Bracelet d’identification : le SNPI saisit le Ministère

22 janvier 2008

Le 14.01.08, lors des voeux du Ministère de la Santé, Thierry Amouroux, le Président du SNPI CFE-CGC a offert son bracelet d’identification à Roselyne Bachelot. La relation soignant-soigné c’est poser les problèmes éthiques là où une technostructure ne voit que des procédures techniques sécuritaires. Voici le courrier joint au bracelet :

Madame la Ministre,

La direc­tion de l’hôpi­tal Saint Louis de l’AP-HP sou­haite géné­ra­li­ser l’iden­ti­fi­ca­tion des mala­des par des bra­ce­lets d’iden­tité. Alors que l’on parle d’huma­ni­sa­tion des hôpi­taux, du droit des mala­des, de la dignité des per­son­nes hos­pi­ta­li­sées, nous sommes par­ti­cu­liè­re­ment cho­qués par une telle démar­che, aussi nous sol­li­ci­tons votre sou­tien.

Certes, cela peut être accep­ta­ble, au cas par cas, pour des per­son­nes inca­pa­bles de décli­ner leur iden­tité (nour­ris­sons, déments), sachant qu’il ne peut y avoir de caté­go­rie par­ti­cu­lière (une per­sonne sénile ou un malade mental qui connaît son nom n’a pas à subir ce genre d’humi­lia­tion), mais que des déci­sions d’équipe sur une per­sonne donnée.

Mais lorsqu’une per­sonne hos­pi­ta­li­sée est capa­ble de décli­ner son iden­tité, lui deman­der de "s’étiqueter" revient à le nier en tant que per­sonne, à lui faire quit­ter sa qua­lité de "sujet, objet de soins", pour en faire un "objet des soins". Agir ainsi pose de réels pro­blè­mes éthiques, et va à l’encontre de la démar­che soi­gnante.

Un bra­ce­let d’iden­ti­fi­ca­tion n’est pas un objet neutre, car il renvoi à l’ima­gi­naire du mar­quage, varia­ble selon l’his­toire per­son­nelle :
 le bra­ce­let du pri­son­nier ou du délin­quant sexuel, ren­forcé par le fait que l’hôpi­tal com­porte lui aussi des carac­té­ris­ti­ques d’enfer­me­ment et de sou­mis­sion à un per­son­nel en uni­forme (ne dit on pas tou­jours la sur­veillante en par­lant du cadre infir­mier ?). Une per­sonne a ainsi demandé à l’infir­mière si on l’obli­geait à porter ce bra­ce­let parce qu’elle était séro­po­si­tive.
 la cho­si­fi­ca­tion, ren­for­cée par le fait que l’étiquette infor­ma­ti­sée collée sur le bra­ce­let com­porte un numéro d’iden­ti­fi­ca­tion et un code barre. Lors d’une réu­nion d’infor­ma­tion dans la café­té­ria de Saint Louis, le cadre supé­rieur chargé du projet a même indi­qué qu’à terme on pas­se­rait le lec­teur de code barre sur la poche de sang ou de chi­mio­thé­ra­pie, puis sur le bras du malade afin de lire l’étiquette du bra­ce­let pour véri­fier la com­pa­ti­bi­lité ! Peut on ima­gi­ner que trai­ter ainsi une per­sonne hos­pi­ta­li­sée comme un objet de consom­ma­tion ne modi­fie pas la rela­tion soi­gnant /soigné ?
 l’ani­ma­li­sa­tion, un malade ayant ainsi indi­qué à l’infir­mière qu’il n’était pas un chien, et qu’il était hors de ques­tion qu’on lui mette un col­lier avec son nom. Ce n’est qu’une anec­dote, mais pour l’infir­mière qui ren­contrait ce patient pour la pre­mière fois, cela a altéré dura­ble­ment le rap­port de confiance, car une gêne s’était ins­tal­lée entre eux.
 le mar­quage des camps de concen­tra­tion, par­ti­cu­liè­re­ment sen­si­ble, dans la mesure où l’hôpi­tal Saint Louis se trouve entre Belleville et le Sentier.

Une jeune infir­mière ne se posait pas de pro­blème par rap­port au bra­ce­let : elle appli­quait la consi­gne de la direc­tion. Jusqu’au jour où le vieil homme hos­pi­ta­lisé à qui elle deman­dait de mettre ce bra­ce­let, avec son étiquette à code barre, l’a regardé, à remonté sa manche, et lui a dit « Mademoiselle, je n’ai pas besoin de votre bra­ce­let, j’ai déjà un numéro d’iden­ti­fi­ca­tion de tatoué ». Face à cet ancien déporté, elle a vécu un grand moment de soli­tude. Elle n’a jamais pu repren­dre en charge ce patient, car quel­que chose était brisé dans la rela­tion soi­gnant/soigné. Et pour elle, ce bra­ce­let n’est plus une simple pro­cé­dure de sécu­ri­sa­tion.

A tra­vers ce cas concret d’éthique cli­ni­que, chacun peut cons­ta­ter que la tech­ni­que modi­fie la rela­tion de soins. Même en dehors de l’aspect stig­ma­ti­sant, le bra­ce­let induit un rap­port de doci­lité, de contrôle, de sou­mis­sion, qui va à l’encontre des valeurs du soin. En met­tant un bra­ce­let, un patient ne peut plus être dans un rap­port égalitaire avec le soi­gnant.

Qui plus est, c’est l’infir­mière que l’on ins­tru­mente pour impo­ser ce bra­ce­let, alors qu’au contraire l’infir­mière est là pour défen­dre la valeur et la dignité humaine du malade au sein de l’uni­vers hos­pi­ta­lier, en rap­pe­lant qu’il est en lui-même une fin, c’est-à-dire une per­sonne que l’on doit res­pec­ter, et non une simple chose (organe, patho­lo­gie), dont on peut dis­po­ser. De part sa vision glo­bale et ses capa­ci­tés rela­tion­nel­les, l’infir­mière permet au malade de conser­ver son huma­nité.

Déjà en 2000, dans sa grande sagesse, le Directeur Général de l’époque avait pré­féré reti­rer un tel projet, suite aux réac­tions des infir­miè­res qui refu­saient de mettre une étiquette avec numéro et code barre au poi­gnet des per­son­nes hos­pi­ta­li­sées, et à la condam­na­tion des grou­pes de réflexion de l’Espace Ethique AP-HP.

Aussi, confor­mé­ment aux recom­man­da­tions élaborées par les grou­pes de réflexion de l’espace Ethique de l’AP-HP "Soin citoyen" et "Soignants et éthique au quo­ti­dien", nous vous deman­dons de bien vou­loir inter­ve­nir pour mettre un terme au projet de géné­ra­li­ser le port d’un bra­ce­let d’iden­ti­fi­ca­tion, aux per­son­nes hos­pi­ta­li­sées capa­bles de décli­ner leur iden­tité.

Dans cette attente, nous vous prions d’agréer, Madame la Ministre, l’expres­sion de notre haute consi­dé­ra­tion.

Thierry AMOUROUX
Président du Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI CFE-CGC

Pour lire le texte rédigé par les grou­pes de réflexion de l’Espace Ethique AP-HP "Soin citoyen" et "Soignants et éthique au quo­ti­dien", lorsqu’ils se sont oppo­sés à un projet d’iden­ti­fi­ca­tion des mala­des par des bra­ce­lets d’iden­tité en 2000 : cli­quer ici

Pour agir, nous vous invi­tons à signer la péti­tion en télé­char­ge­ment : cli­quer ici

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