Aide-soignant libéral : réaction intersyndicale

20 juin 2009

Le 19 juin 2009, huit syndicats infirmiers ont adressé une lettre ouverte à Madame Roselyne BACHELOT, Ministre de la Santé et des Sports :

Madame la Ministre,
Dans votre réponse, publiée au JO du Sénat le 17 juillet 2008, à une ques­tion écrite
du Sénateur Louis Pinton (Indre-UMP) por­tant sur la créa­tion d’un statut libé­ral
d’aide-soi­gnant, vous avez pré­cisé :
« Conformément à l’arti­cle R. 4311-4 du code de la santé publi­que, les aides­soi­gnants
agis­sent sous la res­pon­sa­bi­lité de l’infir­mier ou de l’infir­mière et dans les
limi­tes de la qua­li­fi­ca­tion qui leur est reconnue du fait de leur for­ma­tion. Il n’est pas
envi­sagé de doter la pro­fes­sion d’aide-soi­gnant d’un décret de com­pé­ten­ces pro­pres
sus­cep­ti­bles d’être exer­cées en dehors de la res­pon­sa­bi­lité de l’infir­mier ou de
l’infir­mière. »

Pour autant, la pro­po­si­tion de loi du député Moyne-Bressand dépo­sée le
1er avril 2009, sous cou­vert de créa­tion d’un statut libé­ral des aides-soi­gnants dont
on per­çoit dif­fi­ci­le­ment la per­ti­nence et l’opé­ra­tion­na­lité en dehors de tout cadre
conven­tion­nel, pré­sente la par­ti­cu­la­rité de modi­fier radi­ca­le­ment le code de la santé
publi­que pour confé­rer aux aides-soi­gnants le statut d’auxi­liaire médi­cal.

Concernant les motifs évoqués par Monsieur Moyne-Bressand dans sa pro­po­si­tion de loi, nous tenons à pré­ci­ser :

 1. Que la réfé­rence à des quotas d’actes pour les infir­miers libé­raux n’est plus de mise depuis la conven­tion de 2002, elle-même rem­pla­cée le 25 juillet 2007.

 2. Que dans l’exposé des motifs, il y a confu­sion entre le concept « d’aide à la per­sonne » et de « soins infir­miers ». L’inter­ven­tion des aides-soi­gnan­tes
auprès des per­son­nes en situa­tion de dépen­dance n’est pas dif­fé­ren­ciée de celui des infir­miè­res, des auxi­liai­res de vie sociale ou des aides ména­gè­res.

 3. Que le statut libé­ral des aides-soi­gnants ne cons­ti­tue pas une réponse adap­tée aux pro­blè­mes révé­lés par la cani­cule. Le rap­port de l’IGAS, publié en décem­bre 2003, fait état d’une sur­mor­ta­lité de 10 000 à 15 000 décès
obser­vés suite à la cani­cule. Seuls 24% des per­son­nes sont décé­dés à leur domi­cile, il s’agis­sait pour la plu­part de per­son­nes âgées iso­lées, ne rece­vant pour la plus grande majo­rité, ni soins infir­miers, ni aide aux gestes de la vie
quo­ti­dienne.

Depuis, la créa­tion de la CNSA (Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie), le finan­ce­ment du « cin­quième risque » à hau­teur de 15 mil­liards d’euros, la mul­ti­pli­ca­tion des ser­vi­ces à la per­sonne, la créa­tion
des MDPH (Maisons Départementales des Personnes Handicapées), l’exten­sion des Services de soins à domi­cile, la créa­tion d’HEPAD, ont lar­ge­ment pallié aux caren­ces socia­les cons­ta­tées en 2003, ce que semble
igno­rer Monsieur le député Moyne-Bressand.

L’étude réa­li­sée par l’INSEE-INSERM-ORS dans les Bouches-du-Rhône, rendue publi­que le 9 Janvier 2004, por­tant sur les besoins des per­son­nes âgées à domi­cile, expose qu’un
quart des per­son­nes de plus de 60 ans a seu­le­ment besoin d’aide aux gestes de la vie quo­ti­dienne pour rester à domi­cile. De plus, les aidants natu­rels vieillis­sant, les besoins vont conti­nuer à croî­tre. C’est donc bien dans ce
sec­teur de l’aide à domi­cile qu’il convient d’appor­ter les bonnes répon­ses.

 4. Que la créa­tion d’un auxi­liaire médi­cal libé­ral sup­plé­men­taire à domi­cile com­pli­que l’élaboration d’un projet de prise en charge plu­ri­dis­ci­pli­naire et la
coor­di­na­tion des pro­fes­sion­nels de santé à domi­cile.

Le Président de la République, dans son dis­cours à BORDEAUX le 16 octo­bre 2007, pré­ci­sait : « une meilleure arti­cu­la­tion entre les dif­fé­rents acteurs du soin est néces­saire (....), les soins de longue durée et la prise en charge des per­son­nes âgées ».

Sept pro­fes­sions d’auxi­liai­res médi­caux exer­cent à domi­cile et concou­rent à l’élaboration d’un projet de soins : infir­miers, mas­seurs-kiné­si­thé­ra­peu­tes,
pédi­cu­res-podo­lo­gues, ortho­pho­nis­tes, orthop­tis­tes, ergo­thé­ra­peu­tes, psy­cho­mo­tri­ciens. Ces pro­fes­sion­nels doi­vent, non seu­le­ment se coor­don­ner entre eux, mais également avec le méde­cin géné­ra­liste pivot du par­cours de
soins coor­don­nés, les méde­cins spé­cia­lis­tes, le labo­ra­toire d’ana­ly­ses médi­ca­les, le phar­ma­cien, les infir­miers ou méde­cins hos­pi­ta­liers, les ser­vi­ces
d’aide aux per­son­nes...

