L’Ordre des pharmaciens condamné par l’Union Européenne

12 décembre 2010

Antitrust : la Commission condamne l’Ordre national des pharmaciens pour restrictions à la concurrence sur le marché français des analyses médicales

La Commission euro­péenne a imposé une amende de 5 mil­lions d’euros à
l’Ordre natio­nal des phar­ma­ciens (ONP) et ses orga­nes diri­geants pour avoir imposé des prix mini­mums sur le marché fran­çais des ana­ly­ses de bio­lo­gie
médi­cale et avoir entravé le déve­lop­pe­ment de grou­pes de labo­ra­toi­res sur
ce marché, en vio­la­tion des règles de l’UE rela­ti­ves aux enten­tes et pra­ti­ques
com­mer­cia­les res­tric­ti­ves (Article 101 du traité sur le fonc­tion­ne­ment de
l’UE).

L’ONP est un ordre pro­fes­sion­nel chargé de veiller au res­pect des
devoirs pro­fes­sion­nels des phar­ma­ciens en France. Le com­por­te­ment
incri­miné a lésé les patients et l’État qui ont payé plus pour les ana­ly­ses
médi­ca­les que si la concur­rence avait joué et s’était déve­lop­pée. Comme le
com­por­te­ment en cause ne semble pas avoir pris fin com­plè­te­ment à ce
jour, la Commission ordonne à l’ONP d’y mettre fin immé­dia­te­ment.

« Une asso­cia­tion qui repré­sente et défend des inté­rêts privés ne peut pas se sub­sti­tuer à l’Etat pour édicter ses pro­pres règles, en limi­tant la concur­rence par les
prix là où l’Etat avait entendu la main­te­nir et entra­vant le déve­lop­pe­ment
d’entre­pri­ses sur le marché au-delà de ce qui est prévu par la loi, » a dit Joaquìn
Almunia, Vice-pré­si­dent de la Commission en charge de la poli­ti­que de concur­rence,
qui a ajouté « En tant qu’asso­cia­tion d’entre­pri­ses, l’ONP et ses mem­bres sont tenus,
comme tous les acteurs de la vie économique, au res­pect du droit euro­péen. »

Après une enquête appro­fon­die, la Commission a conclu que le com­por­te­ment de
l’ONP, qui s’est mani­festé par deux types de déci­sions, est de nature à res­trein­dre la
concur­rence sur le marché fran­çais des ana­ly­ses de bio­lo­gie médi­cale.
Dès octo­bre 2003, des déci­sions de l’ONP ont sys­té­ma­ti­que­ment visé des
entre­pri­ses asso­ciées à des grou­pes de labo­ra­toi­res avec l’objec­tif d’entra­ver leur
déve­lop­pe­ment sur le marché fran­çais et de ralen­tir ou d’empê­cher des acqui­si­tions
et des modi­fi­ca­tions sta­tu­tai­res ou au capi­tal de ces entre­pri­ses. Ces pra­ti­ques ne
sem­blent pas avoir cessé à ce jour.

Par ailleurs, entre sep­tem­bre 2004 et sep­tem­bre 2007, l’ONP a pris des déci­sions
visant à impo­ser des prix mini­mums, notam­ment au détri­ment d’hôpi­taux publics et
d’orga­nis­mes d’assu­rance santé publics, en cher­chant à inter­dire les remi­ses
supé­rieu­res à 10% sur les prix publics octroyées par des entre­pri­ses pri­vées dans le
cadre de contrats. Il a été cons­taté que pen­dant la période de l’enquête les prix de
tests d’ana­lyse de bio­lo­gie médi­cale parmi les plus fré­quents étaient jusqu’à deux à
trois fois plus élevés en France que dans d’autres Etats mem­bres.

En consé­quence des vio­la­tions établies, la Commission a imposé une amende de 5 mil­lions d’euros à l’ONP et ses orga­nes diri­geants

Cette affaire concerne exclu­si­ve­ment le com­por­te­ment de l’ONP. Elle ne vise pas la
façon dont le marché fran­çais des ana­ly­ses de bio­lo­gie médi­cale est orga­nisé par
les dis­po­si­tions léga­les.
Le marché euro­péen des ser­vi­ces d’ana­lyse de bio­lo­gie médi­cale est estimé à 25
mil­liards d’euros, dont 4.4 mil­liards d’euros pour le seul marché fran­çais.

Eléments de contexte

L’enquête a débuté avec une plainte du groupe LABCO en octo­bre 2007 auprès de
la Commission Européenne, sur laquelle l’ONP a été invité à four­nir des
obser­va­tions en avril 2008. La Commission a pro­cédé à une ins­pec­tion au siège de
l’ONP en novem­bre 2008 (voir MEMO/08/706). La com­mu­ni­ca­tion des griefs a été
noti­fiée en octo­bre 2009 à l’ONP, qui a pu faire valoir ses argu­ments par écrit et au
cours de l’audi­tion qui s’est tenue en février 2010.

