Retraite à 60 ans : la moitié des infirmiers dit non

23 avril 2011

« Un jeu de dupe », « un choix pipé dès le départ », « un chan­tage à la retraite », « une grosse blague »... Le milieu hos­pi­ta­lier et les orga­ni­sa­tions syn­di­ca­les ne man­quent pas d’ima­gi­na­tion pour qua­li­fier le droit d’option indi­vi­duel accordé en octo­bre der­nier par le minis­tère de la santé aux quel­que 200.000 infir­miers de la fonc­tion publi­que hos­pi­ta­lière (FPH).

Dans le cadre de la réforme LMD (Licence-Master-Doctorat), ces der­niers avaient jusqu’au 31 mars 2011 pour choi­sir entre deux options : être reclas­sés en caté­go­rie A, en béné­fi­ciant d’une reva­lo­ri­sa­tion sala­riale et en per­dant leur droit de départ à la retraite dès l’âge de 55 ans, ou rester en caté­go­rie B, en conser­vant ce droit, accordé au titre de la péni­bi­lité. Ce choix cor­né­lien ne concer­nait que les agents FPH en poste car le reclas­se­ment en caté­go­rie A sera appli­qué de façon auto­ma­ti­que pour les étudiants qui ont démarré leur for­ma­tion en 2009.

En pro­po­sant ce chan­ge­ment de statut, le gou­ver­ne­ment a concré­tisé une pro­messe de cam­pa­gne de Nicolas Sarkozy qui enten­dait reva­lo­ri­ser la pro­fes­sion. « Les pre­miè­res reven­di­ca­tions de la reconnais­sance bac +3 datent de 1979, lors­que les études d’infir­miers sont pas­sées en trois ans », expli­que Thierry Amouroux, secré­taire géné­ral du syn­di­cat SNPI CFE-CGC. « Les salai­res des agents n’avaient pas été reva­lo­ri­sés depuis le mou­ve­ment de 1988, mais les mesu­res qui ont été prises sont loin d’être satis­fai­san­tes et n’ont pas convaincu les prin­ci­paux inté­res­sés. »

Le SNPI CFE-CGC en veut pour preuve les résul­tats col­lec­tés par ses équipes dans près de 80 établissements (CHU et CH) : selon les pre­miers retours, seul un tiers des infir­miers ont choisi d’être reclas­sés en caté­go­rie A, tandis qu’un autre tiers a pré­féré rester en caté­go­rie B. Dans un com­mu­ni­qué publié le 17 avril, le syn­di­cat pré­cise : « Une infir­mière sur trois n’a même pas jugé utile de faire son choix dans ce jeu de dupes, et donc res­tera par défaut en caté­go­rie B. »

« La majo­rité des infir­miers de plus de 50 ans ont choisi de conser­ver leur statut, car ce qu’ils auraient gagné en salaire » n’aurait pas été inté­gra­le­ment réper­cuté sur leur retraite, affirme M. Amouroux. A contra­rio, les jeunes diplô­més ont eu ten­dance à passer en caté­go­rie A pour béné­fi­cier de la reva­lo­ri­sa­tion sala­riale pro­gres­sive (qui attein­dra au maxi­mum 200 euros en juillet 2015). C’est notam­ment le cas de la plu­part des agents du ser­vice héma­to­lo­gie de l’hôpi­tal Saint-Antoine (Paris XIIe) : « Nous sommes beau­coup à avoir opté pour le reclas­se­ment en A », expli­que l’une des infir­miè­res. « Le choix s’est fait par rap­port à l’âge et le ser­vice compte sur­tout des jeunes. »

Exerçant à l’hôpi­tal Saint-Antoine depuis onze ans, cet agent hos­pi­ta­lier estime que la mesure de reva­lo­ri­sa­tion a été prise pour divi­ser le per­son­nel : « A ou B, qu’est-ce que ça va chan­ger ? Une aug­men­ta­tion de salaire de rien du tout et après ? On sera tou­jours ici à faire le boulot, comme les autres. On essaie de nous faire croire que nous n’avons pas les mêmes inté­rêts, mais au fond que l’on soit aide-soi­gnant, cui­si­nier ou méde­cin, les pro­blè­mes sont les mêmes : salai­res, manque de per­son­nel, etc. La situa­tion se dégrade de plus en plus. »

