Vacciner aujourd’hui pour protéger l’autonomie demain : un enjeu central du bien vieillir

26 novembre 2025

Vieillir en bonne santé n’est pas un luxe. C’est la condi­tion d’une société qui assume son vieillis­se­ment sans renon­cer à la soli­da­rité. Dans une France où les plus de 65 ans dépas­se­ront bien­tôt les moins de 15 ans, un docu­ment vient rap­pe­ler une évidence oubliée : la pré­ven­tion vac­ci­nale est l’un des outils les plus effi­ca­ces pour pro­té­ger l’auto­no­mie. Le Livre blanc sur les infec­tions res­pi­ra­toi­res des seniors affirme ce que les soi­gnants cons­ta­tent chaque hiver : la mala­die évitable est l’une des pre­miè­res causes cachées de dépen­dance.

Le cons­tat posé est impla­ca­ble : les infec­tions res­pi­ra­toi­res chez les seniors (grippe, VRS, pneu­mo­co­que, Covid ou coque­lu­che) repré­sen­tent un coût sani­taire et économique colos­sal, lar­ge­ment sous-estimé. La grippe touche chaque année 1,5 mil­lion de per­son­nes, pro­vo­que un sur­croît de mor­ta­lité chez les plus de 65 ans et génère jusqu’à 300 mil­lions d’euros de dépen­ses selon la saison. Le VRS, long­temps perçu comme un virus pédia­tri­que, entraîne 10 000 à 20 000 hos­pi­ta­li­sa­tions annuel­les chez les seniors pour un coût supé­rieur à 150 mil­lions d’euros. Quant au pneu­mo­co­que, il pro­vo­que 240 000 hos­pi­ta­li­sa­tions et plus de 13 000 décès par an, pour un coût global estimé entre 2,7 et 3,4 mil­liards d’euros.

Mais leur poids réel est bien plus large que les seuls séjours à l’hôpi­tal. Car une infec­tion res­pi­ra­toire n’est jamais un simple épisode aigu chez une per­sonne âgée. Elle fra­gi­lise, dés­ta­bi­lise l’équilibre déjà pré­caire des mala­dies chro­ni­ques, pro­vo­que des chutes, entraîne une décom­pen­sa­tion car­dia­que ou res­pi­ra­toire, et laisse des séquel­les cog­ni­ti­ves dura­bles. Dans de très nom­breux cas, c’est l’infec­tion sai­son­nière (et non la mala­die chro­ni­que) qui pré­ci­pite l’entrée en dépen­dance.

Cette réa­lité, pour­tant élémentaire pour les acteurs du soin, reste peu visi­ble dans les chif­fres offi­ciels. Les diag­nos­tics sont incom­plets, les “cas­ca­des patho­gé­ni­ques” rare­ment iden­ti­fiées, les com­pli­ca­tions attri­buées à d’autres causes. Résultat : le pays sous-estime mas­si­ve­ment un far­deau qui pèse déjà sur son sys­tème de santé et qui menace de s’alour­dir avec le vieillis­se­ment de la popu­la­tion.

Nous dis­po­sons aujourd’hui d’outils effi­ca­ces : vac­cins amé­lio­rés contre la grippe, pro­tec­tion contre le VRS, nou­veaux vac­cins pneu­mo­coc­ci­ques, vac­ci­na­tion contre le zona. Les don­nées exis­tent, les béné­fi­ces sont connus, et les économies poten­tiel­les sub­stan­tiel­les. Pourtant, la cou­ver­ture vac­ci­nale des seniors stagne loin des objec­tifs inter­na­tio­naux.

Ce para­doxe tient à plu­sieurs fai­bles­ses struc­tu­rel­les :
– une culture de pré­ven­tion encore insuf­fi­sante chez les adul­tes ;
– un accès par­fois com­plexe, dépen­dant de l’offre locale ;
– une gou­ver­nance frag­men­tée, où la vac­ci­na­tion des seniors ne fait l’objet d’aucune stra­té­gie coor­don­née ;
– des mes­sa­ges trop tech­ni­ques et trop peu per­son­na­li­sés.

À l’heure où le vieillis­se­ment pose un défi col­lec­tif, conti­nuer à trai­ter la vac­ci­na­tion comme une simple recom­man­da­tion sai­son­nière est un contre­sens sani­taire, économique et social.

