Soigner les soignants : des discours aux actes, le fossé se creuse

15 août 2025

Des soi­gnants en bonne santé, c’est la base pour des soins de qua­lité et des patients en sécu­rité. Mais com­ment pro­té­ger la santé des infir­miè­res quand ceux qui publient des rap­ports sur le sujet sont aussi ceux qui orga­ni­sent des condi­tions de tra­vail qui les abî­ment ? Et si les pro­mes­ses de bien-être ne ser­vaient qu’à maquiller une réa­lité faite de sous-effec­tifs chro­ni­ques, de maté­riel man­quant et de perte de sens ?

Dans la conti­nuité des tra­vaux d’une mis­sion minis­té­rielle, le der­nier ouvrage sur"la santé des pro­fes­sion­nels de santé" se veut une réfé­rence. Il ras­sem­ble des contri­bu­tions de cher­cheurs, d’experts et de diri­geants hos­pi­ta­liers. La Fédération hos­pi­ta­lière de France (FHF) y met en avant des expé­rien­ces loca­les. Ces ini­tia­ti­ves sont réel­les et sou­vent utiles à celles et ceux qui peu­vent en béné­fi­cier. Elles témoi­gnent qu’il est pos­si­ble d’agir autre­ment.

Mais elles ne trai­tent pas le pro­blème de fond : la mal­trai­tance ins­ti­tu­tion­nelle qui use les équipes au quo­ti­dien. Car repein­dre des murs ou amé­na­ger une salle de sport ne com­pense pas un poste de nuit assuré avec trois per­son­nes au lieu de cinq, un cha­riot de soins incom­plet ou un plan­ning bri­colé au der­nier moment.
Dans beau­coup de ser­vi­ces, la qua­lité de vie au tra­vail reste un slogan. Les soi­gnants tra­vaillent à flux tendu, enchaî­nent les gestes essen­tiels sans pou­voir pren­dre le temps d’expli­quer, se heur­tent chaque jour à des dilem­mes éthiques. Et se deman­dent com­bien de temps ils pour­ront tenir.

C’est sur ce déca­lage entre dis­cours et réa­lité que le Syndicat natio­nal des pro­fes­sion­nels infir­miers SNPI concen­tre ses reven­di­ca­tions. Pas de vœux pieux ni d’échéances à l’hori­zon 2050 : des normes pré­ci­ses, des obli­ga­tions oppo­sa­bles, des moyens iden­ti­fiés et des indi­ca­teurs publics.

La pre­mière urgence, c’est de fixer un nombre de patients par infir­mière, selon le type de ser­vice, ajusté à la gra­vité et à la com­plexité des prises en charge. Toutes les études inter­na­tio­na­les conver­gent : plus les ratios sont bas, plus la mor­ta­lité et les com­pli­ca­tions aug­men­tent. Or actuel­le­ment, nous avons deux fois plus da patients que les normes inter­na­tio­na­les.

Une loi sur les ratios a été adop­tée à l’una­ni­mité en jan­vier 2025, mais les tra­vaux n’ont pas encore com­mencé pour fixer des normes règle­men­tai­res. Ces ratios doi­vent être ins­crits dans un décret, et leur res­pect contrôlé et publié régu­liè­re­ment, ser­vice par ser­vice. Car tant que l’effec­tif de base est insuf­fi­sant, toutes les dis­cus­sions sur la santé au tra­vail res­tent un exer­cice de com­mu­ni­ca­tion.

Protéger les soi­gnants, c’est aussi affron­ter la vio­lence qui s’exerce contre eux. Insultes, mena­ces, coups, agres­sions sexuel­les : pour beau­coup, c’est devenu une com­po­sante du quo­ti­dien. Or ce n’est pas un risque « iné­vi­ta­ble » du métier, mais un échec de pré­ven­tion.

Un pro­gramme natio­nal devrait être obli­ga­toire dans chaque établissement de santé  : évaluation des ris­ques par ser­vice, for­ma­tion sys­té­ma­ti­que de toutes les équipes, pro­cé­du­res de signa­le­ment sim­ples et effi­ca­ces, prise en charge inté­grale des vic­ti­mes – y com­pris sou­tien juri­di­que et amé­na­ge­ment tem­po­raire du poste. Chaque année, un bilan public détaille­rait le nombre d’inci­dents, leur nature et les mesu­res prises.

