Reconnaissance de la profession infirmière : l’heure du choix

10 novembre 2024

Tribune parue dans le journal Marianne, signée par 20 organisations (dont le SNPI) sous le titre "Il est temps pour les parlementaires de soutenir la future réforme infirmière", le 15.10.24

Michel Barnier a fait ce qu’aucun autre Premier minis­tre n’avait fait avant lui : mettre la pro­fes­sion infir­mière au cœur de son dis­cours de poli­ti­que géné­rale. Il ne s’agis­sait pas seu­le­ment de remer­cier, mais d’acter la néces­sité d’une réforme trop long­temps retar­dée, pri­vant des mil­lions de patients d’un accès faci­lité aux soins, et 640 000 infir­miers d’une reconnais­sance méri­tée. Pourtant, dès le len­de­main, une mino­rité non repré­sen­ta­tive s’élevait déjà contre une sup­po­sée future "méde­cine à deux vites­ses". Ces cri­ti­ques igno­rent que ce sys­tème existe déjà depuis des années, entre les patients avec un par­cours de soins fluide et ceux qui n’y accè­dent pas. La faute à une orga­ni­sa­tion des soins trop médico-cen­trée, alors qu’elle devrait être patient-cen­trée. Heureusement le choix de faire évoluer ou non cette situa­tion sera bien­tôt offert aux par­le­men­tai­res.

Il est impor­tant de noter que l’annonce de cette réforme avait déjà été bien accueillie par la pro­fes­sion infir­mière et les asso­cia­tions de patients. Pour satis­faire cette attente et garan­tir la réus­site de la réforme, elle doit désor­mais abor­der cinq points essen­tiels : amé­lio­rer l’accès aux soins des patients, reconnaî­tre enfin la dis­ci­pline infir­mière au niveau du code de la santé publi­que, consi­dé­rer l’ensem­ble de ses spé­cia­li­tés et lais­ser la pra­ti­que avan­cée exploi­ter son plein poten­tiel, amé­lio­rer les condi­tions de tra­vail et gérer la péni­bi­lité, et, sur­tout, trai­ter la ques­tion de la rému­né­ra­tion.

1) L’amé­lio­ra­tion de l’accès aux soins

Aujourd’hui, plus de 11 % des Français sont sans méde­cin trai­tant. L’engor­ge­ment des urgen­ces com­pli­que encore cet accès aux soins. La solu­tion serait d’appli­quer une gra­da­tion juste des soins entre pro­fes­sion­nels de santé, et de per­met­tre à d’autres pro­fes­sions de réa­li­ser en accès direct des actes rele­vant de leurs com­pé­ten­ces, tout en étant inté­grées dans un par­cours de soins. Pour cela, la loi infir­mière devra reconnaî­tre la consul­ta­tion infir­mière, le diag­nos­tic infir­mier, per­met­tre cer­tai­nes pres­crip­tions dans le champ d’action infir­mier, reconnai­tre plei­ne­ment le rôle infir­mier dans les soins rela­tion­nels et leurs apports consé­quents à la prise en charge du patient et ainsi donner une plus grande auto­no­mie aux infir­miers dans le cadre de leurs com­pé­ten­ces (notam­ment un accès direct au rôle propre infir­mier sans pres­crip­tion en ville).

L’objec­tif n’est pas de rem­pla­cer les méde­cins mais de donner aux infir­miè­res les moyens d’inter­ve­nir dans des soins qui relè­vent de leur champ, comme la vac­ci­na­tion ou la ges­tion des plaies. Car faute de méde­cin, la pres­crip­tion médi­cale com­pli­que par­fois l’accès aux soins infir­miers. Il faut aussi rete­nir les ensei­gne­ments de la crise Covid, qui a démon­tré l’impact ter­ri­to­rial des infir­miers en lien avec les élus locaux. En effet, les maires étant des acteurs clés de l’orga­ni­sa­tion ter­ri­to­riale des soins, des liens se sont créés pen­dant la pan­dé­mie pour trou­ver des solu­tions inno­van­tes. Et face à la pénu­rie de méde­cins, par­ti­cu­liè­re­ment dans les zones rura­les et périur­bai­nes, le ren­for­ce­ment du rôle des infir­miers, en col­la­bo­ra­tion avec les col­lec­ti­vi­tés loca­les et les autres pro­fes­sion­nels de santé, pour­rait être une réponse adap­tée pour garan­tir un accès plus équitable aux soins sur l’ensem­ble du ter­ri­toire.

