Quelle partie du rôle propre infirmier peut être confiée à une aide-soignante ?

25 juin 2025

Depuis l’entrée en vigueur du décret n° 2021-980 du 23 juillet 2021, le périmètre d’intervention des aides-soignantes a été redéfini dans un souci de clarification et de valorisation. Cette évolution était attendue, notamment dans les structures médico-sociales, où l’absence d’encadrement clair exposait les professionnels à une insécurité juridique et à une pression fonctionnelle. Le texte introduit la notion de soins courants de la vie quotidienne que l’infirmière peut confier à l’aide-soignante, sous réserve de conditions strictes : état de santé stabilisé, absence de risque immédiat, actes réalisables par un aidant. Mais cette avancée réglementaire, si elle clarifie les tâches possibles, ne remet nullement en question le cœur du rôle propre infirmier, ni les fondements qui le rendent non délégable dans sa majorité.

1. Un différentiel de formation fondamental

La formation infirmière repose sur trois années d’enseignement supérieur, totalisant 4 600 heures (théorie, stages et travaux personnels guidés) avec un Grade Licence, donc de niveau 6. Elle prépare à un raisonnement clinique structuré, à une évaluation globale de l’état de santé, à la gestion des priorités, à la coordination du parcours de soins, et à l’accompagnement éducatif et psychologique des patients. Les infirmières sont formées à l’analyse de situations complexes, à la gestion de l’urgence, à la pharmacologie, à l’éthique et à la responsabilité professionnelle. Elles apprennent à poser un diagnostic infirmier, à construire un plan de soins, à ajuster leurs interventions en fonction de l’évolution de la situation.

À l’inverse, la formation aide-soignante donne un diplôme d’Etat enregistré au niveau 4 du cadre national des certifications professionnelles. La formation théorique et pratique est d’une durée totale de 770 heures ou 22 semaines. La formation en milieu professionnel comprend 770 heures correspondant à un total de 22 semaines de 35 heures. Elle vise la réalisation d’actes simples, standardisés, en réponse à des besoins identifiés par d’autres. Elle n’aborde pas la pathologie de façon approfondie, ni les mécanismes physiopathologiques, ni la pharmacodynamie des traitements. Elle ne forme ni à l’analyse clinique, ni à la hiérarchisation des risques, ni à la planification personnalisée des soins. Le niveau de certification reflète cette orientation vers l’exécution de tâches, et non la prise de décision autonome.

2. Le rôle propre infirmier : un champ décisionnel et clinique

Le Code de la santé publique (article R. 4311-3) définit les soins relevant du rôle propre infirmier comme ceux « visant à identifier les risques et à assurer le confort, la sécurité, la continuité de la vie, l’hygiène, et l’éducation du patient. » Ces soins incluent :
 La surveillance clinique (respiration, conscience, fonctions vitales),
 L’observation des effets secondaires de traitements,
 Les pansements simples et complexes,
 L’administration de médicaments non injectables,
 L’évaluation de la douleur et l’adaptation de la réponse,
 L’accompagnement éducatif (ex : éducation à l’insulinothérapie),
 L’identification précoce de complications ou de détresses,
 L’orientation du patient et la coordination des intervenants.

Ce champ couvre une activité clinique essentielle, fondée sur la capacité à interpréter les signes, à évaluer les priorités, à décider des réponses adaptées, et à tracer ces décisions dans le dossier de soins. Il suppose un raisonnement autonome, fondé sur la science infirmière, les recommandations de bonne pratique, et l’interaction constante avec le patient.

Il ne s’agit donc pas simplement d’appliquer une procédure, mais de penser le soin comme un processus dynamique, interactif, adaptatif. À ce titre, le rôle propre infirmier ne peut pas être fragmenté ni externalisé sans compromettre sa cohérence, sa finalité et sa sécurité.

