Enquête PRESST NEXT et cadres soignants
18 janvier 2006
Le docteur Madeleine Estryn-Behar a réalisé une étude sur la Santé et satisfaction des soignants au travail en France et en Europe, en s’appuyant sur l’enquête du projet PRESST (Promouvoir en Europe Santé et Satisfaction des Soignants au Travail), branche française de l’importante étude scientifique européenne NEXT, dont l’objectif est d’analyser pourquoi et comment, les professionnels paramédicaux quittent prématurément leur profession.
Cette étude consacre un chapitre à l’encadrement : afin de cerner les difficultés et les satisfactions professionnelles des cadres l’enquête a pu interroger 480 cadres. Il s’agit de 369 cadres de proximité (CS) et 111 cadres supérieurs (CSS).
Les cadres indiquent avant tout souffrir d’un déficit de reconnaissance. Les cadres sont nombreux à devoir prendre beaucoup d’initiatives. Leur autonomie professionnelle est ressentie différemment selon le type d’établissement et leur grade. Ainsi, les cadres de proximité déclarent plus fréquemment devoir prendre beaucoup d’initiatives lorsqu’ils travaillent en CHU, en clinique ou en long séjour en comparaison avec ceux du privé non lucratif ou à l’AP-HP. Les cadres ont la possibilité « d’avoir leur mot à dire » dans le type de tâches qu’on leur demande de réaliser même si certains indiquent qu’en CHS et à l’AP-HP, cette possibilité est plus réduite.
Les cadres de proximité sont ceux qui expriment avoir le moins de soutien de la part de leurs collègues. Ils se disent très souvent être dans une position inconfortable entre une direction, dont ils ne partagent pas toujours les objectifs, et des soignants à qui ils doivent les faire accepter.
Les relations avec les médecins sont plus faciles pour les cadres supérieurs que pour les cadres de proximité : 60 % des CSS déclarent des relations amicales ou détendues avec les médecins contre 48 % des CS.
Les cadres se plaignent d’un manque de temps de chevauchement pour les transmissions orales, qu’elles concernent les patients, les équipements, les organisations du travail ou les relations au sein de l’équipe, ou entre équipes successives.
Nous pouvons penser que ce manque d’échange a un impact sur les relations professionnelles entre cadres et équipes soignantes. En effet, les soignants attendent de leur cadre qu’il ou elle soit capable de comprendre les contraintes spécifiques de leur travail et de reconnaître leur engagement personnel.
C’est à l’AP-HP que les cadres sont les plus nombreux à n’être pas du tout ou peu satisfaits du rapport entre leur salaire et leurs besoins financiers. Ils sont, par ailleurs, 45 % à connaître des difficultés de logement.
La crainte de commettre des erreurs, le manque de temps pour parler aux patients et la crainte de ne pas tenir psychologiquement jouent également un rôle important dans le désir de quitter la profession.
La très grande majorité des cadres et cadres supérieurs est fière d’être soignant. Il existe donc toujours un attachement très fort à la profession soignante chez les cadres de proximité et même, dans une moindre mesure, chez les cadres supérieurs. C’est la proximité du métier de soignant qui influence probablement sur la notion de fierté du métier de cadre. Il apparaît que les contraintes administratives et celles émanant de la DRH altèrent, quelque peu, cette notion de fierté et plus particulièrement chez les cadres supérieurs.
Le souci de la qualité des soins est très prégnant dans les préoccupations des cadres supérieurs, ils rejoignent en cela les IDE qui le vivent. Le rôle des cadres supérieurs dans la création des référentiels qualité pour l’accréditation leur donne les moyens de constater l’écart entre protocole et réalité. Les cadres de proximité se positionnent moins sur ce terrain, car ils sont plus dans le « faire » ou le « faire faire ».
En institut de formation des cadres de santé, un métier de manageur est appris, avec parfois un discours de « table rase sur l’ancien métier », surtout dans les années 85-95. Cet enseignement est méconnu par certains médecins qui restent sur les schémas des rôles et missions de « l’infirmière-surveillante ».
Par ailleurs, les missions de terrain (gestion administrative), dont les cadres de proximité ont la responsabilité, laissent peu de place à la mise en pratique des autres missions de management, plus proches des soins, qui requièrent temps et recul. Enfin, la succession rapide des réformes (réforme hospitalière, PMSI, accréditation, mise en place des 35 heures puis des 32 h 30 de nuit, plan hôpital 2007) donne peu de temps pour évaluer les effets de ces changements et nécessite une grande énergie pour remotiver les équipes.