2) La juste reconnais­sance de la pro­fes­sion infir­mière

La réforme doit aussi reconnaî­tre juri­di­que­ment le rôle des infir­miers. Déjà, il est impé­ra­tif de sup­pri­mer l’appel­la­tion "auxi­liai­res médi­caux" dans le Code de la santé publi­que, qui défi­nit la pro­fes­sion en la subor­don­nant à une autre. L’infir­mière doit être reconnue en tant que soi­gnante avec un rôle auto­nome, capa­ble de par­ti­ci­per à l’ana­lyse cli­ni­que et au par­cours de soins, de même que dans son rôle actif en pré­ven­tion, en pro­mo­tion de la santé et en éducation thé­ra­peu­ti­que ainsi que dans l’ensei­gne­ment et la recher­che, autant en scien­ces infir­miè­res que dans d’autres champs de recher­che scien­ti­fi­que.

La for­ma­tion en IFSI reste limi­tée à trois ans. Mais trois années ne suf­fi­sent plus à cou­vrir les besoins com­plexes de notre époque. Pourtant, une simple année de pro­fes­sion­na­li­sa­tion pour­rait tout chan­ger. Les pays voi­sins l’ont com­pris. En Espagne, au Portugal, en Belgique, la for­ma­tion dure déjà quatre ans. Et les résul­tats sont là : plus d’auto­no­mie, des soins de meilleure qua­lité. L’Europe nous montre ainsi l’exem­ple à suivre.

3) Prendre en compte la diver­sité de la pro­fes­sion infir­mière

La richesse de la dis­ci­pline infir­mière réside dans sa plu­ra­lité d’exer­ci­ces. Elle est com­po­sée de la pro­fes­sion socle, avec des spé­cia­li­tés (infir­miers de bloc opé­ra­toire, anes­thé­sis­tes, pué­ri­cultri­ces) et des infir­miers en pra­ti­que avan­cée. Mais elle com­prend aussi des sta­tuts spé­ci­fi­ques, tels que les infir­miers de santé au tra­vail et les infir­miè­res de l’éducation natio­nale et de l’ensei­gne­ment supé­rieur.
La future loi doit reconnaî­tre toutes ces spé­ci­fi­ci­tés, donner plus d’auto­no­mie à ces pro­fes­sion­nels et inté­grer les spé­cia­li­tés à la pra­ti­que avan­cée tout en garan­tis­sant leur reconnais­sance juri­di­que en res­pect de leurs spé­ci­fi­ci­tés.

Sur la pra­ti­que avan­cée exis­tante, les textes d’appli­ca­tion de la loi Rist 2, en attente depuis plus d’un an, doi­vent enfin voir le jour, cette attente into­lé­ra­ble pèse in fine sur les patients. De plus, la future loi infir­mière doit per­met­tre la refonte des men­tions avec des appro­ches popu­la­tion­nel­les plus larges per­met­tant d’inté­grer des exper­ti­ses. Enfin, il faut reconnai­tre à juste titre cette for­ma­tion uni­ver­si­taire dans son ensem­ble et ne pas condi­tion­ner l’exé­cu­tion d’actes qui sont déjà ensei­gnés en for­ma­tion ini­tiale à des modu­les com­plé­men­tai­res.

4) Améliorer la qua­lité de vie au tra­vail et pren­dre en compte la péni­bi­lité

Pour rete­nir les infir­miers dans leurs fonc­tions, il est cru­cial d’amé­lio­rer la qua­lité de vie au tra­vail. Cela passe par l’adop­tion à l’Assemblée de la pro­po­si­tion de loi sur les ratios soi­gnants/soi­gnés, portée par le Sénateur Bernard Jomier et déjà votée à l’una­ni­mité au Sénat en 2023, qui appor­te­rait plus de sécu­rité pour les patients et redon­ne­rait du sens au tra­vail des soi­gnants.

La péni­bi­lité du métier doit également être inté­grée dans le calcul des retrai­tes. 20% des infir­miè­res sont en inva­li­dité lors de leur départ en retraite. La durée de vie d’une infir­mière retrai­tée est de 78 ans, contre 85 ans pour une femme en France. Sept années de vie en moins ! Ce n’est plus accep­ta­ble.

Enfin, la réforme doit offrir de véri­ta­bles pers­pec­ti­ves d’évolution pro­fes­sion­nelle, pour que la pro­fes­sion devienne un véri­ta­ble ascen­seur social, per­met­tant aux infir­miers d’évoluer dans les soins, mais aussi dans d’autres sec­teurs.