La créa­tion d’un auxi­liaire médi­cal sup­plé­men­taire dont le besoin dans la chaîne sani­taire n’est pas démon­tré ne peut que com­pli­quer l’élaboration d’un projet de prise en charge plu­ri­dis­ci­pli­naire, la coor­di­na­tion des pro­fes­sion­nels de santé et l’arti­cu­la­tion avec les ser­vi­ces
sociaux.

 5. Alors que le Gouvernement entend pour­sui­vre la poli­ti­que de maî­trise de dépen­ses de santé dans un contexte économiquement défa­vo­ra­ble, la créa­tion d’une nou­velle pro­fes­sion d’exer­cice libé­ral serait géné­ra­trice de dépen­ses sup­plé­men­tai­res pour l’Assurance mala­die.

 6. Que le finan­ce­ment des pres­ta­tions des aides-soi­gnants par la famille est illu­soire. L’APA ren­contre un grand succès auprès des famil­les au motif que le
seuil de reprise sur suc­ces­sion a été relevé nota­ble­ment. Au 30 juin 2008, 1 094 000 per­son­nes (Rapport DRESS) béné­fi­cient de cette allo­ca­tion pour un mon­tant de 2,1 mil­liards d’euros par an.

Il serait incom­pré­hen­si­ble pour les citoyens de pren­dre des mesu­res socia­les de cette enver­gure, puis de leur
deman­der de finan­cer, même par­tiel­le­ment, le ou les pas­sa­ges d’un aide-soi­gnant accom­plis­sant ce que font les SSIAD aujourd’hui sans qu’ils aient à faire ne serait-ce que l’avance des frais.

C’est sans aucune concer­ta­tion préa­la­ble avec les ins­tan­ces repré­sen­ta­ti­ves, asso­cia­ti­ves, syn­di­ca­les et ordi­na­les des infir­miè­res, pas plus qu’avec les autres
pro­fes­sions de santé, qu’un groupe de dépu­tés de la majo­rité, dont plu­sieurs méde­cins et phar­ma­ciens, à l’instar de Monsieur Paul Jeanneteau, votre sup­pléant,
envi­sa­gent donc sérieu­se­ment de bou­le­ver­ser tota­le­ment l’archi­tec­ture de notre sys­tème de santé, sur la base d’un exposé des motifs non réac­tua­lisé et sans mesu­rer les consé­quen­ces d’une telle déci­sion sur la sécu­rité des soins.

En effet, l’ins­crip­tion de la pro­fes­sion d’aide-soi­gnant au livre 3 du code de la santé publi­que leur attri­bue­rait « par auto­ri­sa­tion de la loi » la pos­si­bi­lité d’atten­ter à l’inté­grité phy­si­que des per­son­nes dans un but thé­ra­peu­ti­que. Rien ne s’oppo­sera dès lors à ce que des actes médi­caux leur soient délé­gués direc­te­ment, alors même que ces pro­fes­sion­nels n’ont aucune for­ma­tion en phar­ma­co­lo­gie ou en bio­lo­gie médi­cale.

Les huit orga­ni­sa­tions syn­di­ca­les signa­tai­res de la pré­sente se don­ne­ront tous les moyens pour aler­ter les usa­gers du sys­tème de soins sur les consé­quen­ces
poten­tiel­le­ment dra­ma­ti­ques qu’impli­que­rait l’adop­tion d’un tel projet. Les acci­dents récents, relayés par les médias et sur­ve­nus dans les hôpi­taux d’Ile-de-France,
démon­trent la prio­rité abso­lue qu’il y a à ne pas écarter de l’orga­ni­sa­tion de notre sys­tème de santé la notion de qua­li­fi­ca­tion sur laquelle est cons­truit actuel­le­ment le
code de la santé publi­que, et votre réponse au Sénat en juillet 2008 était sans ambi­guïté sur ce der­nier point.

Nous tenons, comme vous l’avez fait, à sou­li­gner le rôle incontour­na­ble des aides soi­gnants dans notre sys­tème de soins et à mettre en relief la très proche col­la­bo­ra­tion qui existe entre nos deux pro­fes­sions, sans tou­te­fois nous écarter du niveau de res­pon­sa­bi­lité que le code de la santé publi­que confère aux infir­miers pour garan­tir la qua­lité et la sécu­rité des soins que nos conci­toyens sont en droit d’atten­dre.

Il convient également de rap­pe­ler que des dis­po­si­tions intro­dui­tes récem­ment par le Haut conseil des pro­fes­sions para­mé­di­ca­les per­met­tent aux aides soi­gnants d’accé­der au diplôme d’Etat d’infir­mier, répon­dant ainsi à leur sou­hait
légi­time d’ascen­sion sociale tout en res­pec­tant la sécu­rité des soins.

En consé­quence, nous vous deman­dons ins­tam­ment de bien vou­loir lever le trou­ble engen­dré par la pro­po­si­tion de loi de Monsieur Moyne-Bressand dans la pro­fes­sion,
tous sec­teurs d’acti­vité confon­dus, en pré­ci­sant rapi­de­ment votre posi­tion concer­nant la modi­fi­ca­tion du code de la santé publi­que pro­po­sée par ce texte et visant à
attri­buer aux aides-soi­gnants le statut d’auxi­liai­res médi­caux.

En vous remer­ciant de l’atten­tion que vous vou­drez bien porter à notre demande, nous vous prions d’agréer, Madame la Ministre, l’expres­sion de notre haute consi­dé­ra­tion.

Les orga­ni­sa­tions signa­tai­res :
 CNI
 FNI
 ONSIL
 SNAIMS
 SNICS
 SNIES
 SNPI - CFE-CGC
 SNSPP - CFTC

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