Premiers sur place, derniers considérés : le paradoxe infirmier en temps de crise

28 mars 2025
Les crises ne préviennent plus. Elles frappent, s’enchaînent, s’aggravent. Les plans d’urgence s’activent, mais les moyens classiques s’effondrent sous la pression. Et au cœur de chaque urgence, ce sont les infirmiers qui improvisent, souvent sans soutien, parfois sans protection.
Le 14 décembre 2024, le cyclone tropical Chido balaie Mayotte. En quelques heures, l’île est ravagée. Routes impraticables, centres de soins inondés, communications coupées. Les pompiers manquent de moyens pour intervenir. Et pourtant, les soins continuent. Dans les dispensaires, dans les cabinets infirmiers des quartiers détruits, les infirmières sont là. Elles trient les blessés, rassurent les familles, stabilisent ceux qu’on ne peut pas encore évacuer.
Un mois plus tôt, en Espagne, c’est la région de Valence qui sombre sous les eaux. Les inondations d’octobre 2024 comptent parmi les plus graves jamais enregistrées en Europe. Les secours mettent plusieurs jours à atteindre certaines zones. Des habitants sont isolés, sans électricité, sans eau potable, sans soins. Là encore, les premiers gestes ne viennent pas toujours de l’armée ou des services d’urgence. Ils viennent des professionnels déjà sur place : infirmiers d’hôpital, de ville, d’entreprises, d’établissements scolaires.
Mais toutes les crises ne frappent pas avec la violence d’un cyclone ou d’une inondation. Certaines s’infiltrent lentement, submergent les structures de santé, puis s’installent. Les crises sanitaires, comme les pandémies ou les épidémies, mettent les systèmes à genoux. Et là encore, les infirmiers se retrouvent en première ligne.
Premiers contacts avec les patients, premiers gestes pour isoler, orienter, protéger. Durant la pandémie de COVID-19, ce sont les soignants qui ont fait tenir les murs des services, malgré la fatigue, malgré les risques. Évaluation clinique, surveillance continue, administration des traitements, information aux familles : tout repose sur la présence constante des professionnels infirmiers. Mais au-delà du soin, ils ont été aussi soutien moral, bouée de sauvetage pour des patients parfois seuls, désorientés, paniqués.
Leur rôle dépasse largement les soins techniques : ils rassurent, expliquent, préviennent. Ce sont eux qui ont martelé les consignes de prévention, corrigé les rumeurs, fait le lien avec les plus isolés. Leur connaissance du terrain a été décisive. Pourtant, là encore, peu de formations prévoient leur rôle spécifique en cas de crise sanitaire.
Autre situation de chaos : les attentats. Là aussi, les infirmières sont les premières à se retrouver sur le terrain. Que ce soit à l’hôpital, dans un centre d’accueil, dans un poste avancé, elles assurent les gestes de survie : stopper une hémorragie, dégager une voie respiratoire, trier les blessés selon la gravité. Mais elles ne se contentent pas d’agir. Les infirmiers coordonnent. Ils communiquent avec les médecins, les équipes de secours, les forces de l’ordre. Ils organisent les transferts, priorisent les soins, soutiennent les équipes. Après l’attaque, ils restent encore là : pour suivre les blessés, pour accompagner les familles, pour repérer les signes de stress post-traumatique, pour relancer la vie malgré les cicatrices.
Dans ces moments, chaque minute compte. Chaque décision peut sauver une vie ou en condamner une autre. Et aux cotés des médecins, ce sont des infirmiers qui les prennent, souvent dans le silence, toujours dans l’urgence. Sans plan de formation adapté, sans reconnaissance officielle de leur rôle dans la gestion du terrorisme.
La France compte 640 000 infirmiers. Aucun autre corps de santé ne dispose d’une telle force de proximité. Présents dans les établissements, mais aussi en libéral dans les territoires isolés, en santé au travail, en milieu scolaire, pénitentiaire, médico-social. Ce sont eux qui assurent les soins de base, l’éducation à la santé, le lien avec les structures de secours. Mais en situation de crise, ils restent les grands oubliés de la stratégie.
Pendant la pandémie de COVID, leur rôle a été vital : maintien des soins courants, organisation des campagnes de vaccination, isolement à domicile, repérage des cas à risque. Et pourtant, ce moment n’a pas suffi à inscrire durablement la gestion de crise dans leur formation initiale.
Aujourd’hui encore, aucune obligation de formation en médecine de catastrophe, aucun module dédié à la coordination interservices, aucun entraînement standardisé aux procédures NRBCE (menaces nucléaire, radiologique, biologique et chimique) ou aux plans ORSEC/NOVI (Organisation de la Réponse de SEcurité Civile en cas de NOmbreuses VIctimes). En dehors des infirmiers sapeurs pompiers ISP, ceux qui s’y préparent le font sur la base du volontariat, souvent sans reconnaissance officielle.
Pourtant, les faits sont là. L’infirmier est souvent le premier arrivé. Celui qui fait le tri, pose les premiers diagnostics, déclenche les alertes, oriente les blessés. Celui qui connaît le terrain, les vulnérabilités locales, les relais à mobiliser. Celui qui reste quand les autres n’arrivent pas, ou plus.
Former les infirmiers actuels et futurs à la gestion des crises, c’est donner des outils à ceux qui agissent déjà. C’est structurer une compétence diffuse mais réelle. C’est anticiper ce que les catastrophes nous rappellent, chaque fois : la résilience ne dépend pas que des grandes institutions, mais des acteurs de proximité.
Et si le véritable plan de secours portait une blouse blanche, pas un uniforme ?
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