Master et pratiques avancées : redonner du sens à notre exercice

14 juin 2011

Intervention de Thierry Amouroux, Secrétaire Général du SNPI CFE-CGC lors de l’ouverture des Etats Généraux Infirmiers (Paris, 14 juin 2011) « Regards et perspectives croisés autour des nouveaux rôles infirmiers ».

A l’hôpi­tal, « pren­dre soin » n’est guère valo­risé. L’iden­tité infir­mière est mena­cée par ceux qui consi­dè­rent que le vécu n’a ni impor­tance, ni inté­rêt, et qu’au lieu de le pren­dre en compte, on devrait le mettre entre paren­thè­ses, et le réduire pour faire place nette devant le mesu­ra­ble, le quan­ti­fia­ble, le tech­no­lo­gi­que.

La pro­fes­sion infir­mière n’a réel­le­ment d’avenir, comme pro­fes­sion auto­nome (ce qui ne veut pas dire indé­pen­dante), que dans la mesure où elle assu­mera ou se réap­pro­priera plei­ne­ment ce qui est son champ propre d’inter­ven­tion : la vie quo­ti­dienne du malade, dans laquelle elle peut donner toute la plé­ni­tude à son rôle auto­nome.

Il ne s’agit pas ici de main­te­nir l’infir­mière au lit du malade. L’infir­mière peut être au lit du malade et penser, réflé­chir et s’affir­mer dans toute sa dimen­sion socio-pro­fes­sion­nelle. Au lit du malade, avec une véri­ta­ble rela­tion avec le patient : rela­tion d’écoute, de conseil, d’aide thé­ra­peu­ti­que.

Le quo­ti­dien ne sau­rait se réduire aux soins de nur­sing, et ces der­niers ne sau­raient se confon­dre avec le quo­ti­dien. Le penser oblige le soi­gnant à regar­der au-delà du malade, du lit, de la cham­bre, vers les rap­ports sociaux de pro­duc­tion, tels que la divi­sion des tâches, si sou­vent pré­sente pour les pro­fes­sion­nels en exer­cice à l’hôpi­tal.

Quand un soi­gnant a le sen­ti­ment qu’il existe des tâches valo­ri­san­tes, mais qui ne sont pas les sien­nes, et d’autres, rebu­tan­tes, secondai­res parce qu’igno­rées, tri­via­les parce que répé­ti­ti­ves, qui font partie de son lot quo­ti­dien, qui s’adres­sent à des per­son­nes dont on a fini par oublier qu’elles sont citoyen­nes, il y a là les condi­tions néces­sai­res pour que nais­sent frus­tra­tions, ten­sions, conflits, dont le malade a de gran­des pro­ba­bi­li­tés de faire les frais.

Traiter un patient en être humain est plus facile à envi­sa­ger qu’à main­te­nir dans les faits quo­ti­diens. Et si cette néga­tion du malade, par­fois à l’œuvre dans la vie quo­ti­dienne, trou­vait son ori­gine dans la néga­tion dont l’infir­mière fait également l’objet ?

Logiques médi­cale, admi­nis­tra­tive et soi­gnante

La logi­que médi­cale, cen­trée sur la patho­lo­gie, dans un contexte d’évolution des connais­san­ces et de tech­ni­ci­sa­tion des savoirs, est appe­lée à se spé­cia­li­ser de plus en plus.

La logi­que admi­nis­tra­tive rela­ti­vise la lutte contre la souf­france, la mala­die, la mort en s’appuyant sur un rap­port coût/effi­ca­cité.

