L’infirmière, dernier rempart contre la mort par défaut

9 mai 2025
Ce n’est pas toujours la mort qu’on demande. Parfois, c’est juste moins de douleur, ou quelqu’un qui écoute. Mais quand la réponse est une injection létale, plus rien ne peut être entendu.
Dans les services, les équipes le savent : les demandes de mort ne sont jamais simples. Elles disent la peur, l’abandon, la douleur mal calmée, ou l’angoisse de ne plus exister aux yeux des autres. Elles disent surtout l’ambivalence. Ce que la personne exprime un matin peut basculer l’après-midi. Un « je veux en finir » peut se transformer, quelques heures plus tard, en « restez encore un peu », en des projections de vies lors d’un évènement familial à venir.
C’est dans ces instabilités que les soignants vivent. Et c’est là que les infirmières jouent un rôle décisif, invisible mais vital. Parce qu’elles sont là quand les autres ne le sont plus. Parce qu’elles entendent ce que personne d’autre n’entend. Parce qu’elles savent que toute volonté, à l’approche de la mort, est par nature fluctuante, contradictoire, parfois même confuse.
Face à cela, un geste qui donne la mort impose un arrêt. Définitif. Radical. Il éteint le doute, la nuance, la possibilité de changer d’avis. Il met fin à toute forme d’accompagnement.
"Fin de vie : pas de définition objective du pronostic temporel à l’échelle individuelle" : dans son rapport du 6 mai 2025, la Haute Autorité de santé (HAS) confirme ce que les soignants constatent chaque jour : il est impossible d’établir un pronostic fiable à « moyen terme ». Aucun outil, aucun score, aucune estimation clinique ne permet de dire avec certitude qu’une personne va mourir dans les mois qui viennent. Tout au plus, il s’agit de croyances raisonnables. Et c’est avec cela qu’on voudrait bâtir un droit à l’euthanasie ?
https://www.has-sante.fr/jcms/p_3603892/fr/fin-de-vie-pas-de-definition-objective-du-pronostic-temporel-a-l-echelle-individuelle
Le flou est entretenu. La loi parle d’« aide à mourir » mais ne fait pas de différence entre l’accompagnement vers une mort naturelle et un acte qui met volontairement fin à la vie. Quelques jours de délai. Pas d’obligation de soins palliatifs en amont. Pas d’évaluation psychiatrique systématique. Sans même qu’une autre voie, celle de la vie accompagnée, soit rendue aussi accessible. Tout est conçu pour aller vite. Trop vite.
Dans les EHPAD, dans les hôpitaux, la situation est encore plus fragile. Les patients âgés, dépendants, ou atteints de troubles cognitifs, sont précisément ceux pour qui le "choix" d’une mort provoquée risque d’être une illusion. Quand la fatigue, la solitude ou la peur parlent à leur place, que devient le consentement libre et éclairé ? Que vaut une décision prise dans la détresse ?
Le rapport de la HAS cite une étude en science infirmière qui a mis en évidence « le moment à deux heures du matin ». Selon les auteurs, le moment des conversations gratuites, d’humain à humain, se produisent souvent à deux heures du matin. C’est-à-dire au moment où le patient peut demander s’il est en train de mourir et où l’infirmier peut se demander ce qu’il apprend du patient. Il s’agit bien là d’une conversation qui n’a pas l’objectif de prendre une décision ni de délivrer une information mais qui sert à laisser émerger des questions anthropologiques, existentielles, fondamentales (W. Rosa et B. Ferrell. The 2 a.m. Moment and the Art of Our Science. Journal of Hospice & Palliative Nursing, vol. 25, no 3, juin 2023, p. 115-115)
Dans cette course à la réponse létale, aucune place n’est laissée à ce que les infirmières offrent au quotidien : du temps, du lien, une présence. Aucun espace pour les nuits passées à écouter un résident parler de sa peur de "devenir un fardeau". Aucun mot pour décrire ces instants où, parfois, un geste suffit à suspendre la demande de mourir.
"Le risque est immense. Légaliser un droit à la mort provoquée, sans réparer d’abord un système de santé en ruine, revient à proposer une sortie de secours à ceux que la société ne veut plus voir. Le droit opposable à mourir ne remplace ni le droit à la dignité, ni le droit à être soulagé, ni celui à être reconnu comme une personne jusqu’au dernier souffle. Ce n’est pas l’autonomie qui est en cause. C’est l’abandon qu’on déguise en liberté" alerte Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers.
Car pendant ce temps, les unités de soins palliatifs manquent de moyens. Les équipes mobiles sont débordées. Les EHPAD manquent de bras, de lits, de temps. Les douleurs s’installent. Les patients s’isolent. Et certains en viennent à penser que leur disparition serait une solution.
C’est là que le discours glisse. Mourir ne serait plus une épreuve, mais un droit. Un choix. Un acte de liberté. Pour soi. Et parfois pour les autres. Car derrière l’illusion de l’autonomie, d’autres pressions s’exercent. Sourdes, diffuses, mais bien réelles.
La pression économique, d’abord. En creux, c’est un raisonnement comptable qui s’installe : pourquoi dépenser autant pour des vies fragiles, quand les finances publiques vacillent ? L’euthanasie n’est jamais présentée comme un outil de régulation budgétaire. Mais certains chiffres parlent d’eux-mêmes. Et dans les débats, le coût des soins de fin de vie n’est jamais bien loin. Derrière la liberté individuelle, la logique d’efficience.
La pression familiale, ensuite. Dans les EHPAD, des infirmières racontent ces mots entendus trop souvent lors des visites : « Elle ne sert plus à rien », « Il ne reconnaît même plus ses enfants », « On n’en peut plus de le voir comme ça ». Il ne s’agit pas toujours de malveillance. Parfois, juste d’une fatigue. D’un sentiment d’impuissance. Mais parfois aussi, oui, d’un poids devenu gênant. D’un héritage à attendre. D’un coût trop lourd sur le budget de la famille. D’une chambre à libérer.
Et dans ce contexte, qui reste auprès du résident à 2h du matin, quand la nuit est longue et que le désespoir surgit ? Qui tend la main quand tout le monde détourne le regard ? Qui dit non, quand le silence s’installe et que plus personne ne veut voir ?
Les infirmières. Invisibles mais présentes. À contre-courant de la société du rejet. Engagées non pas à réaliser une volonté fugace, mais à protéger une personne. Pas à valider un choix dicté par la peur ou la solitude, mais à réhabiliter une parole humaine dans toute sa complexité.
Les infirmières savent que l’utilité sociale ne se mesure pas à l’état cognitif. Que la valeur d’une vie ne dépend ni de la mémoire, ni de la productivité. Que même déclinante, une personne mérite qu’on s’assoie à ses côtés, qu’on la regarde comme un sujet, pas comme un coût.
Ce n’est pas leur opinion. C’est leur pratique. Leur métier. Leur engagement.
Et c’est pourquoi aucune législation ne devrait les contraindre à participer à une mort administrée.
Soigner, ce n’est pas exécuter. C’est accompagner. Rassurer. Veiller. Écouter les contradictions, les doutes, les silences. Offrir un espace pour que la parole évolue. Pour que la peur recule. Pour que la mort, quand elle vient, ne soit pas imposée.
Alors que vaut une loi qui répond plus vite à une demande de mort qu’à une demande de soins ?
Et qui, demain, protégera ceux qui n’ont plus les mots pour demander autre chose ?
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