Soigner avec raisonnement clinique : les données probantes au cœur de la profession infirmière

27 mai 2025

Le geste infirmier ne relève pas de l’intuition ou de l’habitude. Il repose sur une démarche rigoureuse, méthodique, qui mobilise des savoirs cliniques, des compétences relationnelles… mais aussi des données probantes. Depuis plusieurs décennies, les sciences infirmières se sont engagées dans un mouvement de fond : celui d’une pratique fondée sur des preuves. Non pour nier l’expérience, mais pour mieux articuler expertise professionnelle, préférences des patients et résultats de la recherche.

Qu’est-ce qu’une donnée probante ?

Une donnée probante, ou «  evidence  » dans la littérature anglo-saxonne, désigne un résultat ou une recommandation issue d’une recherche méthodiquement conduite, répondant à des critères de validité scientifique. Dans le champ infirmier, il peut s’agir d’études cliniques randomisées, d’analyses qualitatives rigoureuses, de revues systématiques ou de recommandations professionnelles validées.

Mais attention : il ne s’agit pas de plaquer des résultats issus d’essais contrôlés sur toutes les situations cliniques. La pratique fondée sur les preuves (Evidence-Based Nursing, EBN) repose sur l’intégration de trois composantes indissociables :
 Les meilleures données issues de la recherche,
 L’expertise clinique de l’infirmier ou de l’infirmière,
 Les préférences, besoins et valeurs du patient.

C’est cette triangulation qui donne sens à la décision de soin.

Mais encore faut-il que les préférences, besoins et valeurs du patient soient réellement entendus. C’est là qu’intervient une spécificité profonde du métier infirmier : la coconstruction du soin, fondée sur le lien de confiance. Ce n’est pas une donnée accessoire, ni une posture secondaire. C’est une compétence à part entière, nourrie par la continuité du contact, l’écoute active, l’attention portée aux signaux faibles, aux silences, aux hésitations.

"L’infirmière est souvent la première à percevoir qu’un patient n’adhère pas à une proposition thérapeutique, qu’il vit une injonction comme une violence, ou qu’il aurait besoin d’un temps d’adaptation pour retrouver une forme d’autonomie. En dialoguant, en réajustant les propositions, en rendant le patient acteur de ses choix, elle permet que les données probantes ne soient pas seulement appliquées, mais incarnées. La meilleure intervention est celle qui soigne avec le patient, pas malgré lui." précise Thierry Amouroux, le porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI.

Cette posture relationnelle, si souvent oubliée dans les référentiels techniques, est pourtant au cœur de la sécurité, de l’observance et du soulagement durable. Elle donne toute sa valeur humaine et professionnelle à l’approche fondée sur les preuves.

Une discipline en structuration

Les sciences infirmières se sont longtemps construites dans l’ombre des disciplines médicales ou psychologiques. Aujourd’hui, elles disposent de leurs propres référentiels, méthodologies et programmes de recherche. Les universités francophones – encore trop peu nombreuses – accueillent des formations doctorales, des laboratoires en soins infirmiers émergent, et des revues scientifiques spécialisées publient des résultats originaux.

Les champs explorés sont vastes : prévention des chutes chez les personnes âgées, soins de plaies, accompagnement de la fin de vie, éducation thérapeutique, soins en santé mentale, relations soignant-soigné, impact des ratios de personnels sur la qualité des soins… Chaque étude contribue à enrichir un corpus commun, à interroger les pratiques, à faire évoluer les référentiels.

Pourquoi les données probantes sont-elles essentielles ?

Dans un système de santé sous tension, chaque acte compte. S’appuyer sur les données probantes permet d’optimiser l’efficacité des interventions infirmières, de limiter les pratiques inutiles ou délétères, et de justifier scientifiquement les choix effectués. Cela renforce la légitimité de la profession dans l’espace interdisciplinaire.

Prenons un exemple concret : la prévention des escarres. De nombreuses études ont démontré l’efficacité du repositionnement régulier des patients, combiné à l’utilisation de matelas adaptés. Grâce aux données probantes, ces mesures ne relèvent plus seulement du bon sens clinique : elles deviennent des standards de qualité mesurables, intégrés aux référentiels de bonnes pratiques.

Autre exemple : les approches relationnelles pour réduire l’anxiété préopératoire ou accompagner les troubles du comportement en psychiatrie. Les études qualitatives montrent qu’un lien de confiance, construit dans la durée, peut avoir un effet comparable – voire supérieur – à certaines interventions médicamenteuses dans des contextes spécifiques.

En France, le développement de la recherche en sciences infirmières reste embryonnaire. Faute de financement pérenne, de reconnaissance statutaire et de passerelles entre pratique et recherche, les initiatives restent souvent isolées. Pour que les données probantes deviennent un levier de transformation des pratiques, il s’agit de reconnaître les sciences infirmières comme une discipline à part entière, productrice de connaissances utiles, rigoureuses, directement applicables au soin.

Une exigence éthique

S’appuyer sur les données probantes, c’est aussi faire le choix de l’éthique. Car toute décision de soin engage la santé, parfois la vie d’un patient. Elle doit être éclairée, argumentée, et constamment réévaluée à l’aune des avancées scientifiques. L’infirmière n’est pas une exécutante. Elle est une professionnelle du soin, capable de juger, d’anticiper, d’ajuster ses interventions à la lumière de ce que la science nous apprend.

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