La logi­que soi­gnante doit se déve­lop­per en réponse à la demande glo­bale du malade. Celle-ci recou­vre des atten­tes d’actes tech­ni­ques, mais aussi un besoin de repé­rer les dif­fé­rents pres­ta­tai­res de soins, un besoin d’huma­ni­sa­tion, de confort. De part ses connais­san­ces tech­ni­ques et son appro­che rela­tion­nelle, l’infir­mière est à un car­re­four qui la dési­gne tout natu­rel­le­ment pour jouer ce rôle de coor­di­na­tion. Proche du malade, et assu­rant une pré­sence per­ma­nente, l’infir­mière est la coor­di­na­trice des actions que cette demande néces­site. Elle est le repère et le trait d’union entre le malade, sa famille, le méde­cin, les autres pro­fes­sion­nels de santé et l’ins­ti­tu­tion.

La demande de soins cons­ti­tue la pre­mière attente de la popu­la­tion. Mais le soin est un moment pri­vi­lé­gié, pen­dant lequel le soigné pose des ques­tions, exprime ses angois­ses. Dans un pre­mier temps, il s’est adressé à une “tech­ni­cienne du soin”, et à cette occa­sion il décou­vre que son besoin va au-delà : il a un trop plein à déver­ser, une confi­dence à faire à la “rela­tion­nelle du soin”, ou bien des inter­ro­ga­tions à for­mu­ler, des conseils à obte­nir de “l’éducatrice de santé”.

Identité infir­mière

Pourtant, le dis­cours tenu par les infir­miè­res hos­pi­ta­liè­res sur elles-mêmes, sur leur pro­fes­sion, est sou­vent un dis­cours plus défai­tiste que confiant, plus déva­lo­ri­sant que valo­ri­sant, plus des­truc­tif que cons­truc­tif. Comme si la pro­fes­sion toute entière était atteinte d’un grave syn­drome dépres­sif, d’une crise exis­ten­tielle, inquié­tante pour sa survie.

Lorsque nous disons que nous n’avons pas d’auto­no­mie, pas de pou­voir, pas de zones de déci­sions, que nous sommes de sim­ples exé­cu­tan­tes, vou­lons-nous dire que nous nous consi­dé­rons comme des oppri­mées, des subor­don­nées ?

Au contraire, même appli­quer un trai­te­ment pres­crit, c’est réin­té­grer dans une démar­che de soins tous les éléments sin­gu­liers, per­son­nels d’une per­sonne, qui per­met­tront de dis­pen­ser le soin de la manière la plus adé­quate pos­si­ble, et ceci demande intel­li­gence, dis­cer­ne­ment, com­pé­tence, savoir, et exige des ini­tia­ti­ves, des déci­sions.

Et si la qua­lité du soin dépend, certes, de la fia­bi­lité du diag­nos­tic et de l’exac­ti­tude de la pres­crip­tion, elle dépend autant, si ce n’est plus, de la manière dont le soin sera exé­cuté. Exécuter un trai­te­ment ou un soin pres­crit par un méde­cin, est un acte impli­quant, il exige l’établissement d’une rela­tion entre celui qui donne et celui qui reçoit, entre celui qui fait et celui qui se laisse faire.

Depuis un décret de 1999 qui habi­lite n’importe quelle per­sonne à effec­tuer des aspi­ra­tions endo-tra­chéa­les (moyen­nant une for­ma­tion com­pre­nant deux jours de théo­rie suivis de trois jours passés dans un ser­vice pre­nant en charge des patients tra­chéo­to­mi­sés), les déci­deurs sont entrés dans une logi­que de déqua­li­fi­ca­tion des soins, qui ne prend en compte que l’acte tech­ni­que en lui même, sans consi­dé­rer le sens qu’il a pour une per­sonne donnée, ni l’impor­tance de la qua­li­fi­ca­tion de la per­sonne agis­sante, qui permet d’aller au delà du geste, et sur­tout de réagir promp­te­ment et avec effi­ca­cité en cas de pro­blème.

Donner du sens aux soins

L’infir­mière est là pour faire face au fait que l’homme donne un sens à tout ce qui l’affecte, à tout ce qu’il ren­contre ; que tout a un sens dans le monde per­son­nel de chacun, même la mala­die.