La loi PRADAL du 9 juillet 2025, qui pré­voit des peines aggra­vées en cas de vio­len­ces envers un pro­fes­sion­nel de santé, n’est pas appli­quée. Lundi 28 juillet, une infir­mière libé­rale a été agres­sée en Meurthe-et-Moselle alors qu’elle effec­tuait sa tour­née. Alors qu’elle a été frap­pée à coups de poing dans son véhi­cule, le juge­ment rendu est inac­cep­ta­ble : une simple amende pour l’agres­seur ! La tolé­rance zéro ne doit pas être un slogan, mais une poli­ti­que appli­quée.

La santé men­tale est l’autre grand angle mort. Les infir­miè­res paient un prix élevé à la sur­charge, aux horai­res impré­vi­si­bles, aux décès évitables, aux situa­tions mora­le­ment insou­te­na­bles. Certaines som­brent dans la dépres­sion, d’autres quit­tent la pro­fes­sion, trop de col­lè­gues se don­nent la mort.

Garantir un accès rapide et confi­den­tiel à un sou­tien psy­cho­lo­gi­que est une mesure de survie : consul­ta­tion dans les 72 heures après un inci­dent grave ou un signa­le­ment de détresse, avec cinq séan­ces finan­cées par an, pro­gram­mes de sou­tien par les pairs, cel­lu­les spé­cia­li­sées pour les « secondes vic­ti­mes » après un événement indé­si­ra­ble. Et sur­tout, un suivi sta­tis­ti­que régu­lier pour mesu­rer l’évolution et cibler les ser­vi­ces les plus expo­sés.

Certaines attein­tes sont encore plus pré­vi­si­bles. La gros­sesse des soi­gnan­tes en est un exem­ple clair. L’expo­si­tion à des agents infec­tieux, à des pro­duits toxi­ques ou au port répété de char­ges lour­des est docu­men­tée depuis long­temps. Pourtant, la pro­tec­tion reste varia­ble selon les établissements, par­fois inexis­tante. Un réfé­ren­tiel natio­nal oppo­sa­ble devrait pré­ci­ser les amé­na­ge­ments de poste indis­pen­sa­bles, inter­dire cer­tai­nes expo­si­tions et garan­tir le main­tien inté­gral des primes. Protéger les femmes encein­tes ne devrait pas dépen­dre du bon vou­loir d’un cadre ou d’un méde­cin du tra­vail, mais rele­ver d’un droit incondi­tion­nel.

Le rôle infir­mier est déter­mi­nant pour pré­ve­nir les décom­pen­sa­tions, éviter les hos­pi­ta­li­sa­tions inu­ti­les et amé­lio­rer l’adhé­sion aux trai­te­ments. Créer des postes spé­ci­fi­que­ment flé­chés pour la pré­ven­tion, l’éducation thé­ra­peu­ti­que et la coor­di­na­tion per­met­trait d’agir en amont, de réduire la charge en aval et d’offrir des pers­pec­ti­ves pro­fes­sion­nel­les diver­si­fiées. C’est aussi une façon de lutter contre l’usure en offrant des par­cours moins éprouvants phy­si­que­ment, tout en ren­for­çant la qua­lité des soins.

Aucune de ces mesu­res ne peut exis­ter sans moyens dédiés. Pour le SNPI, sanc­tua­ri­ser 1 % de la masse sala­riale de chaque établissement pour finan­cer des actions concrè­tes – rem­pla­ce­ment des absents, sou­tien psy­cho­lo­gi­que, équipements de pro­tec­tion, for­ma­tions – est un enga­ge­ment mini­mal. Ce budget fléché devrait être tracé et rendu public chaque année. Aujourd’hui, trop de plans inter­nes de « santé au tra­vail » se dis­sol­vent dans les frais géné­raux ou dis­pa­rais­sent faute de suivi.

La com­pa­rai­son entre les pro­po­si­tions mises en avant par la FHF et celles por­tées par les infir­miè­res est révé­la­trice. D’un côté, des pro­jets vitrine, sou­vent limi­tés à quel­ques ser­vi­ces volon­tai­res, dépen­dants de finan­ce­ments excep­tion­nels et de bonnes volon­tés loca­les. De l’autre, une stra­té­gie natio­nale, struc­tu­rée, oppo­sa­ble, qui défi­nit des stan­dards, oblige à les appli­quer et en mesure l’appli­ca­tion. Là où le rap­port évoque un chan­ge­ment de para­digme d’ici 2050, les soi­gnants deman­dent des mesu­res appli­ca­bles immé­dia­te­ment, ins­cri­tes dans la régle­men­ta­tion et assor­ties de finan­ce­ments.

