Réaction IADE : "L’État nous lâche, lâchons l’État" !

6 juin 2010

Lettre ouverte d’Eric DELMAS, IADE bien connu de la pro­fes­sion :

« Fonctionnaire ! Vous en avez de la chance » Qui d’entre-nous n’a jamais entendu cette phrase teinté d’envie ?
Mais qui sait vrai­ment ce que sont les avan­ta­ges et les inconvé­nients d’être un employé de l’État ?

Les avan­ta­ges :

La garan­tie de l’emploi. Même si c’est inexact car l’État a le droit de licen­cier, il est vrai qu’un fonc­tion­naire est assuré que son emploi sera plus stable que celui de n’importe quel employé du sec­teur privé. La contre partie non négli­gea­ble est qu’il peut être aussi com­pli­qué de quit­ter l’État que d’être licen­cié. La moin­dre muta­tion, mise en dis­po­ni­bi­lité ou démis­sion prend vite des pro­por­tions incroya­bles et peut traî­ner six mois, voire plus.
Pour les infir­miers et les infir­miers spé­cia­li­sés, cet avan­tage n’en est pas un car, trou­ver un emploi n’est pas très dif­fi­cile vu la pénu­rie, au point que cer­tains ne tra­vaillent qu’en inté­rim qui leur garan­tit sou­plesse et ren­ta­bi­lité.

Les salai­res. C’est très varia­ble et cela dépend de la région, du poste et du CV.
Un infir­mier spé­cia­lisé peut trou­ver de meilleurs salai­res dans le privé que dans le public, sans comp­ter les avan­ta­ges annexes (comité d’entre­prise, etc.). Les reva­lo­ri­sa­tions annon­cées pour­raient sem­bler pro­met­teu­ses mais elles sont cou­plées à des pertes d’ancien­neté acquise qui vont détruire les car­rière d’à peu près tout le monde. C’est sur­pre­nant que le minis­tère ne com­mu­ni­que abso­lu­ment sur cette partie de son plan.
Si l’on regarde les chose du côté de l’inté­rim ou du libé­ral, c’est la nuit et le jour. Les reve­nus géné­rés sont sans com­mune mesure par rap­port aux mai­gres émoluments du public. Et la marge de manœu­vre est grande. À titre d’exem­ple, un infir­mier anes­thé­siste amé­ri­cain gagne à peu près 7000 $ contre 2000 € pour un fran­çais.

La retraite. Un infir­mier fonc­tion­naire grâce à la prise en compte de la péni­bi­lité réelle de son tra­vail peut partir à la retraite à 55 ans (même s’il n’a pas acquis tous les tri­mes­tres de coti­sa­tions néces­sai­res) et béné­fi­cie d’une année de coti­sa­tion (quatre tri­mes­tres) offerte chaque fois qu’il a accom­pli dix années de tra­vail effec­tif en caté­go­rie active. L’acti­vité séden­taire ne compte pas dans ce calcul.

Ne vous fati­guez pas à cal­cu­ler vos gains, cet avan­tage vient de nous être retiré par le gou­ver­ne­ment avec l’aide du Parlement. Désormais nous devrons atten­dre trois ans de plus et avoir soixante ans même si nous avons toutes nos coti­sa­tions à jour.

Autre avan­tage en ce domaine, le calcul de la pen­sion de retraite. Il se fait sur la base de 75% du der­nier salaire brut, stable depuis au moins six mois, pour les fonc­tion­nai­res contre 60% du salaire moyen, aug­menté des primes, des 25 meilleu­res années de coti­sa­tion.

Mais le statut de fonc­tion­naire com­porte quel­ques inconvé­nients :

La néces­sité de ser­vice.C’est de loin le boulet le plus lourd que nous ayons à porter. Qui ne s’est pas vu refu­ser une muta­tion, une dis­po­ni­bi­lité (ou repor­ter) au motif de la néces­sité de ser­vice public dû à la popu­la­tion ?
Sous ce pré­texte les choses peu­vent aller beau­coup plus loin. On peut vous refu­ser de partir en vacan­ces ou vous obli­ger à reve­nir plus tôt, vous obli­ger à annu­ler un rendez-vous impor­tant (y com­pris votre mariage, l’enter­re­ment d’un parent proche, etc.) au motif que votre pré­sence est néces­saire au bon fonc­tion­ne­ment de l’établissement. Certes, rares sont ceux qui ont eu à en souf­frir. Les effec­tifs, sans être plé­tho­ri­ques étaient néan­moins suf­fi­sants pour gérer la plu­part des situa­tions cri­ti­ques. Qu’en sera-t-il avec les mesu­res de res­tric­tions bud­gé­tai­res qui vont priver la fonc­tion publi­que d’un fonc­tion­naire sur deux ? Qu’en sera-t-il des pro­fes­sions comme les nôtres dont le pou­voir d’attrac­tion en chute libre pro­vo­que des hémor­ra­gies dans les effec­tifs ? Sans comp­ter que les arrêts mala­dies limi­tes seront de plus en plus tra­qués par les flics de la Sécu et ceux de votre établissement pour obte­nir un ren­de­ment maxi­mum. Alors, à part le sui­cide, il ne res­tera plus beau­coup d’options.

La non concur­rence. Peu connu ce concept auto­rise l’État à exiger de ses fonc­tion­nai­res qu’ils ne fas­sent rien qui soient sus­cep­ti­ble de lui faire de l’ombre. Certes les infir­miers sont peu concer­nés par ce pro­blème. Mais si vous dési­rez vous marier et que votre employeur estime que votre conjoint exerce une pro­fes­sion sus­cep­ti­ble de tirer avan­tage, au détri­ment de l’État, de ce mariage, il peut l’inter­dire. De même, votre conjoint vient de trou­ver un boulot qui ne convient pas à l’État, il peut l’empê­cher de l’accep­ter.