L’ONP est un ordre pro­fes­sion­nel auquel l’Etat fran­çais a délé­gué la res­pon­sa­bi­lité
de veiller au res­pect des devoirs pro­fes­sion­nels des phar­ma­ciens. A cette fin, la loi
fran­çaise dote l’ONP de pou­voirs de contrôle sur les phar­ma­ciens, en par­ti­cu­lier
celui de tenir une liste de tous les phar­ma­ciens habi­li­tés à exer­cer. Bien que les
déci­sions visées concer­nent exclu­si­ve­ment la défense des inté­rêts économiques des
seuls mem­bres actifs sur le marché de la bio­lo­gie médi­cale, et que ces déci­sions
soient sans rap­port avec les mis­sions de santé publi­que délé­guées par l’Etat
fran­çais, l’ONP a sys­té­ma­ti­que­ment uti­lisé ou menacé de recou­rir à ses pou­voirs
dis­ci­pli­nai­res si ses injonc­tions n’étaient pas sui­vies.
Compte tenu notam­ment du fait que des mem­bres de l’ONP exer­cent une acti­vité
économique et de l’auto­no­mie déci­sion­nelle de l’ONP et de ses orga­nes diri­geants,
en par­ti­cu­lier en ce qui concerne les déci­sions visées, l’ONP doit être consi­dé­rée
comme une asso­cia­tion d’entre­pri­ses au sens du droit euro­péen de la concur­rence.

Pour le calcul des amen­des, la Commission a tenu compte des par­ti­cu­la­ri­tés de la
pré­sente affaire, notam­ment parce qu’elle impose pour la pre­mière fois une amende
à une asso­cia­tion d’entre­pri­ses en invo­quant la pos­si­ble res­pon­sa­bi­lité finan­cière
des entre­pri­ses des mem­bres diri­geants, prévue par le Règlement 1/2003.
Action en répa­ra­tion
Toute per­sonne ou entre­prise lésée par des pra­ti­ques anti­concur­ren­tiel­les telles que
celles qui sont décri­tes ci-dessus peut porter l’affaire devant les tri­bu­naux des États
mem­bres pour obte­nir des dom­ma­ges et inté­rêts. La juris­pru­dence de la Cour et le
règle­ment (CE) n° 1/2003 du Conseil confir­ment que, dans les affai­res por­tées
devant les juri­dic­tions natio­na­les, une déci­sion de la Commission cons­ti­tue une
preuve contrai­gnante de l’exis­tence et du carac­tère illi­cite des pra­ti­ques en cause.

Même si la Commission a infligé une amende à l’asso­cia­tion d’entre­prise et ses
orga­nes diri­geants consi­dé­rés, des dom­ma­ges et inté­rêts peu­vent être accor­dés
sans que le mon­tant en soit réduit en raison de l’amende infli­gée par la Commission.
La Commission consi­dère que les deman­des jus­ti­fiées de dom­ma­ges et inté­rêts
devraient avoir pour objet d’indem­ni­ser, de manière équitable, les vic­ti­mes d’une
infrac­tion pour le pré­ju­dice subi.

Pour de plus amples infor­ma­tions, voir :
- http://ec.europa.eu/comm/com­pe­ti­tion/anti­trust/actions­da­ma­ges/docu­ments.html
- http://www.eurac­tiv.fr/sites/default/files/ip-10-1683_fr.pdf

En réponse, com­mu­ni­qué du 08.12.10 de l’Ordre :

La Commission euro­péenne a pro­noncé aujourd’hui une amende à
l’encontre de l’Ordre natio­nal des phar­ma­ciens d’un mon­tant de
5 mil­lions d’euros. L’Ordre estime que la déci­sion de la Commission
euro­péenne remet en cause sa mis­sion de ser­vice public.
L’Ordre rejette fer­me­ment l’ana­lyse de la Commission et la sanc­tion
qui en découle. Il envi­sage d’intro­duire un recours en annu­la­tion
devant le tri­bu­nal de l’Union euro­péenne.

La Direction Générale de la Concurrence de la Commission euro­péenne avait
ouvert une pro­cé­dure contre l’Ordre en octo­bre 2009, consi­dé­rant que celui-ci avait
violé les règles de concur­rence sur le marché des ser­vi­ces des ana­ly­ses de
bio­lo­gie médi­cale.

Isabelle Adenot, Président du Conseil National de l’Ordre des phar­ma­ciens,
déclare : « L’Ordre a tou­jours veillé à pré­ser­ver l’inté­rêt de santé publi­que. Je ne
peux lais­ser dire que l’Ordre a lésé les patients et l’Etat fran­çais. Nous esti­mons
cette sanc­tion injus­ti­fiée dans sa portée et son mon­tant. Nous envi­sa­geons d’ores
et déjà de former un recours en annu­la­tion devant le tri­bu­nal de l’Union
euro­péenne. »
L’Ordre natio­nal des phar­ma­ciens assure une mis­sion de ser­vice public défi­nie par
le Code de la Santé publi­que, notam­ment une mis­sion légale de contrôle d’accès à
la pro­fes­sion, qui garan­tit au public que seuls les pro­fes­sion­nels dûment auto­ri­sés
exer­cent. Il veille, tou­jours dans le cadre de la légis­la­tion fran­çaise qui lui est
impo­sée, à la néces­saire indé­pen­dance et com­pé­tence pro­fes­sion­nelle des
phar­ma­ciens. Il contri­bue à l’objec­tif de pro­tec­tion de la santé publi­que et ce dans
l’inté­rêt de la qua­lité et de la sécu­rité des soins pro­di­gués aux patients.

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