La satisfaction de l’utilisation des compétences est plus forte lorsque les cadres peuvent prendre des initiatives liées aux soins, et les mener à bien, comme c’est le cas en clinique et en CHS. Les procédures pour les commandes, travaux et autres tâches administratives sont, de l’avis général, plus lourdes et chronophages à l’AP-HP que dans les autres CHU, d’autant qu’elles sont régulièrement modifiées sans que les cadres en connaissent les raisons.
L’envie de quitter définitivement sa profession au moins plusieurs fois par mois est nettement plus déclarée par les cadres de proximité que les cadres supérieurs. La plus grande insatisfaction professionnelle des cadres de proximité et leur plus jeune âge, permettant plus facilement une reconversion, expliquent probablement cet écart.
Les cadres de proximité et les cadres supérieurs sont encore un tiers à craindre de faire des erreurs. La responsabilité de dossiers stratégiques, engageant les moyens futurs de leur service, aussi bien que la responsabilité de gestion des ressources humaines et d’autres tâches de gestion quotidienne, dans un contexte d’interruptions fréquentes liées à l’hyper sollicitation par les différents acteurs du service, contribuent à ce stress.
Par ailleurs, dans certaines structures, les cadres de proximité réalisent des soins, tout en assumant leurs responsabilités managériales.
Les cadres bénéficient de formations régulières. Du fait de leur rôle, ils sont au cœur de l’information sur les programmes de formation offerts et, pour eux, l’absence générée est moins problématique car ils organisent eux même le report de leurs tâches.
Les cadres de proximité se disent plus isolés (en terme de soutien et aide des collègues), ils ont moins de missions transversales que les cadres supérieurs et sont plus impliqués dans les difficultés quotidiennes du service.
Les cadres sont responsables de la qualité des soins dans le service dont ils ont la charge. Ceux des cliniques semblent les plus inquiets du risque d’erreurs. La pénurie de personnel qualifié soulevée par la fédération de l’hospitalisation privée, peut expliquer la crainte des cadres de ces structures de glissements de tâches liés à cette pénurie. On retrouve un phénomène similaire dans les CHU, car à la pénurie, s’ajoute la lourdeur des pathologies et les protocoles innovants mis en œuvre.
Les cadres de l’AP-HP et des CHS ont moins que les autres la possibilité de s’exprimer sur le type de tâches qu’on leur demande de réaliser, la manière et le moment de les effectuer, que ceux des autres types d’établissements. La période de restructuration que ces établissements sont en train de vivre peut expliquer cette différence.
Les cadres, y compris les cadres de proximité, sont poussés à être des gestionnaires avant que d’être des soignants. On constate alors une perte de sens de l’activité du cadre au sein du service qui se voit transformé en une courroie de transmission, obligé d’assumer au quotidien des décisions qui le mettent parfois mal à l’aise par rapport à son vécu antérieur de soignant.
On constate aussi une perte de légitimité vis-à-vis de son équipe car ses compétences étant devenues plus gestionnaires que cliniques, il n’entretient plus les compétences qui sont reconnues comme fondamentales par les soignants. Dans un cercle vicieux, il se replie parfois sur ses outils gestionnaires et ses tâches administratives.
Le cadre hospitalier doit coordonner les interventions d’un très grand nombre d’acteurs aux logiques et aux langages différents (ingénieurs, architectes, services techniques, plateaux médico-techniques, gestionnaires financiers), chacun de ces acteurs ayant une hiérarchie propre.
Le cloisonnement entre fonctions à l’hôpital a également pour conséquence de renforcer les stratégies de chaque « caste » ou catégorie pour conserver ou accroître sa sphère d’influence. Les soignants entamant une carrière de cadre ont parfois été instrumentalisés dans des jeux de pouvoirs qui les ont bloqués dans leurs espoirs de donner les moyens de valorisation des équipes qu’ils allaient encadrer.
Certains cadres et infirmiers expérimentés, parfois après avoir suivi des études supérieures, ont eu la volonté de constituer un savoir infirmier théorisé, afin de donner aux soignants une place distincte et complémentaire au savoir médical. Ce mouvement est motivé par un besoin de transmettre et une volonté d’être reconnue.
Mais le plan hôpital 2007 crée une nouvelle alliance directeurs - médecins et semble écarter les cadres des centres de décision.