Intérim infirmier : la fausse solution qui masque la vraie crise du soin

10 décembre 2025

Limiter l’inté­rim pour les jeunes infir­miers serait, dit-on, une mesure de « sécu­rité ». Pourtant, ceux que l’on sou­haite res­trein­dre ont passé trois années à appren­dre le soin, dont soixante semai­nes immer­gées en cli­ni­que. Le para­doxe est là : le même jeune diplômé qui peut être affecté dès le len­de­main dans une réa­ni­ma­tion serait jugé inapte pour une mis­sion d’inté­rim. Depuis le 1er juillet 2024, les jeunes infir­miers doi­vent jus­ti­fier de deux ans d’exer­cice avant d’accé­der à l’inté­rim… et cela n’a rien résolu.

Un système en crise qui fabrique de faux coupables

Depuis plu­sieurs années, le recours à l’inté­rim pro­gresse dans un hôpi­tal inca­pa­ble de fidé­li­ser ses équipes. Salaires bas, ratios sous ten­sion, car­riè­res blo­quées, gou­ver­nance ver­ti­cale : les jeunes diplô­més cher­chent un souf­fle, une diver­sité de ter­rains, une rému­né­ra­tion moins indi­gne.

Depuis le 1er juillet 2024, un décret impose deux années d’expé­rience mini­male avant d’être auto­risé à exer­cer en inté­rim. Ce verrou avait été pré­senté comme la solu­tion pour « sta­bi­li­ser les débuts de car­rière » et « sécu­ri­ser les soins ».

18 mois après, le cons­tat est clair : la pénu­rie demeure, les jeunes conti­nuent de quit­ter l’hôpi­tal, et les ser­vi­ces res­tent en grande fra­gi­lité. La mesure n’a ni sta­bi­lisé les équipes ni amé­lioré la sécu­rité des soins. Elle montre sur­tout qu’une res­tric­tion, lorsqu’elle ne s’accom­pa­gne d’aucun effort sur l’attrac­ti­vité ou les condi­tions de tra­vail, ne peut pro­duire que des effets limi­tés.

« Débutant » ne signifie pas « inapte »

Un jeune infir­mier n’est pas un débu­tant absolu. Il sort d’un cursus struc­turé com­pre­nant 60 semai­nes de stages, la moitié de sa for­ma­tion, au cœur des ser­vi­ces de méde­cine, de chi­rur­gie, de psy­chia­trie, d’urgen­ces ou de soins cri­ti­ques. Il a appris à évaluer une situa­tion, hié­rar­chi­ser les urgen­ces, réa­li­ser des gestes tech­ni­ques, accom­pa­gner des patients com­plexes. Il est novice au sens de l’expé­rience, mais pro­fes­sion­nel­le­ment opé­ra­tion­nel, reconnu comme tel par l’État et par les équipes.

Pourtant, on vou­drait faire croire qu’il serait insuf­fi­sam­ment pré­paré à une mis­sion d’inté­rim, tout en accep­tant qu’il tra­vaille, dès le pre­mier jour, dans une unité de réa­ni­ma­tion ou de soins inten­sifs. La contra­dic­tion est fla­grante : si la com­pé­tence est jugée suf­fi­sante dans les contex­tes les plus exi­geants, elle ne peut être consi­dé­rée insuf­fi­sante ailleurs. L’enjeu n’est donc pas la for­ma­tion du jeune diplômé, mais la manière dont les ins­ti­tu­tions ten­tent de contrô­ler sa mobi­lité pour com­pen­ser l’inca­pa­cité à rete­nir les pro­fes­sion­nels en poste.

L’intérim : un thermomètre, pas une dérive

Pour le SNPI, l’inté­rim est un symp­tôme, pas une déviance. Lorsque les col­lec­tifs se dis­lo­quent, lors­que la pres­sion devient insou­te­na­ble, lors­que les salai­res res­tent à dis­tance des stan­dards inter­na­tio­naux, les jeunes infir­miers cher­chent une alter­na­tive. L’inté­rim répond à ce besoin d’oxy­gène : choix des horai­res, diver­sité des lieux, reconnais­sance finan­cière.