La pro­fes­sion infir­mière est irrem­pla­ça­ble, parce que la per­ma­nence de sa pré­sence assure la conti­nuité des soins, et permet une démar­che de syn­thèse indis­pen­sa­ble pour indi­vi­dua­li­ser les soins, indis­pen­sa­ble pour appré­hen­der le patient comme une per­sonne. Cette carac­té­ris­ti­que impose une vue glo­bale, qui contre­dit l’ana­lyse qui découpe et isole une fonc­tion.

Or, le débat actuel sur la dépen­dance s’oriente vers la logi­que du moin­dre coût, qui fait appel prin­ci­pa­le­ment à des tra­vailleurs sociaux peu qua­li­fiés comme les auxi­liai­res de vie, ou de nou­veaux métiers peu formés comme les assis­tants de soins en géron­to­lo­gie. Une coor­di­na­tion par des pro­fes­sion­nels infir­miers est indis­pen­sa­ble, parce que dans l’équipe de soins, de par sa for­ma­tion et son expé­rience, l’infir­mière est la seule à pou­voir déco­der toutes les infor­ma­tions concer­nant la per­sonne soi­gnée, quel­les que soient leur nature et leurs sour­ces. C’est-à-dire leur donner un sens qui pourra déter­mi­ner les actions à entre­pren­dre, les com­por­te­ments à adop­ter.

En tant qu’orga­ni­sa­tion syn­di­cale d’infir­miè­res sala­riées, nous sommes confron­tés au quo­ti­dien à la dété­rio­ra­tion des condi­tions de tra­vail, qui place de plus en plus les infir­miè­res hos­pi­ta­liè­res en situa­tion de com­met­tre des erreurs. Nous avons une pro­fes­sion for­mi­da­ble, mais les condi­tions d’exer­cice sont telles que nous avons une usure pré­ma­tu­rée des jeunes pro­fes­sion­nel­les, et une démo­ti­va­tion des plus ancien­nes. Pour assu­rer l’attrac­ti­vité et la fidé­li­sa­tion, il convient de réno­ver l’exer­cice hos­pi­ta­lier.

Nouveaux rôles infir­miers

Avec l’arri­vée des nou­veaux rôles infir­miers, notre pro­fes­sion est à un tour­nant. L’objec­tif de ces « Etats Généraux Infirmiers » est de nous pré­pa­rer à cet avenir à la mesure de l’impor­tance de notre pro­fes­sion. Nous sou­hai­tons faire enten­dre l’exper­tise infir­mière, et affir­mer une vision infir­mière de la santé (pré­ven­tion, éducation à la santé, accom­pa­gne­ment, rela­tion d’aide).

Clairement, le SNPI CFE-CGC attend beau­coup de ces pra­ti­ques avan­cées, avec un véri­ta­ble diplôme uni­ver­si­taire débou­chant sur un titre et un salaire précis, pour réa­li­ser des consul­ta­tions infir­miè­res, d’infir­miè­res cli­ni­cien­nes ou spé­cia­lis­tes cli­ni­ques, et valo­ri­ser l’éducation thé­ra­peu­ti­que.

Le SNPI CFE-CGC est beau­coup plus méfiant envers les coo­pé­ra­tions entre pro­fes­sion­nels de santé, nées de l’arti­cle 51 de la loi HPST, qui se contente de léga­li­ser des pra­ti­ques qui vont au-delà du décret d’actes, sans que ces nou­vel­les com­pé­ten­ces soient rému­né­rées pour les infir­miè­res sala­riées.
Cet accord de gré à gré entre deux pro­fes­sion­nels de santé est enre­gis­tré par l’ARS (agence régio­nale de santé) et agréé par la HAS (Haute Autorité de Santé). Mais au départ du méde­cin qui a contracté cette coo­pé­ra­tion, celle-ci dis­pa­rait, sans plus de reconnais­sance pour le pro­fes­sion­nel concerné.

