Décret infirmier 2025 : vingt ans d’attente, un tournant pour le système de santé

26 décembre 2025

Il aura fallu atten­dre plus de vingt ans. Le der­nier décret enca­drant les com­pé­ten­ces infir­miè­res datait de 2004. Un autre siècle, pres­que, au regard des trans­for­ma­tions démo­gra­phi­ques, épidémiologiques et ter­ri­to­ria­les que connaît notre sys­tème de santé. La publi­ca­tion, le 24 décem­bre 2025, du nou­veau décret infir­mier, pris en appli­ca­tion de la loi du 27 juin 2025, marque enfin un bond en avant his­to­ri­que.

Deux textes, votés et publiés la même année, qui se répon­dent, se com­plè­tent et tra­dui­sent une ambi­tion claire : adap­ter l’offre de soins aux besoins réels de la popu­la­tion, tout en reconnais­sant l’évolution des com­pé­ten­ces infir­miè­res. Ce n’est pas un ajus­te­ment tech­ni­que. C’est une révo­lu­tion silen­cieuse, mais struc­tu­rante, de notre orga­ni­sa­tion des soins.

De l’auxiliaire au professionnel clinique autonome

Le décret redé­fi­nit l’exer­cice infir­mier autour d’un socle cohé­rent : démar­che cli­ni­que, pré­ven­tion, soins cura­tifs et pal­lia­tifs, éducation à la santé, coor­di­na­tion, orien­ta­tion. Il acte noir sur blanc ce que la réa­lité du ter­rain avait déjà imposé : l’infir­mière n’est pas un simple relais de pres­crip­tions, mais un pro­fes­sion­nel de santé auto­nome, capa­ble d’évaluer, de déci­der, d’agir et d’orien­ter.

Le décret redé­fi­nit l’exer­cice infir­mier autour de com­pé­ten­ces cen­trées sur la per­sonne : ana­lyse des besoins, soins de nature pré­ven­tive, éducative, cura­tive, pal­lia­tive, rela­tion­nelle ou de sur­veillance cli­ni­que. Il reconnaît expli­ci­te­ment l’ini­tia­tion, la mise en œuvre et l’évaluation de la démar­che cli­ni­que infir­mière, y com­pris dans le cadre de consul­ta­tions auto­no­mes.

La reconnais­sance de la consul­ta­tion infir­mière, de la capa­cité de pres­crip­tion, du soin rela­tion­nel et de l’orien­ta­tion des patients ins­crit enfin la pro­fes­sion dans une logi­que de pre­mier recours gradué. Une logi­que atten­due par la pro­fes­sion. Mais sur­tout, une logi­que indis­pen­sa­ble pour les patients.

La capa­cité de pres­crire des pro­duits de santé et des exa­mens com­plé­men­tai­res adap­tés à la situa­tion cli­ni­que est pré­ci­sée régle­men­tai­re­ment. Si la liste des pro­duits et exa­mens est fixée par arrêté, l’ins­crip­tion de ce droit dans le décret tra­duit une confiance ins­ti­tu­tion­nelle renou­ve­lée dans la com­pé­tence infir­mière.

Le texte consa­cre aussi des mis­sions d’éducation à la santé, de pré­ven­tion et d’actions com­mu­nau­tai­res, ainsi que la par­ti­ci­pa­tion à la coor­di­na­tion et à l’orien­ta­tion des per­son­nes vers le pro­fes­sion­nel per­ti­nent, répon­dant ainsi à des besoins crois­sants en termes d’accès aux soins de proxi­mité et de par­cours de santé flui­des.

L’accès direct infirmier : une expérimentation à fort enjeu de santé publique

L’un des apports majeurs du texte réside dans la mise en œuvre de l’accès direct infir­mier, dans un cadre expé­ri­men­tal de trois ans, auto­risé dans cinq dépar­te­ments. Cet accès pourra être déployé en établissement ou en ville, au sein de struc­tu­res d’exer­cice coor­donné : hôpi­taux, établissements médico-sociaux, mai­sons ou cen­tres de santé.

Cet accès plus rapide à une com­pé­tence infir­mière qua­li­fiée repré­sente un enjeu consi­dé­ra­ble. Aujourd’hui, les dif­fi­cultés d’accès aux soins pri­mai­res ne sont plus une abs­trac­tion. Elles pro­dui­sent des renon­ce­ments, des retards de prise en charge, des pas­sa­ges évitables aux urgen­ces. Elles génè­rent des pertes de chance, sou­vent invi­si­bles, mais bien réel­les : aggra­va­tion de mala­dies chro­ni­ques, com­pli­ca­tions évitables, perte d’auto­no­mie, hos­pi­ta­li­sa­tions tar­di­ves.

