Contrôle des salariés et loyauté des preuves

9 août 2012

L’employeur a le pou­voir de contrô­ler et de sur­veiller l’acti­vité de son per­son­nel pen­dant le temps de tra­vail, mais il ne peut pas mettre en œuvre un dis­po­si­tif de contrôle clan­des­tin, car déloyal.

La Cour de cas­sa­tion vient, une nou­velle fois, de réaf­fir­mer ce prin­cipe dans un arrêt de la cham­bre sociale du 4 juillet 2012. Il s’agit d’une affaire où l’employeur avait eu recours à des let­tres dites « fes­ti­ves » (let­tres ayant la par­ti­cu­la­rité de dif­fu­ser une encre bleue si elles sont ouver­tes) afin de confon­dre une fac­trice qu’il soup­çon­nait d’ouvrir des let­tres dont elle assu­rait la dis­tri­bu­tion. La sala­riée avait alors été licen­ciée pour faute grave. Elle contes­tait le mode de preuve uti­lisé par son employeur, n’ayant pas été infor­mée de ce dis­po­si­tif. Pour la Cour de cas­sa­tion, l’uti­li­sa­tion de let­tres pié­gées à l’insu du per­son­nel cons­ti­tue un stra­ta­gème qui rend illi­cite le moyen de preuve obtenu. Il ne peut donc pas être invo­qué à l’appui de sanc­tions éventuelles.

Rappelons que, pour cons­ti­tuer un moyen de preuve licite, un dis­po­si­tif de contrôle et de sur­veillance des sala­riés doit au préa­la­ble avoir été porté à leur connais­sance. Toutefois, la simple sur­veillance des sala­riés par leur supé­rieur hié­rar­chi­que sur les lieux du tra­vail, même en l’absence d’infor­ma­tion préa­la­ble, ne cons­ti­tue pas, selon la juris­pru­dence, un mode de preuve illi­cite.

Source : http://www.legi­france.gouv.fr/affi­ch­Ju­ri­Judi.do?oldAc­tion=rech­Ju­ri­Judi&idTexte=JURITEXT000026157361&fas­tRe­qId=234311822&fast­Pos=1

Références
Cour de cas­sa­tion
cham­bre sociale
Audience publi­que du mer­credi 4 juillet 2012
N° de pour­voi : 11-30266

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt sui­vant :

Sur le moyen unique :
Vu l’arti­cle 9 du code de pro­cé­dure civile ;

Attendu, selon l’arrêt atta­qué, que Mme X..., employée depuis le 6 août 2001 par la Poste en qua­lité d’agent de tri-col­lecte puis de fac­trice, a été licen­ciée pour faute grave le 28 avril 2009 pour avoir ouvert une lettre ; qu’elle a saisi la juri­dic­tion prud’homale d’une demande de paie­ment des indem­ni­tés de rup­ture conven­tion­nel­les et d’une indem­nité pour licen­cie­ment sans cause réelle et sérieuse ;

Attendu que pour débou­ter la sala­riée de sa demande, l’arrêt énonce que la Poste, char­gée d’une mis­sion de ser­vice public, étant tenue de garan­tir aux usa­gers le secret et l’inté­grité des cor­res­pon­dan­ces confiées, le nombre accru de signa­li­sa­tions rela­ti­ves à des let­tres ouver­tes dans le centre dont dépen­dait la sala­riée jus­ti­fiait l’intro­duc­tion de let­tres dites " fes­ti­ves " dans sa tour­née, let­tres ayant la par­ti­cu­la­rité de dif­fu­ser une encre bleue si elles sont ouver­tes, afin de mettre fin à des agis­se­ments frau­du­leux ; que ces let­tres bana­li­sées ne cons­ti­tuent pas un pro­cédé de sur­veillance des­tiné à col­lec­ter des infor­ma­tions sur les sala­riés mais ont voca­tion à être trai­tées de la même façon que les autres cor­res­pon­dan­ces et qu’il n’y a donc ni stra­ta­gème ni pro­vo­ca­tion à com­met­tre une infrac­tion, ni uti­li­sa­tion d’un pro­cédé déloyal par l’employeur ;

Attendu cepen­dant que si l’employeur a le pou­voir de contrô­ler et de sur­veiller l’acti­vité de son per­son­nel pen­dant le temps de tra­vail, il ne peut mettre en oeuvre un dis­po­si­tif de contrôle clan­des­tin et à ce titre déloyal ;

Qu’en sta­tuant comme elle a fait, alors que l’uti­li­sa­tion de let­tres pié­gées à l’insu du per­son­nel cons­ti­tue un stra­ta­gème ren­dant illi­cite le moyen de preuve obtenu, la cour d’appel a violé le texte sus­visé ;

PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dis­po­si­tions, l’arrêt rendu le 15 mars 2011, entre les par­ties, par la cour d’appel de Chambéry ; remet, en consé­quence, la cause et les par­ties dans l’état où elles se trou­vaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les ren­voie X... la cour d’appel de Lyon ;

Condamne la Poste aux dépens ;

Vu l’arti­cle 700 du code de pro­cé­dure civile, la condamne à payer la somme de 2 500 euros à Mme X... ;

Dit que sur les dili­gen­ces du pro­cu­reur géné­ral près la Cour de cas­sa­tion, le pré­sent arrêt sera trans­mis pour être trans­crit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cas­sa­tion, cham­bre sociale, et pro­noncé par le pré­si­dent en son audience publi­que du quatre juillet deux mille douze.

