Lettre ouverte des infirmiers de bloc opératoire

31 mars 2010

Lettre ouverte des infirmiers de bloc opératoire du bloc pédiatrique commun du CHU NECKER AP-HP (mars 2010)

Qui sommes nous ?

On nous appelle « les pan­seu­ses », nous sommes Infirmiers de Bloc Opératoire Diplômés d’Etat [IBODE]. N’ayant pas l ‘exclu­si­vité de fonc­tion comme les IADE, nous tra­vaillons en col­la­bo­ra­tion avec des Infirmiers [IDE] ayant décidé de tra­vailler au bloc opé­ra­toire. Nous appar­te­nons, à l’équipe plu­ri­dis­ci­pli­naire qui œuvre autour du patient en salle d’opé­ra­tion.

Que fai­sons-nous ?

Nous accueillons le patient dès son arri­vée au bloc opé­ra­toire et l’accom­pa­gnons jusqu’à sa sortie en salle de réveil. Notre fonc­tion consiste à pré­pa­rer la salle d’opé­ra­tion, les dis­po­si­tifs médi­caux sté­ri­les et les appa­reils électro chi­rur­gi­caux néces­sai­res à l’inter­ven­tion, à veiller à la sécu­rité du patient au cours du geste chi­rur­gi­cal, à faire res­pec­ter les mesu­res d’hygiène et d’asep­sie. Nous fai­sons partie inté­grante de l’équipe chi­rur­gi­cale puis­que nous rem­plis­sons alter­na­ti­ve­ment les rôles de pan­seuse cir­cu­lante (celle qui va servir l’équipe opé­ra­toire), pan­seuse ins­tru­men­tiste (sur le champ opé­ra­toire), par­fois aide opé­ra­toire selon les besoins.

Notre prise en charge ne se limite pas à ces seuls gestes. Un cadre légis­la­tif et admi­nis­tra­tif enca­dre notre tra­vail : check-list, fiche de recueil des don­nées péri opé­ra­toi­res, fiche de tra­ça­bi­lité des dis­po­si­tifs médi­caux sté­ri­les en liai­son avec la sté­ri­li­sa­tion cen­trale et la phar­ma­cie, fiche de tra­ça­bi­lité des dis­po­si­tifs médi­caux implan­ta­bles, fiche de liai­son avec le ser­vice d’hos­pi­ta­li­sa­tion, logi­ciel infor­ma­ti­que de ges­tion du pro­gramme opé­ra­toire à ren­sei­gner. Les tâches sont nom­breu­ses, à réa­li­ser dans un temps res­treint et nous sommes les seuls à les effec­tuer.
Notre pré­sence est indis­pen­sa­ble pour qu’une salle d’opé­ra­tion fonc­tionne !!!

Malheureusement, comme dans tous les blocs, nous man­quons de per­son­nel infir­mier de bloc opé­ra­toire. Nous cou­rons donc en per­ma­nence, les actes sont effec­tués dans la pré­ci­pi­ta­tion. Certaines inter­ven­tions, le néces­si­tant, ne sont pas ins­tru­men­tées, ce qui a pour effet l’aug­men­ta­tion de la durée de l’inter­ven­tion et tout cela au détri­ment de la qua­lité des soins.

Pourquoi fai­sons-nous grève ?

Le 2 février 2010 un nou­veau pro­to­cole d’accord est pro­posé à la vali­da­tion de Madame Bachelot. C’est pour­quoi nous vou­lons vous faire part de nos réel­les condi­tions de tra­vail qui, hélas, se dégra­dent pro­gres­si­ve­ment.

Nous ne contes­tons pas la néces­sité de regrou­per des pla­teaux tech­ni­ques (de nom­breux hôpi­taux fer­ment). Cela génère un sur­croît d’acti­vité néces­si­tant l’ouver­ture de plages horai­res plus lon­gues dans la jour­née opé­ra­toire. Malheureusement les infir­miers de bloc opé­ra­toire sont peu nom­breux. En tout cas pas assez nom­breux pour étaler les horai­res de tra­vail sur la jour­née jusqu’à la fin des pro­gram­mes opé­ra­toi­res immé­dia­te­ment relayés par la prise en charge des urgen­ces. Les fins de jour­née sont par­fois dra­ma­ti­ques car nous sommes pris en « otage » entre l’enfant sur la table d’opé­ra­tion et l’orga­ni­sa­tion de notre vie per­son­nelle.

Les can­di­dats à notre pro­fes­sion, contrai­gnante mais aussi inté­res­sante, se raré­fient. Des ren­forts espa­gnols sont venus à une époque, que nous avons dû former pen­dant plu­sieurs mois qui sont main­te­nant repar­tis… Cela nous a demandé un sup­plé­ment d’énergie sans béné­fice pour autant.

Nous ne pou­vons plus pal­lier les dif­fé­ren­tes exi­gen­ces, à savoir : nom­breu­ses gardes, trans­plan­ta­tions voire pré­lè­ve­ments multi orga­nes de plus en plus fré­quents qui bous­cu­lent les inter­ven­tions chi­rur­gi­ca­les pla­ni­fiées, l’évolution des tech­ni­ques opé­ra­toi­res assis­tées d’infor­ma­ti­que, de robo­ti­que deman­dant cons­tam­ment une rapide mise à niveau de nos connais­san­ces, lon­gues ins­tru­men­ta­tions indis­pen­sa­bles quand le chi­rur­gien opère sous micro­scope ou avec loupes, mais aussi lors de tech­ni­ques chi­rur­gi­ca­les inno­van­tes ou visant à la mise en place de pro­thè­ses ou de maté­riel d’ostéo­syn­thèse, etc.