L’exclu­si­vité d’acti­vité rému­né­ra­trice. Et oui, vous êtes exclu­si­ve­ment atta­ché à votre employeur comme le forçat à son banc de misère. Les trop rares excep­tions à cette exclu­si­vité concer­nent les acti­vi­tés artis­ti­ques, lit­té­rai­res et d’ensei­gne­ment. Mais encore faut-il que votre employeur les consi­dè­rent comme telles. J’ai connu un col­lè­gue, pho­to­gra­phe repor­ter, qui fai­sait ses photos à l’AP-HP (avec auto­ri­sa­tion écrite de la direc­tion géné­rale) qui s’est vu dire un beau matin que, puisqu’il ven­dait ses photos à des maga­zi­nes infir­miers, le carac­tère artis­ti­que de son acti­vité n’était plus reconnu et qui dû démis­sion­ner pour pou­voir conti­nuer. Dans le privé (FEHAP) où il s’ins­talla ensuite, il n’eut plus aucun pro­blème. Ce pro­blème touche toutes les acti­vi­tés publi­ques y com­pris les temps par­tiels.

Le devoir de réserve. Ah la belle obli­ga­tion que voilà ! L’État dis­pose d’une exclu­si­vité de com­por­te­ment délic­tueux et donc inter­dit à ses agents de le dénon­cer à jus­tice. Si vous dites ou faites quoi que ce soit sus­cep­ti­ble de porter atteinte à l’image de votre employeur — même si vos accu­sa­tions sont fon­dées — vous êtes pas­si­ble du Conseil de dis­ci­pline et de mesu­res pou­vant aller jusqu’à la radia­tion pure et simple.
Votre employeur méprise le Code du tra­vail ou de la Fonction publi­que, inter­dit de le dire à un jour­na­liste. Les condi­tions de tra­vail et la qua­lité des soins qui en décou­lent sont inhu­mai­nes, inter­dit d’en faire les choux gras, etc. Seuls les repré­sen­tants syn­di­caux peu­vent dépas­ser cette obli­ga­tion et un juge peut la lever. Les pre­miers ont par­fois du mal à le faire, pour des rai­sons que vous devi­nez, le second sort rare­ment de sa léthar­gie en ce domaine.

Quand on fait le bilan on cons­tate que le statut de fonc­tion­naire n’a pas que des avan­ta­ges et que ceux-ci fon­dent comme neige au soleil.
Nous venons de perdre la péni­bi­lité et le gou­ver­ne­ment com­mence à annon­cer qu’il va nous sup­pri­mer le calcul pré­fé­ren­tiel de la pen­sion de retraite pour nous ali­gner aussi sur le privé en ce domaine.
Quand cela sera fait nous aurons tous les inconvé­nients du public et aucun des avan­ta­ges, plus tous les inconvé­nients du privé et aucun des avan­ta­ges.

C’est pour­quoi je vous dis sérieu­se­ment, si vous pouvez pren­dre votre retraite de façon anti­ci­pée (que vous ayez toutes vos coti­sa­tions ou pas) à 55 ans, faites-le sans tarder ! Calculez la perte de pen­sion avec votre ser­vice du per­son­nel et rap­pe­lez-vous que quel­ques jours d’inté­rim par mois vous per­met­tront de com­plé­ter la pen­sion à hau­teur de votre der­nier salaire le temps d’apurer vos dettes, emprunts, de finan­cer les études de vos enfants et de fina­li­ser les acqui­si­tions immo­bi­liè­res sur les­quel­les vous comp­ter pour amé­lio­rer votre niveau de vie.
Si vous ne le pouvez pas, dépo­ser votre démis­sion dès que vous appren­drez que notre pen­sion sera ali­gnée sur le mode de calcul du privé.

Comptez qu’aujourd’hui votre retraite équivaut à peu près, si vous l’obte­nez à taux plein, à 65% de votre salaire net (puis­que les primes sont per­dues). Avec le sys­tème de calcul du privé, c’est plus proche de 50% car les 25 meilleu­res années vous font for­te­ment recu­ler au niveau du salaire moyen.
Vous pouvez donc vous offrir un départ anti­cipé qui vous fera perdre jusqu’à 15% de pen­sion, ce qui doit cor­res­pon­dre à peu près à 4 années, soit 16 tri­mes­tres en moins.

Que se pas­sera-t-il quand nous aurons, soit pris notre retraite anti­ci­pée, soit démis­sionné ?

Le gou­ver­ne­ment obtien­dra exac­te­ment l’effet inverse de celui visé. Les hôpi­taux publics vont se vider de leurs infir­miers et infir­miers spé­cia­li­sés, d’autant que les départs nor­maux en retrai­tes pré­voyaient une perte de per­son­nel de 55% à l’hori­zon 2012.

Il suf­fira donc de passer par l’inté­rim pour être prié de bien vou­loir reve­nir tra­vailler à un salaire aug­menté et avec une liberté de plan­ning totale.
Cette pénu­rie durera au bas mot dix ans. D’ici-là le gou­ver­ne­ment aura ouvert les portes des IFSI et des écoles de spé­cia­lité sans résul­tat car per­sonne ne voudra plus exer­cer des pro­fes­sions obli­gées d’en venir à des démis­sions en masse.

La der­nière solu­tion sera d’endi­guer l’hémor­ra­gie comme il le fit dans le passé vis-à-vis du libé­ral en inter­di­sant tout départ avant trois ans d’exer­cice. Cela ne suf­fira pas à éviter la catas­tro­phe et ne fera que fermer d’avan­tage le robi­net des voca­tions.

L’État nous lâche, lâchez l’État !

Éric DELMAS IADE

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