« Exercer ce métier pen­dant plu­sieurs années est impos­si­ble » Sur les huit syn­di­cats consul­tés de juin 2009 à février 2010 dans le cadre de la négo­cia­tion, seul le Syndicat natio­nal des cadres hos­pi­ta­liers (SNCH), qui ne repré­sente qu’une infime partie de la pro­fes­sion, avait rati­fié l’ensem­ble du pro­to­cole. Les sept autres (SNPI, CFTC, FO, Unsa, CGT, CFDT et Sud) se sont au contraire mobi­li­sés pour que soit retiré l’arti­cle 30 du projet de loi sur le dia­lo­gue social, remet­tant en cause la péni­bi­lité du métier. « Cerise sur le gâteau : cet arti­cle a été rajouté à la loi de moder­ni­sa­tion du dia­lo­gue social », s’amuse le secré­taire géné­ral du SNPI CFE-CGC qui s’étonne que la loi accor­dant la péni­bi­lité à la pro­fes­sion, votée en 2003 lors­que François Fillon était minis­tre des affai­res socia­les, soit reti­rée sept ans plus tard par le gou­ver­ne­ment du même François Fillon.

Depuis plus d’un an, les orga­ni­sa­tions syn­di­ca­les relaient tant bien que mal les infor­ma­tions auprès des agents hos­pi­ta­liers. « C’est dif­fi­cile de com­pren­dre ce qui se passe », confie une infir­mière en poste depuis trois ans à l’hôpi­tal Saint-Antoine. « Les syn­di­cats font ce qu’ils peu­vent pour com­mu­ni­quer, mais ils sont tous seuls. Ils don­nent l’impres­sion de nager à contre-cou­rant. En plus, les pro­tes­ta­tions de la fonc­tion publi­que ne font pas de bruit parce que nous sommes assi­gnés à chaque mou­ve­ment de grève. Mêmes les plus jeunes finis­sent par se rési­gner. »

Pour le minis­tère de la santé, l’objec­tif de la réforme était double : outre la reconnais­sance du diplôme d’infir­mier au niveau licence, le gou­ver­ne­ment enten­dait pal­lier la pénu­rie d’infir­miers en main­te­nant les agents en acti­vité, un tiers d’entre eux ayant plus de 50 ans. « Un échec », juge Thierry Amouroux du SNPI CFE-CGC. De son côté, le minis­tère se veut plus confiant et com­mu­ni­que les pre­miers résul­tats col­lec­tés au 11 avril der­nier : sur 199.424 agents concer­nés, 135.325 ont fait valoir leur droit d’option. Parmi eux, 76.646 (56,64%) ont opté pour un reclas­se­ment en A, tandis que 58.679 (43,36%) ont choisi de rester en B. Des résul­tats non défi­ni­tifs puis­que le choix de 64.099 agents n’a pas encore été noti­fié. En ins­tau­rant le droit d’option, le minis­tère de la santé sou­hai­tait être inci­ta­tif. Il reste aujourd’hui pru­dent quant à ces effets, jugeant que si la mesure n’a pas ren­contré de véri­ta­ble plé­bis­cite auprès de la pro­fes­sion, le résul­tat final devrait être proche du 50-50.

La situa­tion des infir­miers FHP cris­tal­lise l’ensem­ble du malaise social fran­çais : baisse du pou­voir d’achat, manque de per­son­nel et de moyens, logi­que de ren­ta­bi­lité... Pour les agents du ser­vice héma­to­lo­gie de l’hôpi­tal Saint-Antoine, quels que soient les résul­tats défi­ni­tifs du droit d’option, cette nou­velle réforme n’est qu’un leurre de plus : « Exercer ce métier pen­dant plu­sieurs années est impos­si­ble. » Un cons­tat par­tagé par le syn­di­cat SNPI CFE-CGC : « La durée moyenne d’une car­rière d’infir­mier est de 25 ans. Le taux d’inva­li­dité des agents qui arri­vent à la retraite est de 20% et l’espé­rance de vie d’une infir­mière est infé­rieure de sept ans à celle d’une autre femme. Il était donc impen­sa­ble que la péni­bi­lité de la pro­fes­sion soit remise en ques­tion. C’est pour­tant ce que le gou­ver­ne­ment a fait. »

Ellen SALVI

Article d’Ellen SALVI paru sur Médiapart le samedi 23 avril 2011
Lien : http://www.media­part.fr/jour­nal/france/200411/retraite-60-ans-la-moitie-des-infir­miers-dit-non et http://sitein­fo­se­cu­sante.free.fr/spip.php?arti­cle1844

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