Enfin, l’acti­vité au bloc opé­ra­toire est telle que nous sommes dans l’exé­cu­tion immé­diate et plus du tout dans le tra­vail de fond (actua­li­sa­tion des pro­cé­du­res, ana­lyse des pra­ti­ques, orga­ni­sa­tion, for­ma­tion des élèves IBODE et nou­vel­les IDE inté­gré au bloc opé­ra­toire, entre­tien du maté­riel et des locaux).

L’aug­men­ta­tion de notre acti­vité, reconnue offi­ciel­le­ment par notre direc­teur des soins, asso­ciée à la dimi­nu­tion de nos effec­tifs, contri­bue for­te­ment à nous épuiser phy­si­que­ment et mora­le­ment. Nous cons­ta­tons d’ailleurs de plus en plus d’absen­téisme. Chaque année, nous sommes effa­rés par le nombre de jour de congés, RTT, repos de garde, heures sup­plé­men­tai­res qui n’ont pu être pris ou récu­pé­rés. Il est dif­fi­cile de les pla­ni­fier si nous vou­lons assu­rer les pro­gram­mes opé­ra­toi­res, la qua­lité et la conti­nuité des soins.

Nous entrons dans une spi­rale infer­nale qui ne nous permet plus d’assu­rer des soins de qua­lité, en toute sécu­rité pour les patients. La pénu­rie de per­son­nel entraîne un glis­se­ment de tâches, exem­ple vécu : l’IBO bran­carde le patient, pen­dant que le cadre fait les pleins, et que le chi­rur­gien lave par terre.
Malgré tout nous aimons notre métier !

Quels sont nos reven­di­ca­tions ?

1) Conscients de ne pas être reconnus à notre juste valeur et que le métier de « pan­seuse » n’est plus attrac­tif, nous deman­dons une reconnais­sance pro­fes­sion­nelle pas­sant par une reconnais­sance finan­cière.
  Une véri­ta­ble reva­lo­ri­sa­tion sala­riale pour la pro­fes­sion infir­mière (IDE et IBODE) sur une grille A type pour atti­rer d’avan­tage de per­son­nel au bloc opé­ra­toire.
  La reconnais­sance des infir­miers spé­cia­li­sés en master.
  La reconnais­sance de la péni­bi­lité de la pro­fes­sion infir­mière( caté­go­rie active et boni­fi­ca­tion d’un an tous les 10 ans : Nous tra­vaillons de garde, d’astreinte, de jour, de nuit, le week-end, la semaine, par­fois en 3X8. Notre métier est péni­ble phy­si­que­ment et psy­cho­lo­gi­que­ment. Pouvons nous tra­vailler dans ces condi­tions passé 55 ans ?)
  L’aug­men­ta­tion de la prime de week-end et une reva­lo­ri­sa­tion consé­quente de la prime de nuit (actuel­le­ment un euro de l’heure !)

2) Pour le main­tien et le reva­lo­ri­sa­tion de notre spé­cia­li­sa­tion d’infir­mière de bloc opé­ra­toire IBODE (18 mois de for­ma­tion sup­plé­men­taire) :
 Le pro­to­cole dit : « Un accès faci­lité à ces nou­vel­les spé­cia­li­tés sera ouvert aux pro­fes­sion­nels expé­ri­men­tés par la vali­da­tion des acquis de l’expé­rience et par des for­ma­tions com­plé­men­tai­res. Ainsi, sera mise en place en prio­rité, pour les agents pou­vant y pré­ten­dre, l’ouver­ture à la vali­da­tion des acquis de l’expé­rience des diplô­mes d’infir­mier spé­cia­lisé de bloc opé­ra­toire. »
 Sommes-nous prêts à déva­lo­ri­ser notre spé­cia­li­sa­tion ? Nous pen­sons que nos com­pé­ten­ces ne s’acquiè­rent pas par mimé­tisme mais par un appro­fon­dis­se­ment de nos connais­san­ces. Nous sommes IBODE, nous avons les connais­san­ces et com­pé­ten­ces pour tra­vailler dans toutes les dis­ci­pli­nes que pro­po­sent la chi­rur­gie, que se soit en tant que cir­cu­lante, ins­tru­men­tiste et aide opé­ra­toire.
 Comment acqué­rir ces com­pé­ten­ces sans une for­ma­tion de qua­lité que pro­pose notre Diplôme d’Etat !!
 A ce jour, les IBODE ne peu­vent pas être seuls à exer­cer au bloc opé­ra­toire par manque de can­di­dat, et parce qu’il faut donner la chance à un IDE de décou­vrir et opter pour notre métier. Nous ne sommes, de ce fait, pas en posi­tion de deman­der l’exclu­si­vité de notre pro­fes­sion. Ne bra­dons pas notre spé­cia­li­sa­tion juste par manque de per­son­nel.
Battons-nous contre la mise en place de la vali­da­tion des acquis de l’expé­rience des diplô­mes d’infir­mier spé­cia­lisé de bloc opé­ra­toire qui risque de voir dis­pa­rai­tre notre diplôme.

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