Dans ce contexte, per­met­tre à un patient d’accé­der direc­te­ment à une infir­mière, dans un cadre coor­donné, c’est sup­pri­mer une étape deve­nue un obs­ta­cle sani­taire. Le gain de temps est immé­diat. Mais sur­tout, ce temps gagné est du temps cli­ni­que utile : une situa­tion évaluée plus tôt, un pro­blème sta­bi­lisé plus rapi­de­ment, une orien­ta­tion per­ti­nente sans errance.

L’expé­ri­men­ta­tion vise pré­ci­sé­ment à mesu­rer cette capa­cité des infir­miè­res à flui­di­fier les par­cours, à réduire les rup­tu­res, et à pré­ve­nir les pertes de chance. Elle engage la res­pon­sa­bi­lité de l’État : si les résul­tats sont au rendez-vous, la ques­tion de la géné­ra­li­sa­tion ne pourra être éludée.

Le soin relationnel enfin reconnu comme une compétence

Autre avan­cée majeure : la reconnais­sance expli­cite du soin rela­tion­nel. Longtemps relé­gué à l’impli­cite, par­fois réduit à une “qua­lité humaine”, il est désor­mais ins­crit comme une dimen­sion pro­fes­sion­nelle à part entière.

Dans un sys­tème marqué par la chro­ni­cité, le vieillis­se­ment, la vul­né­ra­bi­lité psy­chi­que et sociale, la rela­tion de soin n’est pas acces­soire. Elle condi­tionne l’adhé­sion aux trai­te­ments, la com­pré­hen­sion des enjeux de santé, la capa­cité à faire des choix éclairés. Elle est un levier majeur de pré­ven­tion et de sécu­rité des soins.

Reconnaître le soin rela­tion­nel, c’est reconnaî­tre que soi­gner ne se résume pas à réa­li­ser des actes. C’est aussi écouter, expli­quer, accom­pa­gner, ras­su­rer, et par­fois aler­ter. Le décret acte cette réa­lité, en cohé­rence avec les don­nées inter­na­tio­na­les et les atten­tes des patients.

Orienter, coordonner, éviter l’errance

Le décret consa­cre également la capa­cité d’orien­ta­tion des infir­miè­res. Là encore, il ne s’agit pas d’une nou­veauté de ter­rain, mais d’une reconnais­sance régle­men­taire atten­due.

Dans un sys­tème devenu illi­si­ble pour de nom­breux patients, l’infir­mière est sou­vent celle qui tient le fil du par­cours. Celle qui sait quand une situa­tion relève d’un suivi infir­mier, quand une évaluation médi­cale s’impose, quand une prise en charge sociale ou médico-sociale est néces­saire.

Formaliser cette capa­cité d’orien­ta­tion, c’est lutter contre l’errance, les dou­blons, les rup­tu­res de suivi. C’est faire de l’infir­mière un acteur cen­tral de la conti­nuité des soins, au ser­vice de l’effi­cience col­lec­tive.

Un texte ambitieux, fidèle au débat parlementaire

Il faut le sou­li­gner : ce décret est res­pec­tueux de l’esprit et de la lettre des débats par­le­men­tai­res. Il tra­duit une volonté de moder­ni­sa­tion sans bru­ta­lité, avec un souci cons­tant de sécu­rité et de cohé­rence. À ce titre, le tra­vail des équipes de la Direction géné­rale de l’offre de soins (DGOS) mérite d’être salué. Le texte est ambi­tieux, struc­turé, et clai­re­ment orienté vers l’accès aux soins des patients.

L’actua­li­sa­tion régle­men­taire ins­crit dans le Code de la santé publi­que la défi­ni­tion des acti­vi­tés et com­pé­ten­ces infir­miè­res, en cohé­rence avec l’évolution des pra­ti­ques cli­ni­ques, des besoins des patients et des enjeux de santé publi­que. Ce décret ouvre une nou­velle étape. Il ne règle pas tout. Son déploie­ment, son appro­pria­tion, son évaluation seront déter­mi­nants. Mais une chose est acquise : la pro­fes­sion infir­mière dis­pose désor­mais d’un cadre régle­men­taire aligné sur les besoins de la popu­la­tion et la réa­lité du soin.

La balle est désor­mais dans le camp des pou­voirs publics, des agen­ces, des ter­ri­toi­res. Faire vivre ce texte, c’est choi­sir un sys­tème de santé plus fluide, plus acces­si­ble, plus humain. Ne pas le faire, ce serait accep­ter que les pertes de chance conti­nuent, en silence.

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