Car pren­dre soin des soi­gnants, ce n’est pas leur offrir un cours de yoga entre deux gardes ni repein­dre la salle de repos. C’est leur donner les moyens humains, maté­riels et orga­ni­sa­tion­nels pour exer­cer leur métier sans y lais­ser leur santé. C’est reconnaî­tre que l’usure pro­fes­sion­nelle n’est pas un défaut indi­vi­duel de rési­lience, mais le résul­tat d’un sys­tème qui tolère, voire orga­nise, des condi­tions de tra­vail dégra­dées.

Reste à savoir si le minis­tère et les employeurs hos­pi­ta­liers sont prêts à s’atta­quer aux causes pro­fon­des de cette usure… ou s’ils conti­nue­ront à soi­gner les symp­tô­mes qu’ils ont eux-mêmes créés.

La ques­tion n’est plus : « com­ment amé­lio­rer la qua­lité de vie au tra­vail ? » La ques­tion est : com­bien de temps encore le sys­tème de santé pourra-t-il tenir en épuisant ceux qui le font vivre ?

**********************
Et vous, qu’en pensez-vous ? Partagez votre point de vue. Echangez avec nous sur
twit­ter https://x.com/infir­mierSNPI/status/1830605997188231643
face­book https://www.face­book.com/syn­di­cat.infir­mier/
lin­ke­din https://www.lin­ke­din.com/feed/update/urn:li:acti­vity:7236362308703191041/

**********************
Nos arti­cles vous plai­sent ?
Seul, vous ne pouvez rien.
Ensemble, nous pou­­vons nous faire enten­­dre ! Rejoignez nous !
https://www.syn­di­cat-infir­mier.com/Comment-adhe­rer.html

**********************

 le Syndicat natio­nal des pro­fes­sion­nels infir­miers pro­pose des actions concrè­tes à mettre en place dans l’ensem­ble des hôpi­taux publics afin de pré­ser­ver la santé des per­son­nels soi­gnants, ainsi qu’une piste clai­re­ment iden­ti­fiée pour les finan­cer.
https://www.infir­miers.com/pro­fes­sion-ide/actua­lite-sociale/des-pro­po­si­tions-pour-en-finir-avec-la-mal­trai­tance-ins­ti­tu­tion­nelle-des-soi­gnants
 le SNPI pro­pose de sanc­tua­ri­ser un mini­mum de 1% de la masse sala­riale des struc­tu­res de santé pour finan­cer des actions concrè­tes en faveur de la santé des soi­gnants. Il porte plu­sieurs mesu­res de fond.
https://www.hos­pi­me­dia.fr/actua­lite/arti­cles/20250819-dia­lo­gue-social-un-syn­di­cat-pro­pose-de-sanc­tua­ri­ser-1

Partager l'article
     



Rechercher sur le site


Dialoguer avec nous sur Facebook
Nous suivre sur Twitter
Nous suivre sur LinkedIn
Suivre notre Flux RSS

Déclasser les sciences infirmières, c’est affaiblir la santé publique

Une décision administrative peut parfois révéler une vision politique. C’est le cas du choix (…)

Universités d’Hiver de l’HAD : IA, éthique et sens du soin

Participer ce mercredi 10 décembre aux Universités d’Hiver de l’HAD a été un vrai moment de (…)

Intérim infirmier : la fausse solution qui masque la vraie crise du soin

Limiter l’intérim pour les jeunes infirmiers serait, dit-on, une mesure de « sécurité ». (…)

Élection du nouveau Conseil National du syndicat infirmier SNPI

Le Syndicat National des Professionnels Infirmiers (SNPI CFE-CGC) a procédé, lors de son (…)

Contribution du SNPI : Projet d’arrêté “Actes et soins infirmiers”

L’arrêté relatif aux actes infirmiers constitue un moment déterminant pour donner effet à la loi (…)

Arrêté “Actes et soins infirmiers” : pourquoi le SNPI demande une réécriture ambitieuse

Le projet d’arrêté définissant les actes infirmiers devait permettre de mettre enfin en (…)