Prévenir l’infec­tion, c’est pré­ser­ver l’auto­no­mie

La partie la plus éclairante du Livre blanc se trouve peut-être là : la vac­ci­na­tion ne pro­tège pas uni­que­ment contre l’infec­tion. Elle pro­tège contre la dépen­dance.

Prévenir les hos­pi­ta­li­sa­tions, c’est éviter l’ali­te­ment pro­longé, les chutes, la perte mus­cu­laire, les semai­nes de réé­du­ca­tion, les frac­tu­res du col du fémur, les réhos­pi­ta­li­sa­tions en cas­cade. C’est pré­ser­ver la marche, les trans­ferts, le bain, les cour­ses du quo­ti­dien : ces gestes sim­ples qui déci­dent du main­tien à domi­cile.

Prévenir les infec­tions, c’est aussi pré­ve­nir les infarc­tus, les AVC, les décom­pen­sa­tions res­pi­ra­toi­res ou car­dia­ques déclen­chés par l’inflam­ma­tion. Et c’est limi­ter les trou­bles neu­ro­cog­ni­tifs post-infec­tieux, qui accé­lè­rent trop sou­vent la perte d’auto­no­mie chez les per­son­nes fra­gi­les.

Car der­rière l’épisode aigu se joue l’essen­tiel : une perte d’auto­no­mie bru­tale et dura­ble. Entre 18 % et 62% des seniors hos­pi­ta­li­sés pour une infec­tion res­pi­ra­toire voient leur auto­no­mie chuter, et jusqu’à 66 % ne la retrou­vent pas trois mois plus tard. Ces infec­tions déclen­chent également un “effet domino” car­dio­vas­cu­laire : le risque d’infarc­tus est mul­ti­plié par 5 à 7 après une grippe, et 22 % des infec­tions à VRS s’accom­pa­gnent d’une com­pli­ca­tion car­dia­que.

La vac­ci­na­tion appa­raît ainsi comme l’un des leviers les plus rapi­des, les plus acces­si­bles et les plus effi­ca­ces pour ralen­tir la dépen­dance. Une poli­ti­que de pré­ven­tion adulte ambi­tieuse ne serait pas un coût : ce serait un inves­tis­se­ment stra­té­gi­que.

Le rôle infir­mier : la clé de voûte de la pré­ven­tion

Le Livre blanc parle de stra­té­gie, de gou­ver­nance, d’objec­tifs. Mais la mise en œuvre repose sur des acteurs précis : les pro­fes­sion­nels infir­miers.

Ce sont eux qui voient les fra­gi­li­tés s’ins­tal­ler, qui iden­ti­fient les patients à risque, qui repè­rent les pertes d’auto­no­mie débu­tan­tes, qui connais­sent les aidants et les contrain­tes du quo­ti­dien. Ce sont eux qui ont la rela­tion la plus conti­nue avec les per­son­nes âgées, à domi­cile, en EHPAD, en consul­ta­tion infir­mière, en visite pré­ven­tive.

Dans un pays où un senior sur deux n’a pas de suivi médi­cal régu­lier struc­turé, l’infir­mière est sou­vent le pre­mier (et par­fois le seul) pro­fes­sion­nel de santé à pou­voir ini­tier un rappel vac­ci­nal, expli­quer l’inté­rêt d’un vaccin, lever les doutes, orga­ni­ser la mise à jour du calen­drier vac­ci­nal. Elle peut également iden­ti­fier les freins sociaux ou logis­ti­ques et les résou­dre : accès au cabi­net, mobi­lité limi­tée, iso­le­ment, incom­pré­hen­sion.

Les pays qui ont réussi leurs stra­té­gies vac­ci­na­les adul­tes ont un point commun : une mobi­li­sa­tion forte des infir­miè­res, auto­ri­sées à pres­crire cer­tai­nes vac­ci­na­tions, for­mées à l’éducation à la santé, sou­te­nues par des outils numé­ri­ques adap­tés. La pré­ven­tion vac­ci­nale chez les seniors ne pro­gres­sera en France que si l’on s’appuie plei­ne­ment sur cette exper­tise cli­ni­que, rela­tion­nelle et éducative.

L’aller-vers : la stra­té­gie que les infir­miè­res peu­vent mettre en œuvre

Si la France veut réel­le­ment aug­men­ter la cou­ver­ture vac­ci­nale des seniors, elle ne pourra pas se conten­ter de cam­pa­gnes d’infor­ma­tion ou d’invi­ta­tions déma­té­ria­li­sées. Une partie impor­tante des per­son­nes âgées ne se déplace plus faci­le­ment, ne consulte plus régu­liè­re­ment, ou ne répond pas aux sol­li­ci­ta­tions ins­ti­tu­tion­nel­les. C’est là que la stra­té­gie de l’aller-vers devient déci­sive : aller au domi­cile plutôt que d’atten­dre que les per­son­nes vien­nent vers le sys­tème de soins.

