EHPAD : 3 paradoxes pour les infirmières coordinatrices

11 janvier 2011

La vie en EHPAD, une équation à 3 inconnues

Pour bien com­pren­dre la situa­tion des Maisons de retraite, il faut aujourd’hui consi­dé­rer 3 para­doxes impor­tants :

1- La mis­sion deman­dée aux soi­gnants et accom­pa­gnants qui consiste à tout faire pour main­te­nir, voire res­tau­rer l’auto­no­mie des per­son­nes dont nous avons la charge n’est pas valo­ri­sée finan­ciè­re­ment par les Autorités de tari­fi­ca­tion, les ARS et Conseils géné­raux, bien au contraire puis­que plus vous héber­gez de per­son­nes “lour­des” ayant perdu leur auto­no­mie, plus vous obtien­drez de moyens finan­ciers. Il en va de même pour le for­fait soins et les patho­lo­gies. Nous sommes donc dans un sys­tème ou des choix de prises en charge et de stra­té­gie de pro­jets de soins pour­raient être influen­cés par un “idéal” de popu­la­tion dépen­dante et malade à héber­ger, en ayant pour objec­tif davan­tage de com­pen­ser la perte d’auto­no­mie, plutôt que de viser à la réduire.

2- Le second para­doxe consiste à voir deux cultu­res qui finis­sent par s’oppo­ser pour, peut-être conduire vers un non sens. A l’heure ou tout se décline en “pro­jets” (Projet d’établissement, projet de soins, projet de vie,projet d’ani­ma­tion,…) les per­son­nels soi­gnants tra­vaillant dans les mai­sons de retraite, notam­ment les aides-soi­gnan­tes, AMP, ou Infirmières exer­cent essen­tiel­le­ment dans une “logi­que métier” ou la logi­que “de l’hon­neur” est encore très forte. Autrement dit, c’est sou­vent le statut, le diplôme, l’appar­te­nance à un “corps” qui dic­tent les condui­tes et les méca­nis­mes. Il existe à ce jour une grande dif­fi­culté à conci­lier ces deux logi­ques au ser­vice du rési­dent et de son “projet de vie per­son­na­lisé”.

3- Le troi­sième para­doxe ici évoqué est celui rela­tif au temps.Il existe en effet un véri­ta­ble déca­lage dans la notion de tem­po­ra­lité soi­gnant/soigné. La per­sonne âgée vit avec son rythme, selon sa propre notion du temps. Le plus sou­vent, sa jour­née se découpe en “points de repère” comme les repas, le lever, le cou­cher, par­fois l’ani­ma­tion. Entre ces points de repère… par­fois bien peu de choses.Les soi­gnants vont vite, tou­jours plus vite. Les points forts de la jour­née sont les mêmes, mais il faut agir vite, se confor­mer à une orga­ni­sa­tion rigide et méca­niste. C’est ainsi que ces déca­la­ges sur­vien­nent et que ces 2 popu­la­tions se côtoient sans jamais être dans la même dimen­sion….

Nous devons pren­dre cons­cience de la réa­lité quo­ti­dienne, péni­ble des IDE et IDEc en EHPAD. Au coeur de ces para­doxes, les pro­fes­sion­nels de santé doi­vent com­po­ser, s’arran­ger, se débrouiller... Ces accom­mo­de­ments se font au fil de l’eau.

A l’heure où tra­vailler en géria­trie pour des IDE (et par­ti­cu­liè­re­ment en EHPAD) reste très déva­lo­risé en termes d’image, ce fonc­tion­ne­ment amène les col­lè­gues infir­miè­res à s’éloigner de plus en plus de leur rôle propre et des mis­sions qui leurs sont dévo­lues, pour­tant majeu­res en géria­trie. Le sys­tème fait que dans la plu­part des cas, le temps des IDE est "perdu" dans des heures innom­bra­bles de pré­pa­ra­tions de pilu­liers, de ges­tions de tâches affé­ren­tes, sans parler de la ges­tion de la pénu­rie des per­son­nels AS ou AMP.

Ces tâches se com­pli­quent davan­tage avec les imbri­ca­tions de la méde­cine de ville. Beaucoup d’établissements tra­vaillent avec 20 ou 30 méde­cins trai­tants inter­ve­nants dans les EHPAD et plu­sieurs offi­ci­nes également. Dans cette ges­tion com­plexe, il est demandé à ces per­son­nels de mettre en place des pro­jets de vie pour les per­son­nes accueillies. Ces écarts, ces injonc­tions para­doxa­les pro­vo­quent de véri­ta­bles frus­tra­tions chez les soi­gnants, voire de la rési­gna­tion.

Les Infirmières Coordinatrices, dont la charge est lourde, n’ont tou­jours pas de reconnais­sance véri­ta­ble. Elles assu­rent des fonc­tions de cadre, mais n’en ont pas le statut. Elle doi­vent être les garan­tes de la qua­li­tés des soins et de l’accom­pa­gne­ment de la per­sonne âgée dépen­dante, gérer le maté­riel, gérer les plan­nings, pro­mou­voir des rela­tions de qua­lité avec les famil­les et les inter­ve­nants exté­rieurs... Mais à quel prix ?

Nous savons aujourd’hui que les Maisons de retraite d’aujourd’hui sont vouées à des muta­tions cer­tai­nes dans un avenir proche, notam­ment dans les appro­ches de prises en charge, dans des com­pro­mis avec le domi­cile... La manque d’anti­ci­pa­tion est criant, et les moyens tou­jours non adé­quats.

Reconnaissance, for­ma­tions conti­nues, adap­ta­tion des sys­tè­mes aux mis­sions qui sont les nôtres : Maintien et/ou res­tau­ra­tion de l’auto­no­mie des per­son­nes âgées dépen­dan­tes, prise en charge cohé­rente des patho­lo­gies démen­tiel­les.

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