Cadres de santé : analyse sociologique

22 juillet 2011

Analyse juillet 2011 de Mme Sylvie LUCAS, Maitre de Conférences à l’Université Paris Dauphine, qui a participé à la Mission de Chantal de SINGLY.

Cette ana­lyse s’arti­cule autour de trois points clés :
 Le temps des réfor­mes n’est pas le temps des acteurs.
 L’attrac­ti­vité des métiers d’enca­dre­ment
 Une nou­velle école socio­lo­gi­que : La cli­ni­que de l’acti­vité

Le temps des réfor­mes n’est pas le temps des acteurs. Ce pre­mier point repré­sente une grille de lec­ture éclairante. Les réfor­mes relè­vent de la sphère mana­gé­riale. Le temps des acteurs est en lien avec la com­plexité de l’hôpi­tal.

Dans le milieu des ins­ti­tu­tions de santé, bien que les lignes hié­rar­chi­ques soient rela­ti­ve­ment rédui­tes – cadre, cadre supé­rieur, direc­tion de soin – l’impres­sion d’éloignement et de dis­tance est très forte.

Cela se tra­duit par exem­ple pour les cadres par la crainte de ne plus être assez pro­ches des équipes du fait de l’acti­vité accrue de ges­tion. L’enjeu, face à ces res­sen­tis, va être d’inves­tir d’autres formes de proxi­mité, la connais­sance du tra­vail des équipes devrait elle tou­jours passer par le fait d’avoir soi même exercé ? Les spé­cia­li­sa­tions de plus en plus poin­tues amè­nent à réflé­chir à d’autres formes d’appré­hen­sions des modes d’exer­cice

A un autre niveau, en réfé­rence aux grilles de lec­ture usuel­les dans le milieu hos­pi­ta­lier, la pre­mière réac­tion par rap­port à la mise en place du cadre soi­gnant de pôle fût de dire qu’il s’agis­sait d’une ligne hié­rar­chi­que de plus. Mais ce n’est pas l’esprit de la loi, il s’agit d’une fonc­tion nou­velle, non d’une ligne hié­rar­chi­que sup­plé­men­taire. Mais alors, à fonc­tion nou­velle devront cor­res­pon­dre com­pé­ten­ces annon­cées, ce sont ces nou­veaux métiers, ces nou­vel­les fonc­tions qui jus­ti­fient l’appro­che par les com­pé­ten­ces.

La mise en œuvre des réfor­mes repose tou­jours sur les cadres. Tout le monde exprime le fait que « sans les cadres de santé, l’hôpi­tal ne tourne pas ». Mais les cadres res­sen­tent un défi­cit de reconnais­sance alors qu’ils met­tent en œuvre des tré­sors d’inven­ti­vité Là aussi l’entrée par les com­pé­ten­ces, et pas seu­le­ment les « com­pé­ten­ces incor­po­rées » per­met­tra de donner une visi­bi­lité au tra­vail d’enca­drant.

La réponse qui permet de com­bi­ner mana­ge­ment et socio­lo­gie est de mobi­li­ser le concept de stra­té­gie en l’appli­quant non seu­le­ment à l’ins­ti­tu­tion et au projet d’établissement mais également aux acteurs. En effet, les acteurs sont des stra­tè­ges où qu’ils soient, quel que soit leur niveau hié­rar­chi­que. Si on ne laisse pas le temps aux acteurs de mettre en place leur stra­té­gie, les réfor­mes sont vécues comme des injonc­tions.

En effet, tous les acteurs sont impac­tés par les réfor­mes et doi­vent trou­ver un nou­veau posi­tion­ne­ment. Le temps des acteurs est plus long : le rap­port au tra­vail est impacté, il faut le temps de trou­ver de nou­veaux repè­res, de recom­po­ser des allian­ces. Ce sont les arran­ge­ments entre acteurs qui font tour­ner l’orga­ni­sa­tion.

Il est fon­da­men­tal de com­pren­dre les rai­sons pour les­quel­les il y a cette dis­so­cia­tion de tem­po­ra­lité. En s’appuyant sur les tra­vaux de Kurt Lewin sur le chan­ge­ment, l’auteur dis­tin­gue trois temps d’un chan­ge­ment pour les acteurs : décris­tal­li­sa­tion, tran­si­tion, recris­tal­li­sa­tion. Il faut reconnaî­tre que la phase de décris­tal­li­sa­tion va pren­dre un cer­tain temps, en effet tous les « arran­ge­ments » entre acteurs sont mis à mal parce que les équipes chan­gent, par exem­ple.

Quand on touche aux leviers de pou­voir d’un acteur, les anciens repè­res s’effon­drent. La phase de tran­si­tion est la phase où s’ins­talle le projet, où chacun teste des nou­veaux posi­tion­ne­ments. La phase de recris­tal­li­sa­tion permet une recons­truc­tion, une réins­tal­la­tion dans ce nouvel envi­ron­ne­ment.

C’est l’acteur lui-même qui donne un sens à sa nou­velle posi­tion. C’est sur cette nou­velle confi­gu­ra­tion qu’il faut tra­vailler. Le concept de stra­té­gie va alors s’appli­quer aux dif­fé­ren­tes filiè­res leur per­met­tant de se posi­tion­ner dans un envi­ron­ne­ment de réfor­mes por­tées par la direc­tion
Le mana­ge­ment relève le plus sou­vent d’une démar­che pres­crip­tive, le temps de la com­pré­hen­sion est une autre démar­che. Il faut arti­cu­ler pres­crip­tion / com­pré­hen­sion et donner du temps à cette com­pré­hen­sion.