5) L’aspect finan­cier

La reva­lo­ri­sa­tion des infir­miers est un point essen­tiel. Actuellement, en France, dans les établissements de santé, les infir­miers sont rému­né­rés 10% de moins que leurs homo­lo­gues euro­péens. Il est impé­ra­tif d’amé­lio­rer les grilles sala­ria­les, non seu­le­ment pour les infir­miè­res géné­ra­lis­tes, mais aussi pour les spé­cia­li­tés et la pra­ti­que avan­cée, qui doi­vent être rému­né­rées à la hau­teur de leurs com­pé­ten­ces (Pour exem­ple une infir­mière en pra­ti­que avan­cée connait une aug­men­ta­tion de rému­né­ra­tion de moins de 1,70%). En ville, l’infla­tion doit avoir un impact posi­tif sur le prix des actes, la dégres­si­vité tari­faire doit être revue, voire sup­pri­mée, et la prise en charge des patients les plus com­plexes doit être valo­ri­sée. Pour que les infir­miers ne quit­tent plus leur blouse, il faut leur offrir un revenu digne de leurs res­pon­sa­bi­li­tés.

L’heure du choix

Il est clair que reva­lo­ri­ser la pro­fes­sion infir­mière, tant en com­pé­ten­ces qu’au niveau finan­cier, per­met­trait de ren­for­cer le sys­tème de santé et serait même une source d’effi­cience dans un contexte économique com­pli­qué.

Il est aussi impor­tant de rap­pe­ler que 640 000 infir­miè­res œuvrent quo­ti­dien­ne­ment pour les patients sur tout le ter­ri­toire, dont 130000 en exer­cice libé­ral, et ce sont les seules à aller au jour le jour au domi­cile des patients, notam­ment pen­dant la période du COVID. Pourtant leur statut n’a pas évolué. Désormais, la pro­fes­sion infir­mière ne peut plus atten­dre cette reconnais­sance et les patients ne peu­vent plus indé­fi­ni­ment souf­frir de ce manque d’accès aux soins.

Il est donc temps pour les par­le­men­tai­res de sou­te­nir la future réforme infir­mière, ini­tiée par Frédéric Valletoux et confir­mée par Michel Barnier. En effet, le Parlement doit choi­sir : reconnaî­tre enfin une pro­fes­sion essen­tielle ou main­te­nir un statu quo insou­te­na­ble et désor­mais incom­pré­hen­si­ble pour toute une pro­fes­sion mais aussi, et sur­tout, pour l’accès aux soins des patients. L’heure du choix est arri­vée.

Rédacteur : Grégory Caumes, juriste et expert des ques­tions santé auprès de l’obser­va­toire santé et inno­va­tion de l’ins­ti­tut Sapiens

Signataires :
Association Française des Infirmières de can­cé­ro­lo­gie (AFIC),
Association natio­nale des cadres de Santé (ANCIM),
Association Nationale des Infirmiers de Sapeurs-Pompiers (ANISP),
Association Nationale des Puéricultrices Diplômées d’Etat (ANPDE),
Association de Promotion de la Profession Infirmière (APPI),
Comité d’Études des Formations Infirmières et des pra­ti­ques en Psychiatrie (CEFI Psy),
Collège des acteurs en soins infir­miers (CNASI),
Collectif Infirmiers Libéraux en Colère (CILEC),
Collectif Je Suis Infirmière Puéricultrice (CJSIP),
Fédération fran­çaise des infir­miè­res diplô­mées d’État coor­di­na­tri­ces (FFIDEC),
Fédération Nationale des Infirmiers (FNI),
Groupement des Infirmiers de santé au tra­vail (GIT),
Organisation Nationale des Syndicats d’Infirmiers Libéraux (Onsil),
syn­di­cat natio­nal des infir­miè­res conseillè­res de santé - fédé­ra­tion syn­di­cale uni­taire (SNiCS-FSU),
Syndicat National des Infirmiers et Infirmières Éducateurs en Santé (SNIES),
Syndicat natio­nal des infir­miè­res et infir­miers libé­raux (Sniil),
Syndicat National des Professionnels Infirmiers (SNPI),
Société fran­çaise de recher­che des infir­miers en pra­ti­que avan­cée (SoFRIPA),
Union Nationale des Infirmier.es en Pratique Avancée (UNIPA)

Source :
 "Il est temps pour les par­le­men­tai­res de sou­te­nir la future réforme infir­mière"
https://www.marianne.net/agora/tri­bu­nes-libres/il-est-temps-pour-les-par­le­men­tai­res-de-sou­te­nir-la-future-reforme-infir­miere
 avec le sou­tien de
https://x.com/david­lis­nard/status/1847338257190699223
 https://x.com/infir­mierSNPI/status/1846218341012189251

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