­trie et santé men­tale. Ce cadre pré­voi­rait notam­ment :
- un socle de com­pé­ten­ces spé­cia­li­sées autour des axes fon­da­men­taux de la pra­ti­que : évaluation des besoins de soins et de santé des per­son­nes confron­tées à des trou­bles psy­chia­tri­ques ; prin­ci­pes et pra­ti­ques de la rela­tion thé­ra­peu­ti­que ; pré­ven­tion des ris­ques, obser­vance et suivi infir­mier spé­cia­lisé ; coor­di­na­tion, conti­nuité et qua­lité des soins ; ges­tion de crises ; démar­che réflexive pour la pro­duc­tion de connais­san­ces spé­cia­li­sées en scien­ces infir­miè­res ;
- de véri­ta­bles expé­ri­men­ta­tions d’évolution des com­pé­ten­ces pro­fes­sion­nel­les et scien­ti­fi­ques sur le modèle des infir­miè­res de pra­ti­ques avan­cées en psy­chia­trie et santé men­tale : situa­tions com­plexes ; inno­va­tions cli­ni­ques et de santé publi­que ; recher­che, etc. ;
- l’acqui­si­tion, à la fois, des com­pé­ten­ces pro­fes­sion­nel­les, cli­ni­ques spé­cia­li­sées, et de connais­san­ces scien­ti­fi­ques actua­li­sées dans les domai­nes de la santé publi­que, de la pra­ti­que inter­pro­fes­sion­nelle, de l’inté­gra­tion des soins et des ser­vi­ces. Un véri­ta­ble cursus LMD garan­ti­rait la qua­lité et la cohé­rence de ces acqui­si­tions. Ce cursus de spé­cia­li­sa­tion devrait à partir du socle commun de com­pé­ten­ces infir­miè­res (licence), se pour­sui­vre lors de deux années de spé­cia­li­sa­tion en master 1 (spé­cia­li­sa­tion cli­ni­que) et en master 2 (pra­ti­ques avan­cées).

4. Contribuer à l’émergence d’une dyna­mi­que de recher­che en scien­ces infir­miè­res incluant la pro­blé­ma­ti­que des soins en psy­chia­trie, pour rele­ver l’ensem­ble des défis mis en évidence par les experts, les rap­ports offi­ciels et les recom­man­da­tions de bonnes pra­ti­ques.

5. Inscrire la psy­chia­trie et la santé men­tale comme l’un des pro­gram­mes prio­ri­tai­res du pro­chain Programme Hospitalier de Recherches en Soins Infirmiers (PHRSI).

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