Au niveau international :
 l’infirmière couvre les soins cliniques, thérapeutiques et de coordination. Le titre d’infirmière (Registered Nurse, RN) est protégé dans la plupart des pays, avec des exercices autorisés très larges  : évaluation clinique, élaboration de plan de soins, administration de traitements et de médicaments, surveillance, éducation, coordination interdisciplinaire, supervision de personnels collaborant aux soins.
 l’aide‑soignante reste cantonnée aux soins de confort, hygiène, mobilisations, gestes simples, non invasifs, et toujours sous supervision. Le personnel assistant, au titre non protégé (healthcare assistant, nursing aide, CNA, assistant nurse…) est limité aux activités de la vie quotidienne  : hygiène, mobilisations, aide à l’alimentation, collecte de données (température, poids…), prélèvements simples à visée d’observation, rapport au RN

3. Le cadre juridique de la délégation : une protection, pas une passerelle

Le décret de 2021 encadre strictement ce qui peut être confié à une aide-soignante. Sont visés les soins courants de la vie quotidienne, réalisés dans un contexte stable, sans danger immédiat, et pouvant être effectués par un aidant naturel. Exemples :
 Aide à la toilette, à l’habillage, à l’élimination,
 Mobilisation et transfert sans surveillance particulière,
 Aide à l’alimentation,
 Prise de constantes simples (température, pouls, poids).

L’article R. 4311-4 précise que les soins relevant du rôle propre ne peuvent être confiés qu’« à des aides-soignants lorsqu’ils relèvent de soins de la vie quotidienne, dans les conditions définies par décret ». Cela exclut les actes nécessitant :
 une évaluation de la stabilité clinique,
 une réévaluation fréquente,
 une décision thérapeutique,
 une traçabilité clinique complète.

La responsabilité de l’infirmière reste engagée pour tout acte délégué. Elle doit évaluer la compétence de l’aide-soignante, les conditions de réalisation du soin, et assurer un suivi. Elle ne peut jamais transférer sa responsabilité, même lorsqu’elle confie une tâche.

4. Les risques d’un glissement de tâche mal encadré

L’ambiguïté des pratiques de terrain peut conduire à un glissement de tâches, avec un personnel aide-soignant amené à accomplir des soins relevant en réalité du rôle propre infirmier. Ce phénomène, parfois motivé par la pénurie d’infirmières, expose à plusieurs risques :
 Risque pour le patient : défaut de surveillance, erreurs non détectées, complications non anticipées.
 Risque juridique : l’aide-soignante exerce hors cadre réglementaire, et l’infirmière superviseuse peut être tenue responsable.
 Risque éthique : dévalorisation des compétences infirmières, sentiment d’insécurité pour les aides-soignantes placées en situation de dépassement de rôle.

L’extension du rôle infirmier dans la loi de juin 2025 (diagnostic, consultation, prescription) accroît l’exigence de clarté. Une infirmière qui prescrit un bilan ou ajuste une thérapeutique ne peut pas déléguer l’évaluation préalable ou le suivi clinique à un professionnel non formé à la pharmacologie ou à la clinique évolutive.

5. Reconnaître chaque métier dans ses compétences propres

La revalorisation des aides-soignantes passe par une reconnaissance claire de leur rôle : des professionnels de proximité, pivot de la qualité de vie des patients, indispensables à la prévention de la dépendance et à l’observation quotidienne. Mais cette reconnaissance ne peut pas reposer sur une extension indue de leurs responsabilités, au détriment de leur sécurité juridique et du respect des référentiels de formation.

De même, l’affirmation du rôle autonome infirmier ne peut être concrète que si l’on protège ses compétences-clés : raisonnement clinique, évaluation, éducation, coordination, prescription. Cela implique de préserver la frontière entre ce qui peut être confié à une aide-soignante, et ce qui relève intrinsèquement de la compétence infirmière.

En conclusion, la différenciation entre infirmière et aide-soignante n’est ni corporatiste ni arbitraire : elle découle directement du niveau de formation, de la responsabilité engagée, et de la nature des compétences requises. C’est au contraire un gage de sécurité pour les patients, de clarté pour les équipes, et de reconnaissance pour chaque métier. La revalorisation des uns ne doit jamais se faire au détriment de l’expertise des autres.

Le rôle propre infirmier ne peut être délégué qu’à la marge, sur des actes simples et stabilisés. Il repose sur un socle de compétences, de responsabilités et de réflexions cliniques que la formation aide-soignante ne prépare pas à assumer. Toute tentative de dilution de cette frontière serait un recul pour la qualité et la sécurité des soins. Valoriser l’aide-soignante, c’est reconnaître son rôle spécifique, pas lui confier ce pour quoi elle n’est ni formée, ni protégée. Quant à l’infirmière, son rôle ne peut s’affirmer qu’en étant pleinement reconnu, respecté et exercé dans toutes ses dimensions.

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