Master en Sciences Infirmières

Dans la suite du rap­port Hénart (février 2011), le SNPI CFE-CGC consi­dère que la prise en charge des mala­dies chro­ni­ques repré­sente l’avenir de la pro­fes­sion infir­mière, au tra­vers de la créa­tion d’un Master en Sciences Infirmières, com­pre­nant une pre­mière année com­mune, la deuxième année étant spé­ci­fi­que à l’option, entre infir­mière cli­ni­cienne et infir­mière spé­cia­liste cli­ni­que dans une patho­lo­gie médi­cale (santé men­tale, car­dio­lo­gie, can­cé­ro­lo­gie, dia­bé­to­lo­gie, gastro-enté­ro­lo­gie, hémo­dia­lyse, etc.).

L’inté­rêt de ce schéma est de per­met­tre de pou­voir se diri­ger vers d’autres pra­ti­ques au cours de sa vie pro­fes­sion­nelle, moyen­nant un com­plé­ment de for­ma­tion tenant compte de ses acquis pro­fes­sion­nels. Le Master ce concer­nera que 5 % des infir­miè­res, mais c’est une nou­velle pers­pec­tive d’évolution pro­fes­sion­nelle.

L’infir­mière cli­ni­cienne ana­lyse les situa­tions com­plexes de soins, aide les équipes à pren­dre en charge des patients jugés dif­fi­ci­les du fait de leur patho­lo­gie ou des situa­tions. Elle fait réfé­rence dans les domai­nes de l’éducation thé­ra­peu­ti­que, de l’infor­ma­tion et du suivi des per­son­nes. Elle réa­lise des consul­ta­tions infir­miè­res d’éducation, de conseil, de suivi de patho­lo­gies chro­ni­ques.

Chaînon man­quant entre l’IDE et le méde­cin, l’infir­mière spé­cia­liste cli­ni­que par­ti­cipe au suivi en consul­ta­tion des mala­dies chro­ni­ques, sui­vant une pro­cé­dure déter­mi­née avec l’équipe médi­cale. Elle assure le lien entre le patient, la famille, le méde­cin et les autres pro­fes­sion­nels. Elle se préoc­cupe davan­tage du contexte de vie du patient que le méde­cin. Elle apporte sta­bi­lité et cohé­rence, contri­buant à la conti­nuité des soins pour les patients.

Face à la montée des soins aux per­son­nes du qua­trième âge avec perte d’auto­no­mie, au déve­lop­pe­ment de la pré­ven­tion et du dépis­tage des mala­dies chro­ni­ques, le sec­teur de la santé posera des pro­blè­mes d’orga­ni­sa­tion et d’éthique tou­jours plus com­plexes. L’un des rôles de la pro­fes­sion infir­mière sera de servir de garde-fou face à la ten­ta­tion du contrôle économique entrai­nant des res­tric­tions de soins indi­vi­duels, au nom d’une vision macroé­co­no­mi­que des dépen­ses de santé publi­que. Les per­son­nes mala­des sont par défi­ni­tion plus vul­né­ra­bles, aussi les infir­miè­res doi­vent être en pre­mière ligne pour affir­mer que seuls les besoins des mala­des doi­vent déter­mi­ner le type et le coût des trai­te­ments.

Face à la dérive tech­ni­cienne, et à la ten­ta­tion de tout stan­dar­di­ser par des pro­to­co­les et des normes, l’infir­mière est là pour garan­tir la per­son­na­li­sa­tion des soins, sa com­pé­tence et sa faculté de juge­ment débou­chant sur une meilleure qua­lité des soins.

Intervention de Thierry Amouroux, Secrétaire Général du SNPI CFE-CGC lors de l’ouver­ture des Etats Généraux Infirmiers (Paris, 14 juin 2011) "Regards et pers­pec­ti­ves croi­sés autour des nou­veaux rôles infir­miers".
http://www.syn­di­cat-infir­mier.com/Etats-Generaux-Infirmiers-14-juin,1499.html

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