En paral­lèle, de nom­breux établissements ont dû trou­ver d’autres solu­tions pour cou­vrir les plan­nings : essor des vaca­tions, recours accru aux contrats courts, mul­ti­pli­ca­tion des ajus­te­ments locaux. Ces évolutions confir­ment ce que le SNPI indi­quait déjà : lorsqu’on agit par la contrainte, le sys­tème s’adapte, sou­vent au détri­ment de la sta­bi­lité et de la cohé­rence des équipes. On ne lutte pas contre une crise de l’attrac­ti­vité en res­ser­rant les règles, mais en créant les condi­tions pour que les soi­gnants aient envie de rester.

Professionnalisation : agir par le haut plutôt que par la contrainte

Si l’objec­tif est réel­le­ment d’amé­lio­rer la pro­fes­sion­na­li­sa­tion des débuts de car­rière, alors la voie existe : passer à quatre années d’études, comme dans la majo­rité des pays euro­péens, avec une qua­trième année pro­fes­sion­na­li­sante ins­pi­rée du modèle des méde­cins juniors.

Cette pro­po­si­tion, portée par le SNPI, ancre­rait la montée en res­pon­sa­bi­lité, déve­lop­pe­rait l’auto­no­mie cli­ni­que, sécu­ri­se­rait les pra­ti­ques et valo­ri­se­rait enfin l’exper­tise infir­mière. Elle ren­for­ce­rait la sécu­rité des soins sans enfer­mer les jeunes diplô­més dans des dis­po­si­tifs rigi­des qui ne répon­dent ni à leurs besoins ni à ceux des patients.

Agir sur la for­ma­tion, c’est inves­tir dans le soin. Interdire l’inté­rim, au contraire, est une mesure de faci­lité qui n’amé­liore rien en pro­fon­deur.

L’attractivité, clé de toute solution durable

Le cœur du pro­blème n’est pas la liberté d’exer­cice des jeunes infir­miers, mais la faible attrac­ti­vité des postes sta­bles. Les mesu­res effi­ca­ces sont connues :
 des ratios soi­gnants-patients sécu­ri­tai­res ;
 un salaire d’entrée à la hau­teur des res­pon­sa­bi­li­tés ;
 des condi­tions de tra­vail dignes ;
 un tuto­rat struc­turé pen­dant la for­ma­tion, un com­pa­gnon­nage à la prise de poste ;
 une gou­ver­nance qui reconnaît réel­le­ment l’exper­tise cli­ni­que ;
 des par­cours pro­fes­sion­nels lisi­bles et valo­ri­sants.

Tant que ces sujets res­te­ront secondai­res, les res­tric­tions échoueront. On ne retient pas les soi­gnants en leur fer­mant des portes, mais en ouvrant des pers­pec­ti­ves.

Conclusion : la confiance plutôt que le soupçon

Le débat sur l’inté­rim des jeunes infir­miers se trompe de cible. La res­tric­tion en vigueur depuis le 1er juillet 2024 prouve une chose : la contrainte ne fonc­tionne pas. Elle n’a ni freiné l’exode, ni sta­bi­lisé les équipes, ni amé­lioré la sécu­rité des soins.

Ces jeunes diplô­més sont formés, enga­gés, déjà éprouvés par le ter­rain. Ils n’ont pas besoin d’être bridés, mais accom­pa­gnés, reconnus, sou­te­nus.

La sécu­rité des patients ne se cons­truit pas contre les soi­gnants : elle se cons­truit avec eux, dans des équipes sta­bles, attrac­ti­ves et ren­for­cées. Si la France veut recons­truire son sys­tème de santé, elle doit com­men­cer par cela : faire confiance à celles et ceux qui le por­tent, dès leur pre­mier jour.

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