Et les pro­fes­sion­nels capa­bles d’incar­ner cette stra­té­gie exis­tent déjà : les infir­miè­res. Elles sont les der­niè­res à se rendre quo­ti­dien­ne­ment chez les patients. Elles voient les fra­gi­li­tés évoluer, iden­ti­fient les trou­bles de la mobi­lité, repè­rent les iso­le­ments, com­pren­nent les contrain­tes du domi­cile. Elles savent aussi ins­tau­rer la confiance, pren­dre le temps, expli­quer avec des mots sim­ples ce que d’autres auraient exprimé dans un lan­gage admi­nis­tra­tif ou trop tech­ni­que.

L’aller-vers infir­mier n’est pas une option mar­gi­nale : c’est une réponse prag­ma­ti­que à un défi majeur de santé publi­que. Dans de nom­breux pays, les infir­miè­res vac­ci­nent direc­te­ment à domi­cile lors des visi­tes pro­gram­mées ou au sein de tour­nées dédiées, inté­grées au suivi des mala­dies chro­ni­ques ou aux bilans de fra­gi­lité. Cette appro­che réduit les iné­ga­li­tés ter­ri­to­ria­les, atteint les per­son­nes les plus iso­lées et évite de bas­cu­ler dans une situa­tion para­doxale : des inno­va­tions vac­ci­na­les dis­po­ni­bles, mais inac­ces­si­bles aux per­son­nes qui en ont le plus besoin.

"Intégrer l’aller-vers dans une stra­té­gie natio­nale de vac­ci­na­tion des seniors, c’est reconnaî­tre un fait simple : pour des mil­liers de per­son­nes âgées, pro­té­ger l’auto­no­mie passe d’abord par la capa­cité à aller vers elles. Et les infir­miè­res, par leur pré­sence quo­ti­dienne et leur exper­tise de ter­rain, en sont les actri­ces natu­rel­les" pré­cise Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat natio­nal des pro­fes­sion­nels infir­miers SNPI.

Le Livre blanc pro­pose six prio­ri­tés struc­tu­ran­tes :
 Une gou­ver­nance natio­nale forte, capa­ble de coor­don­ner les cam­pa­gnes et d’en fixer les objec­tifs.
 Un par­cours vac­ci­nal sim­pli­fié, lisi­ble, inté­gré au dos­sier de la per­sonne âgée.
 Des cam­pa­gnes d’infor­ma­tion ciblées, cen­trées sur les béné­fi­ces concrets pour l’auto­no­mie.
 Une mobi­li­sa­tion ren­for­cée des pro­fes­sion­nels de santé, en pre­mier lieu des infir­miè­res.
 Un accès accé­léré aux inno­va­tions vac­ci­na­les.
 L’inté­gra­tion sys­té­ma­ti­que de la vac­ci­na­tion dans le par­cours géria­tri­que et dans les bilans de fra­gi­lité.

Ces mesu­res ne relè­vent pas de l’utopie : elles relè­vent du prag­ma­tisme. D’autres pays les ont déjà mises en œuvre. Le vieillis­se­ment de la popu­la­tion est un fait. La dépen­dance, elle, ne l’est pas. Entre l’allon­ge­ment de la vie et la perte d’auto­no­mie, il existe une marge de manœu­vre immense : celle de la pré­ven­tion.

Nous ne man­quons ni des vac­cins, ni des don­nées, ni des soi­gnants capa­bles d’accom­pa­gner les seniors. Il manque un choix poli­ti­que clair : faire de la pré­ven­tion vac­ci­nale un pilier de la stra­té­gie du “bien vieillir”. Une poli­ti­que lisi­ble, ambi­tieuse, struc­tu­rée. Une poli­ti­que qui assume que chaque infec­tion évitable repré­sente une frac­ture, une chute, une entrée en EHPAD, par­fois une vie écourtée.

Prévenir, c’est pro­té­ger.
Prévenir, c’est res­pec­ter.
Prévenir, c’est per­met­tre de vieillir debout.
Le moment est venu d’en faire une prio­rité natio­nale.

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