Mortalité infantile : et si les infirmières étaient la réponse que la France ignore ?

30 mars 2025

La France a longtemps été citée en exemple pour ses résultats en santé périnatale. Ce n’est plus le cas. Le taux de mortalité infantile (décès avant l’âge d’un an) est en hausse. La France se classe désormais 23e sur 27 pays de l’Union européenne, derrière la Pologne, la République tchèque ou encore la Slovénie. Et contrairement à ses voisins, elle ne parvient pas à inverser la tendance.

Au-delà des facteurs communs à tous les pays (âge maternel plus élevé, augmentation de l’obésité, du tabagisme ou des naissances prématurées), des causes spécifiquement françaises expliquent cette dégradation.

En premier lieu, la disparition progressive des maternités de proximité. En vingt-cinq ans, la France a perdu plus de 40 % de ses maternités. Officiellement, pour améliorer la sécurité et la qualité des soins. En réalité, cette concentration des naissances dans des structures plus grandes a créé des "déserts obstétricaux". Dans certains départements, une femme sur trois accouche à plus de 45 minutes de route d’une maternité.

Cette réorganisation a laissé un vide. Moins de maternités, moins de soignants, moins de suivi. Dans les pays nordiques, ce sont des infirmières formées en pédiatrie qui prennent le relais dès le retour à la maison. Elles évaluent, orientent, accompagnent. Elles préviennent les accidents, détectent les troubles précoces, soutiennent les parents. Résultat : la mortalité infantile y est parmi les plus basses d’Europe.

Là où d’autres pays ont organisé des visites post-natales systématiques, la France a laissé faire. Les services de Protection maternelle et infantile (PMI), censés assurer le relais, sont débordés, parfois fermés. Les pédiatres manquent. Les sages-femmes sont en nombre insuffisant. Quant aux puéricultrices, elles sont peu visibles, peu sollicitées, souvent cantonnées à des rôles administratifs ou en crèche.

Et pourtant, elles sont là. Formées, expérimentées, disponibles. Infirmières spécialisées dans la santé de l’enfant, les puéricultrices possèdent une expertise précieuse pour accompagner les familles, repérer les situations à risque, intervenir en prévention. Dans les pays nordiques (parmi les mieux classés d’Europe) ce sont elles qui assurent la majorité du suivi post-natal à domicile. Un modèle qui fonctionne.

Les politiques de réduction des durées d’hospitalisation post-accouchement ont également joué un rôle néfaste. Contrairement à l’Allemagne ou aux pays scandinaves, la France n’a pas compensé les sorties précoces par un suivi systématique à domicile. De nombreuses jeunes mères se retrouvent souvent livrées à elles-mêmes après 48 à 72 heures d’hospitalisation.

Les inégalités socio-territoriales constituent un autre facteur déterminant. Le taux de mortalité infantile peut varier du simple au double entre certains départements français.

Ruptures de suivi, inégalités territoriales, surcharge des équipes hospitalières : tout converge vers un affaiblissement du lien entre les familles et les professionnels de santé. Or ce lien pourrait être restauré. Le Syndicat national des professionnels infirmiers SNPI rappelle que la France dispose de 640.000 infirmiers généralistes, dont une part significative pourrait être formée pour intervenir en pédiatrie de premier recours. "Les infirmières généralistes et puéricultrices sont les grandes absentes des politiques périnatales", souligne Thierry Amouroux, porte-parole du SNPI. "On continue à sous-exploiter leurs compétences, alors qu’elles pourraient jouer un rôle central dans le parcours des 0-6 ans, notamment dans les zones rurales."