MOYEN ANNEXE au pré­sent arrêt

Moyen pro­duit par la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat aux Conseils, pour Mme X....

Il est repro­ché à l’arrêt atta­qué d’AVOIR dit que le licen­cie­ment de Madame Christine X... était inter­venu pour faute grave et d’AVOIR rejeté ses deman­des indem­ni­tai­res et de l’AVOIR condam­née à payer à la SA LA POSTE la somme de 9. 079, 33 euros ;

AUX MOTIFS QUE il résulte du rap­port d’enquête versé aux débats (pièce n° 6) que depuis le mois de mai 2008, le nombre de signa­li­sa­tions concer­nant les let­tres ouver­tes a aug­menté sen­si­ble­ment sur le centre de Taninges ; que deux agents ont été ciblés comme pou­vant être les auteurs des faits, par­ti­cu­liè­re­ment Christine X..., pré­sente à chaque signa­li­sa­tion ;
 l’intro­duc­tion de let­tres dites " fes­ti­ves " dans la tour­née de Christine X..., ayant la par­ti­cu­la­rité de dif­fu­ser une encre bleue si elles sont ouver­tes, a ainsi été rendu néces­saire pour mettre fin à ces agis­se­ments frau­du­leux, et per­met­tre à la société LA POSTE d’assu­rer sa mis­sion de ser­vice public ;
 la SA LA POSTE a ainsi agi non pour la sau­ve­garde de ses inté­rêts pro­pres mais pour des motifs impé­rieux d’inté­rêt public en vue de faire cesser des agis­se­ment répré­hen­si­bles péna­le­ment sanc­tion­nés ; les let­tres fes­ti­ves ne cons­ti­tuent donc pas un pro­cédé de sur­veillance des­tiné à col­lec­ter des infor­ma­tions sur les sala­riés mais un moyen de faire cesser un agis­se­ment répré­hen­si­ble ;
 ces let­tres bana­li­sées ont d’ailleurs voca­tion à être trai­tées de la même façon autres cor­res­pon­dan­ces, et sui­vent un ache­mi­ne­ment normal si l’agent traite nor­ma­le­ment la cor­res­pon­dance ; qu’il n’y a donc ni stra­ta­gème ni pro­vo­ca­tion de l’agent à com­met­tre une infrac­tion, ni uti­li­sa­tion d’un pro­cédé déloyal par l’employeur ; en consé­quence, il convient de reje­ter le moyen tiré de l’illi­céité du moyen de preuve ;

ALORS QUE l’employeur ne peut pas mettre en oeuvre dans l’entre­prise un pro­cédé de contrôle de l’acti­vité des sala­riés qui n’a pas été porté préa­la­ble­ment à leur connais­sance ; que l’emploi de let­tres pié­gées est un tel pro­cédé, puisqu’il est des­tiné à déter­mi­ner si le cour­rier est ouvert par les sala­riés, peu impor­tant le but pour­suivi ; qu’en esti­mant ce pro­cédé licite en-dehors de tout aver­tis­se­ment des sala­riés, la Cour d’Appel a violé l’arti­cle 9 du Code de Procédure Civile, ensem­ble l’arti­cle 6 § 1 de la Convention de sau­ve­garde des droits de l’homme et des liber­tés fon­da­men­ta­les ;