La ques­tion de l’attrac­ti­vité des fonc­tions d’enca­dre­ment est une vraie ques­tion pour cette filière pro­fes­sion­nelle.

L’entrée par les com­pé­ten­ces va per­met­tre d’avan­cer sur cette ques­tion. En effet, il ne s’agit plus de rai­son­ner uni­que­ment par statut mais bien d’appré­hen­der les nou­vel­les fonc­tions en termes de com­pé­ten­ces.
Exemple : la sphère du mana­ge­ment n’était pas capa­ble de défi­nir les com­pé­ten­ces néces­sai­res pour exer­cer la fonc­tion de cadre de pôle car elle n’exis­tait pas aupa­ra­vant. Il a été dif­fi­cile de la part des direc­teurs de soins d’accom­pa­gner une fonc­tion qu’ils ne connais­saient pas. Seuls ceux qui exer­cent cette fonc­tion peu­vent en parler et décrire les com­pé­ten­ces qu’ils ont pu déve­lop­per.

Ce n’est qu’avec quel­ques années de recul qu’une fiche de poste, qui a par ailleurs toute sa légi­ti­mité mais qui ne rend pas compte de toutes les com­pé­ten­ces, peut être conçue.
Le fait de for­ma­li­ser des com­pé­ten­ces permet d’en parler à ceux qui sont sus­cep­ti­bles de deve­nir cadres.

Il s’agit d’entrer dans une autre culture, celle du mana­ge­ment. Prenons de nou­veau comme exem­ple la fonc­tion cadre para médi­cal de pôle qui arti­cule l’opé­ra­tion­nel et le stra­té­gi­que en per­ma­nence.

Dans le tri­nôme de pôle méde­cin – soi­gnant – admi­nis­tra­tif, les pro­fes­sion­nels de santé connais­sent bien le fonc­tion­ne­ment des méde­cins pour les côtoyer depuis le début de leur car­rière et le fonc­tion­ne­ment des soi­gnants et l’appro­che de la filière ges­tion­naire leur est de moins en moins étrangère. Ainsi des cadres de santé ont pris des postes de cadre admi­nis­tra­tifs de pôle, et le résul­tat est tout à fait pro­bant. Aussi appa­rais­sent ils comme de véri­ta­bles « chefs d’orches­tre » res­pec­tueux des ter­ri­toi­res de chacun mais capa­bles d’arti­cu­ler les dif­fé­ren­tes logi­ques à l’œuvre au niveau des pôles.

Ainsi voyons-nous qu’au fur et à mesure des exer­ci­ces dans une car­rière, il y a un enri­chis­se­ment des domai­nes de com­pé­ten­ces du pro­fes­sion­nel.
Rendre les fonc­tions d’enca­dre­ment attrac­ti­ves, c’est mon­trer les dif­fé­ren­tes oppor­tu­ni­tés, entrer par les com­pé­ten­ces pour les rendre visi­bles et ainsi les valo­ri­ser et asseoir les com­pé­ten­ces des pro­fes­sion­nels dans ces métiers.

Chacun a sou­vent fait sa car­rière indi­vi­duel­le­ment, le fait de tra­vailler sur ces com­pé­ten­ces ensem­ble montre que l’on appar­tient à la même pro­fes­sion.

La cli­ni­que de l’acti­vité, déve­lop­pée notam­ment par Yves Clot, permet d’inter­ro­ger la ques­tion des com­pé­ten­ces. « Les pro­fes­sion­nels sont des vir­tuo­ses du com­pro­mis » dit il.

Le tra­vail doit donc être mis en débat. Quand le tra­vail n’est pas mis en débat, le risque est que les dys­fonc­tion­ne­ments soient impu­tés à des indi­vi­dus qui devien­nent très vite des boucs émissaires et dont chacun attend le départ (démo­gra­phie oblige !). Débattre permet de reconnaî­tre l’appro­che spé­ci­fi­que de chacun et de s’enga­ger vers des com­pro­mis dont les pro­fes­sion­nels de santé sont jus­te­ment les « vir­tuo­ses » mais débat­tre c’est aller au conflit et , comme le dit Yves Clot, « le conflit n’a jamais tué per­sonne ! ce sera la conclu­sion en forme d’invi­ta­tion à conti­nuer à vous nour­rir des appro­ches des domai­nes des Sciences socia­les qui s’inté­res­sent aux rap­ports des Hommes au tra­vail

Analyse juillet 2011 de Mme Sylvie LUCAS, Maitre de Conférences à l’Université Paris Dauphine, qui a par­ti­cipé à la Mission de Chantal de SINGLY.
Elle a été asso­ciée comme res­pon­sa­ble péda­go­gi­que et ensei­gnante cher­cheur dans les dif­fé­rents cursus uni­ver­si­tai­res déli­vrés par l’uni­ver­sité Paris Dauphine dans le champ de la santé depuis plus de 20 ans. Elle expli­que que son appré­hen­sion du milieu hos­pi­ta­lier s’est faite à tra­vers la socio­lo­gie, alors que son pre­mier domaine d’exper­tise était le mana­ge­ment stra­té­gi­que et son 2ème domaine les Sciences de l’éducation. En effet, elle s’est rap­pro­chée de l’équipe de Michel Crozier au CSO (Centre de Sociologie des Organisations) qui avait déve­loppé des actions de for­ma­tion et de recher­che dans le domaine hos­pi­ta­lier. La socio­lo­gie lui a permis de tra­vailler dans des opti­ques plus com­pré­hen­si­ves sur ce monde com­plexe qu’est le monde des établissements de santé.

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