Plusieurs pistes existent :
 élargir le champ d’intervention des puéricultrices pour leur permettre un suivi autonome des nourrissons
 systématiser les visites à domicile après la naissance, particulièrement pour les familles précaires ou isolées en créant des unités mobiles de suivi périnatal avec des infirmières et des puéricultrices pour aller au contact des familles qui ne se déplacent pas en centre de santé, en particulier pour le dépistage des infections, de la jaunisse et des troubles alimentaires
 renforcer les effectifs dans les services de PMI, aujourd’hui en grande difficulté
 encourager une meilleure coordination entre les hôpitaux, les PMI et les professionnels libéraux pour éviter les ruptures de suivi
 revoir la formation des infirmières généralistes pour réintégrer la pédiatrie édulcorée dans le référentiel de formation de 2009
 déployer des infirmières à domicile pour les femmes en situation de précarité, afin de réduire les ruptures de suivi médical et assurer une éducation à la santé (nutrition, prévention des infections, suivi du diabète gestationnel, etc.)
 mettre en place des consultations infirmières de suivi à J+3, J+10 et J+30 après la naissance, notamment pour détecter précocement d’éventuels problèmes (jaunisse, déshydratation, difficultés alimentaires, dépression post-partum).

La Haute Autorité de Santé recommande d’augmenter le nombre de consultations remboursées pendant la grossesse et après l’accouchement. Mais sans professionnels formés pour les assurer, ces recommandations restent lettre morte.

Le ministère de la Santé a annoncé la création d’une mission parlementaire sur la mortalité infantile. Mais sans remise à plat du parcours périnatal, sans reconnaissance pleine et entière des compétences infirmières, sans politique territoriale ambitieuse, peu de choses changeront.

Le suivi des 1.500 premiers jours de vie est décisif pour le développement d’un enfant. Ce n’est pas un slogan, c’est un fait de santé publique. Alors pourquoi continuer à se passer de celles et ceux qui peuvent agir dès la sortie de maternité ?

**********************
Et vous, qu’en pensez-vous ? Partagez votre point de vue. Echangez avec nous sur
twitter https://x.com/infirmierSNPI/status/1830605997188231643
facebook https://www.facebook.com/syndicat.infirmier/
linkedin https://www.linkedin.com/feed/update/urn:li:activity:7236362308703191041/

**********************
Nos articles vous plaisent ?
Seul, vous ne pouvez rien.
Ensemble, nous pou­vons nous faire enten­dre ! Rejoignez nous !
https://www.syndicat-infirmier.com/Comment-adherer.html

**********************

Voir également :
 Face à la stagnation du taux de mortalité infantile en France, il faut parier sur le renforcement du rôle des infirmiers, notamment dans le suivi périnatal, défend le Syndicat national des professionnels infirmiers.
https://www.infirmiers.com/ipa-specialites/ipde/mortalite-infantile-il-faut-renforcer-le-role-des-infirmiers-en-perinatalite
 2800 bébés morts chaque année : pourquoi la mortalité infantile est-elle si élevée en France ?
https://sante.lefigaro.fr/social/sante-publique/2800-bebes-morts-chaque-annee-pourquoi-la-mortalite-infantile-est-elle-si-elevee-en-france-20250329

Partager l'article
     

Rechercher sur le site


Dialoguer avec nous sur Facebook
Nous suivre sur Twitter
Nous suivre sur LinkedIn
Suivre notre Flux RSS

Oxyde d’éthylène : l’ombre toxique de la stérilisation plane sur les soignants

La stérilisation sauve des vies. Mais quand elle empoisonne ceux qui soignent, qui protège les (…)

Formation infirmière : la France choisit l’impasse pendant que le monde avance

Mieux formés, les infirmiers sauvent plus de vies. C’est prouvé, documenté, validé. Mais la (…)

Partout où la guerre détruit, les soins reconstruisent

La paix ne commence pas dans les traités, mais dans les gestes quotidiens. C’est l’un des (…)

Redéfinir l’infirmière, c’est refonder la santé

À quoi reconnaît-on une infirmière ? Par la blouse ? Les soins prodigués au chevet ? Trop (…)

Ratios infirmiers : une exigence mondiale, un combat syndical, une loi en attente

Tout le monde le reconnaît désormais : la qualité des soins dépend de la présence suffisante (…)

Le SNPI au Congrès mondial du CII, sous le signe du pouvoir infirmier

Du 9 au 13 juin 2025, la communauté infirmière internationale se donne rendez-vous à Helsinki, (…)