H1N1 : audition du SNPI par l’Office Parlementaire d’Evaluation des choix scientifiques
17 avril 2010
C’est la première fois que quelqu’un qui n’est pas un "expert estamplillé" peut s’exprimer devant cette instance, signe de l’importance de la parole infirmière sur ce sujet.
Face à la grippe A(H1N1) et à la mutation des virus, que peuvent faire chercheurs et pouvoirs publics ? tel est le titre du rapport de l’OFFICE PARLEMENTAIRE D’ÉVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES
Thierry Amouroux, secrétaire général du SNPI CFE-CGC Syndicat des personnels infirmiers a été entendu lors de l’audition publique du 1er décembre 2009. Son intervention est en ligne sur le site de l’Assemblée Nationale : http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-off/i2226.asp#P689_235258
Je veux d’abord remercier l’Office de donner la parole aux acteurs de terrain. Ceux-ci ont d’ordinaire du mal à se faire entendre, comme en témoigne ici même le départ précipité des représentants des pouvoirs publics et des experts ès pandémies. Une telle attitude explique à elle seule la difficulté du dialogue et la prise de décisions aussi stupides que la circulaire Hortefeux du 21 août relative aux modalités de vaccination.
Ce n’est pas en tant qu’expert, mais en qualité de praticien de terrain et citoyen que je vais essayer de vous expliquer pourquoi un médecin sur deux et deux infirmières sur trois refusent de se faire vacciner, et pourquoi seuls 20 % du personnel hospitalier se sont fait vacciner.
À écouter les interventions de la table ronde précédente, tout serait blanc ou noir : soit on approuve la vaccination massive de l’ensemble de la population, soit on s’oppose à la vaccination. Nous prônons, nous, la juste mesure : si les personnes à risque doivent impérativement être vaccinées, le reste de la population doit librement choisir entre les rares complications de la grippe et les rares effets secondaires du vaccin avec adjuvant.
On recense trois millions de personnes atteintes par le virus grippal A(H1N1) en France. Selon l’InVS, 461 ont été hospitalisées depuis le début de l’épidémie, dont 92 ne présentaient pas de facteur de risques ; 86 sont mortes, dont 6 sans facteur de risque. De tels chiffres nous inclinent à préférer un calcul du rapport bénéfice-risque à un discours incantatoire et quelque peu infantilisant.
On entend depuis ce matin des discours stigmatisant une prétendue inconscience de l’opinion, une méconnaissance des informations, un déni de la réalité, etc. Or j’observe que la position de la France n’est pas forcément partagée par les autres pays. Ainsi, l’avis émis le 7 septembre par le Haut conseil de la santé publique reconnaît que les six pays qu’il prend en exemple ont des politiques vaccinales différentes. On voit par là qu’il n’y a pas une vérité officielle fondée sur des certitudes scientifiques et que les pratiques changent selon les pays, notamment en ce qui concerne les groupes à vacciner. Il nous semble d’autant plus important de préserver une logique citoyenne du libre choix éloignée de toute infantilisation.
En outre, il est inacceptable, d’un point de vue éthique, de juger l’épidémie actuelle plus grave que les 6 000 morts victimes de la grippe saisonnière, sous prétexte que ces derniers sont des personnes âgées. La vie humaine a toujours le même prix, qu’il s’agisse d’une personne âgée ou d’un jeune.
Pour les professionnels de terrain, il n’est pas facile de maintenir une position de juste mesure entre les deux gros lobbies que sont l’industrie pharmaceutique et les ligues antivaccinales. Autre difficulté, nous avons affaire à des cas particuliers : il s’agit de conseiller le patient en fonction de ses intérêts personnels, et non de lui appliquer une logique de masse. Or le face-à-face entre le soignant et le soigné est encore compliqué en France par une mémoire collective marquée par le scandale du sang contaminé ou l’affaire de l’hormone de croissance.
La mise à l’écart des professionnels de terrain de la prise des grandes décisions aboutit aux aberrations de la fameuse circulaire Hortefeux du 21 août sur l’organisation des centres de vaccination. À l’origine, celle-ci dispensait de consultation médicale les personnes n’ayant mentionné aucun facteur de risque. Les protestations des professionnels de santé ont permis de corriger cet aspect de la circulaire.
Ce texte prévoyait également le rythme d’une vaccination toutes les deux minutes. Une cadence aussi infernale ne convient qu’à la médecine vétérinaire. Les délais d’attente dont certains se plaignent aujourd’hui prouvent néanmoins qu’on traite les patients comme des êtres humains, dignes qu’on leur consacre du temps, et non comme un troupeau à vacciner à la chaîne. Il est également important d’expliquer que la « paperasserie » imposée aux patients permet d’assurer la traçabilité, dans leur propre intérêt.
La circulaire fractionnait enfin l’acte de vaccination, un agent devant préparer l’injection, un second procédant à l’injection, et un troisième rédigeant la fiche de traçabilité. À l’hôpital, où la même personne doit obligatoirement réaliser les trois étapes, une telle procédure relèverait de la faute professionnelle. L’absence de toute concertation avec les professionnels de terrain explique l’édiction de ce genre de circulaires totalement inadaptées et l’impuissance à mobiliser des professionnels qui se refusent à travailler dans de telles conditions.
S’il y a une leçon à tirer de cette campagne, c’est bien la nécessité de ne pas laisser la technostructure décider seule et de consulter les professionnels de terrain, ceux qui sont au plus près des besoins.
Source : Face à la grippe A(H1N1) et à la mutation des virus, que peuvent faire chercheurs et pouvoirs publics ? (compte rendu de l’audition publique du 1er décembre 2009 animée par par M. Jean-Pierre Door, Député, et Mme Marie-Christine Blandin, Sénatrice)