Les infirmiers oubliés du pacte contre les déserts médicaux

27 avril 2025

Un désert médical n’est pas qu’un problème de médecins absents. C’est un territoire où tout un système de soins se désagrège. Promis comme une réponse d’ampleur à la fracture sanitaire, le « Pacte de lutte contre les déserts médicaux  » présenté par François Bayrou le 25 avril dernier révèle surtout l’ampleur du décalage entre la gravité de la situation et les réponses proposées.

Dans un document de 32 pages, l’infirmier n’apparaît qu’une seule fois, en bas de la page 22, au détour d’une phrase aussi vague que révélatrice. Pour les 640 000 professionnels qui assurent au quotidien l’accès aux soins dans les territoires, cette absence est lourde de sens dans un pays où l’offre de soins repose de plus en plus sur le tissu infirmier.

«  Les infirmières sont les grandes oubliées de ce pacte  », dénonce Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers (SNPI). «  Ce texte confirme que l’État refuse d’assumer la montée en compétence des soignants. La reconnaissance ne se fait qu’à la marge, jamais dans la réalité des pratiques.  » Le constat est d’autant plus amer que le besoin est urgent : la désertification médicale ne peut être combattue sans appui massif sur les compétences infirmières, comme l’ont prouvé d’autres systèmes de santé à l’international.

En lieu et place d’une approche collective, le gouvernement a fait le choix d’une obligation imposée aux médecins. La mesure phare du pacte repose sur un principe de « solidarité territoriale obligatoire » : deux jours par mois, chaque médecin devra prêter main-forte dans les zones les plus dépeuplées médicalement, sous l’égide des Agences Régionales de Santé.

Si l’intention d’apporter un premier secours aux territoires les plus critiques peut sembler louable, l’application pratique soulève une série de contradictions majeures.

D’abord, en termes de faisabilité :
 Plus de 40 000 médecins ont aujourd’hui plus de 65 ans. Combien auront la capacité physique et mentale d’ajouter des journées supplémentaires ?
 Les praticiens subissent déjà des semaines chargées, quand ils ne sont pas appelés d’urgence pour des remplacements. Ce n’est pas en surchargeant ceux qui tiennent encore debout qu’on stabilisera le système.
 La menace est claire : découragement, retraites anticipées, départs précipités. L’effet domino pourrait frapper d’autres territoires jusque-là épargnés.

Ensuite, en termes d’impact : mobiliser des médecins quelques jours par mois ne règle en rien le problème structurel de l’installation durable dans les territoires désertés. On ne recrée pas un écosystème de soins avec des passages éclair. Le risque est double : fragiliser d’autres territoires déjà fragiles, et pousser les praticiens à anticiper leur départ à la retraite ou à limiter encore davantage leur activité libérale.

À force d’oublier les équipes complètes, les gouvernements persistent à traiter la santé publique comme une somme d’individualités. Mais un désert médical ne se remplit pas avec des injonctions. Il se reconstruit avec du collectif : médecins, pharmaciens, infirmiers, kinésithérapeutes, tous essentiels pour soigner, prévenir, accompagner. Or ce collectif, clé de toute solution durable, est absent du texte officiel.

L’invisibilisation des soignants de terrain est d’autant plus frappante que le système repose sur eux pour pallier les carences existantes. En première ligne pour l’éducation thérapeutique, le suivi au quotidien des pathologies chroniques, les soins de plaies complexes ou encore le maintien à domicile, les infirmiers sont aujourd’hui une clé de voûte de la santé de proximité. Les ignorer dans la stratégie nationale d’accès aux soins revient à scier la dernière poutre du système.

Rien sur l’autonomie clinique. Rien sur la primo-prescription élargie. Le mépris est d’autant plus lourd que l’exemple vient d’ailleurs :
 Au Québec, les infirmières praticiennes autonomes assurent la majorité des suivis de soins primaires en milieu rural.
 En Espagne, les soins infirmiers sont organisés autour de la coordination des parcours patients.
 En Suède, la montée en responsabilité des infirmiers a permis de réduire de moitié le temps d’attente moyen pour une consultation médicale générale.

La France reste à l’écart de cette évolution pourtant documentée. Le pacte présenté continue d’associer l’accès aux soins à la seule présence médicale, sans reconnaître la diversité des réponses professionnelles possibles.

Derrière les annonces, une question demeure : combien de temps un système peut-il encore tenir en invisibilisant ceux qui l’empêchent de s’effondrer ?

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