ET AUX MOTIFS QUE cons­ti­tue une faute grave la faute qui résulte d’un ensem­ble de faits impu­ta­bles au sala­rié qui cons­ti­tue une vio­la­tion des obli­ga­tions résul­tant du contrat de tra­vail ou des rela­tions de tra­vail d’une impor­tance telle qu’elle rend impos­si­ble le main­tien du sala­rié dans l’entre­prise, y com­pris pen­dant la durée du préa­vis ; il convient en consé­quence de déter­mi­ner si, en l’espèce, la faute repro­chée à Christine X... ren­dait impos­si­ble son main­tien dans l’entre­prise, y com­pris pen­dant la durée de son préa­vis, ou, à tout le moins, si elle cons­ti­tuait une cause réelle et sérieuse de licen­cie­ment ;
 la lettre de licen­cie­ment repro­che à Christine X... le fait sui­vant : " avons eu à déplo­rer de votre part un agis­se­ment cons­ti­tu­tif d’une faute grave : spo­lia­tion de lettre fes­tive le 17 février 2009 au centre cour­rier de TANINGES. Cette conduite met en cause la bonne marche du ser­vice. X... la gra­vité des faits, vous avez fait l’objet d’une mise à pied à titre conser­va­toire rému­né­rée à comp­ter du 17 février 2009. Les expli­ca­tions que vous avez four­nies au cours de la pro­cé­dure dis­ci­pli­naire n’ont pas permis de modi­fier notre appré­cia­tion au sujet des faits que vous avez commis qui cons­ti­tuent une faute pro­fes­sion­nelle d’une extrême gra­vité. De tels agis­se­ments ren­dent impos­si­ble votre main­tien dans nos effec­tifs (...) " ;
 Christine X... conteste la faute qui lui est repro­chée, affir­mant qu’elle n’a spolié de lettre fes­tive, que la lettre en ques­tion était déjà ouverte, coin­cée dans une autre lettre : cepen­dant qu’il résulte du rap­port d’enquête sus­visé qu’avant même l’intro­duc­tion des let­tres fes­ti­ves dans la tour­née de Christine X..., la SA LA POSTE avait déjà " ciblé " cette der­nière comme pou­vant être l’auteur des faits, puisqu’elle était pré­sente à chaque signa­li­sa­tion, alors que, à l’inverse, aucune spo­lia­tion n’a été signa­lée entre le 22 jan­vier et le 21 avril 2008, alors que Christine X... était en congé mala­die ;
 en outre il résulte du procès verbal d’audi­tion du chef de l’équipe d’enquête, M. Z...(pièce 4) que : les 4 let­tres qui lui ont été remi­ses à 6 heures 15 étaient " visi­ble­ment toutes fer­mées cor­rec­te­ment ;. Christine X... l’a appelé en lui indi­quant qu’elle avait trouvé une enve­loppe ouverte dans sa caisse, que Christine X... est la seule per­sonne à avoir mani­pulé la cais­sette conte­nant le cour­rier festif ; le fait, non contesté, que les mains de la sala­riée étaient macu­lées de l’encre bleu conte­nue dans la lettre fes­tive confirme que celle-ci a bien intro­duit ses mains dans l’enve­loppe ;
 Christine X... a d’ailleurs, au cours de son inter­ro­ga­toire par les ser­vi­ces d’enquête de la SA LA POSTE (pièce n° 5) le jour des faits, reconnu les faits lui étant repro­chés, expli­quant avoir " fait une bêtise " et avoir’’ouvert la lettre’’, pré­sen­tant " ses plus plates excu­ses " ; qu’en réponse à une autre ques­tion, elle pré­cise avoir ouvert la lettre avec les doigts, et que " ça n’a pas été dif­fi­cile " ; elle a pré­cisé également, à la fin de cet inter­ro­ga­toire, avoir pu répon­dre libre­ment sans contrainte aux ques­tions posées, ce qui contre­dit l’affir­ma­tion faite par la sala­riée selon laquelle elle aurait été sou­mise à un " chan­tage ", à savoir, avouer pour subir une sanc­tion minime ou subir un inter­ro­ga­toire à la gen­dar­me­rie et un licen­cie­ment ;
 en consé­quence, compte tenu de l’ensem­ble des éléments versés aux débats, le seul fait que Christine X... soit reve­nue sur ses aveux dès le len­de­main, en expli­quant avoir fait l’objet de pres­sions, ne cons­ti­tue pas un élément jus­ti­fi­ca­tif suf­fi­sant per­met­tant de dire qu’elle n’a pas commis la faute qui lui est repro­chée ;
 enfin, l’argu­ment selon lequel une péti­tion a été faite par un grand nombre de ses col­lè­gues ainsi que des let­tres de sou­tien ne cons­ti­tue pas un moyen per­ti­nent per­met­tant d’établir que Christine X... n’a pas commis la faute qui lui est repro­chée ;
 compte tenu de l’ensem­ble de ces éléments, il convient de cons­ta­ter que le grief repro­ché à Christine X...-spo­lia­tion d’une lettre fic­tive le 17 février 2009- est établi ; une telle faute, cons­ti­tuant la vio­la­tion et le détour­ne­ment d’une cor­res­pon­dance pré­sente un carac­tère de gra­vité tel qu’elle ren­dait impos­si­ble la pour­suite du contrat de tra­vail, même pen­dant la durée du préa­vis, ce d’autant plus que le risque de renou­vel­le­ment des spo­lia­tions ne pou­vait être exclu ; il convient en consé­quence de réfor­mer le juge­ment du Conseil de Prud’hommes de Bonneville du 14 juin 2010 et de dire bien fondé le licen­cie­ment de Christine X... pour faute grave ;

ALORS QUE le carac­tère isolé des faits repro­chés au sala­rié et son ancien­neté peu­vent faire perdre leur gra­vité à la faute ayant conduit au licen­cie­ment ; qu’en ne recher­chant pas, comme elle y était invi­tée, si Madame Christine X... n’avait pas depuis tou­jours exé­cuté son tra­vail de façon irré­pro­cha­ble, ce qui excluait toute faute grave, la Cour d’Appel a privé sa déci­sion de base légale au regard des arti­cles L 1234-1, L 1234-5 et L 1234-9 du Code du Travail.


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