Santé mentale : les infirmiers, piliers invisibles d’un soin en souffrance

23 mai 2025
La santé mentale a été déclarée grande cause nationale pour 2025. Mais à l’heure où les urgences psychiatriques débordent, où les lits ferment, où les professionnels désertent un secteur à bout de souffle, une question s’impose : qui reste au chevet des patients ? Trop souvent oubliés des débats, les infirmiers sont pourtant en première ligne. Évaluation, accompagnement, prévention, coordination… Leur rôle ne se limite pas à l’exécution de prescriptions. Il s’ancre dans la relation, l’observation clinique, la compréhension fine des troubles et des contextes de vie. C’est à partir de cette réalité que le Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI affirme sa position : reconnaître pleinement le rôle des infirmiers dans la santé mentale est une urgence de santé publique.
Les troubles psychiques concernent un Français sur cinq au cours de sa vie. Leur prévalence a explosé après la pandémie de Covid-19. Dépression, anxiété, troubles du comportement, idées suicidaires… Les signes d’alerte se multiplient, y compris chez les enfants et adolescents. Pourtant, l’accès aux soins psychiatriques reste limité. Faute de professionnels, les délais s’allongent. Faute de moyens, les prises en charge s’interrompent. Et dans cette pénurie organisée, les infirmiers assument des responsabilités croissantes — sans toujours bénéficier de la reconnaissance ni des moyens nécessaires.
"Dès le premier contact, l’infirmier joue un rôle déterminant. Par son observation clinique, son écoute active et son expertise relationnelle, il recueille les données qui permettront d’évaluer l’état du patient. Cette évaluation, loin d’être mécanique, mobilise un raisonnement clinique construit, inscrit dans le décret de compétences infirmières. Elle intègre les dimensions biologiques, psychologiques, sociales, et culturelles. En santé mentale, cette posture d’analyse et de présence attentive est souvent le premier pas vers une alliance thérapeutique" précise Thierry Amouroux, le porte-parole du SNPI.
Le soin en santé mentale ne repose pas uniquement sur des protocoles. Il repose sur une alliance : une relation de confiance qui permet au patient de s’exprimer, d’être reconnu dans sa souffrance, de se projeter dans une trajectoire de soins. Les infirmiers sont formés à cette construction du lien, à l’écoute des mots, mais aussi des silences, des attitudes, des décrochages. Ils accompagnent les patients dans leurs difficultés quotidiennes, dans leurs adhésions ou résistances au traitement, dans leurs interactions avec le monde social. L’éducation thérapeutique, souvent assumée par les infirmiers, devient ici une clé d’autonomie. Elle concerne aussi les proches, dont le rôle est essentiel, mais qui doivent être soutenus.
Dans les situations de crise aiguë — tentative de suicide, agitation psychotique, crise d’angoisse majeure — les infirmiers sont souvent les premiers à intervenir. Ils évaluent les risques, contiennent l’urgence, rassurent, alertent, orientent. Ce rôle nécessite des compétences spécifiques et une capacité à agir sous pression. Il s’exerce en lien avec les médecins, les psychiatres, mais aussi les Infirmiers en Pratique Avancée IPA en santé mentale. Cette complémentarité des rôles suppose une organisation fluide, coordonnée, structurée autour du patient. L’infirmier coordinateur IDEC en est un acteur central, notamment dans les structures ambulatoires, à domicile ou en EHPAD.
La prévention des troubles mentaux passe aussi par des actions de terrain : sensibilisation, repérage précoce, orientation. L’infirmier scolaire, par exemple, repère les signaux faibles chez les jeunes et initie des accompagnements. L’infirmier en santé au travail joue un rôle similaire chez les salariés en souffrance. Dans ces fonctions, l’infirmier tisse un réseau de vigilance et d’attention, bien au-delà des murs de l’hôpital. Il peut aussi s’appuyer sur de nouveaux outils : applications de soutien psychologique, plateformes d’auto-suivi, médiations thérapeutiques. Mais ces innovations doivent être encadrées, accompagnées, évaluées — et les infirmiers doivent être formés à les utiliser dans une optique éthique et sécurisée.
En pédopsychiatrie, les infirmiers occupent une place cruciale dans l’accompagnement des enfants et adolescents souffrant de troubles psychiques. Ils participent à l’évaluation clinique, à l’observation comportementale, mais aussi à la médiation avec les familles, souvent déstabilisées face à des diagnostics complexes. Par leur présence constante, les infirmiers instaurent un cadre rassurant, favorisant l’expression émotionnelle et le développement de repères pour les jeunes patients. Ils interviennent également dans des activités thérapeutiques collectives, contribuant à la stabilisation et à l’estime de soi.
Dans le cadre de la psychiatrie de secteur, les infirmiers libéraux IDEL peuvent être sollicités pour assurer un suivi au long cours, en lien avec les centres médico-psychologiques CMP. Leur rôle est d’autant plus essentiel qu’ils interviennent au plus près des patients, à domicile, dans une approche de proximité et de continuité. Par leur regard clinique, leur disponibilité et leur relation de confiance, ils contribuent à maintenir l’équilibre psychique de personnes atteintes de pathologies chroniques, tout en favorisant le maintien à domicile et la prévention des hospitalisations.
Malgré leur rôle essentiel, les infirmiers ne bénéficient pas d’une formation suffisante en santé mentale dans le cursus initial. Le référentiel de 2009, encore en vigueur, consacre peu d’heures à ce domaine. Le futur référentiel prévu pour 2026 ne semble pas non plus marquer un tournant. Pourtant, les besoins sont là. Il serait pertinent d’intégrer des stages spécifiques en psychiatrie, mais aussi en milieu médico-social, et de proposer une certification complémentaire pour les infirmiers souhaitant se spécialiser en santé mentale. Il en va de la qualité des soins, mais aussi de l’attractivité du métier.
La santé mentale est souvent reléguée dans les marges du soin. Pourtant, elle traverse tous les âges, toutes les pathologies, tous les lieux de vie. Et elle appelle une réponse humaine, relationnelle, durable. Les infirmiers y répondent déjà, au quotidien. Mais sans reconnaissance officielle, sans valorisation économique, sans organisation adaptée, cette réponse reste fragile. Or, face à la détresse psychique qui progresse, ce sont des professionnels solides, formés, soutenus qu’il faut. C’est un soin qui tienne — et qui tienne compte des réalités. L’infirmier est un acteur-clé de cette prise en charge. Il est temps de lui donner la place qu’il mérite.