Prescription vaccinale : la France oublie ses jeunes infirmiers

14 mai 2025
En 2023, la France ouvre enfin la prescription vaccinale aux infirmiers. Mais personne ne les a intégrées au programme des jeunes diplômés. Résultat : cinq promotions sacrifiées, avec une perte de chance pour les patients.
Injecter, ils savaient déjà. Prescrire, ils le peuvent désormais. Mais seulement s’ils prouvent qu’ils ont suivi 10h30 de formation supplémentaire.
Depuis l’arrêté du 8 août 2023, les infirmiers sont autorisés à prescrire tous les vaccins du calendrier vaccinal, pour toute personne de plus de 11 ans. Une avancée attendue, saluée par les professionnels de santé… et immédiatement corsetée par une exigence réglementaire : l’obligation d’avoir suivi une formation complémentaire spécifique à la prescription vaccinale. Une formation courte (10h30). Mais sans ce justificatif, pas de droit de prescrire. Même si les compétences sont là.
Or, cette formation ne sera intégrée qu’au futur référentiel de formation, à compter de septembre 2026. Conséquence directe : la première promotion d’infirmiers pleinement habilitée à prescrire ne sortira qu’en juin 2029.
Entre-temps, silence administratif. Aucune instruction nationale pour l’intégrer aux cursus existants. Aucun plan pour les étudiants actuellement en IFSI. Aucun rattrapage systématique prévu pour les diplômés de 2024 à 2028. En cinq ans, ce sont environ 130 000 infirmiers qui seront diplômés, sans certificat de prescription vaccinale. Des soignants compétents, en demande, présents sur le terrain, mais exclus du dispositif faute de tampon officiel.
Ils devront donc suivre ces 10h30 une fois en poste. À leurs frais ou à ceux d’un employeur contraint, dans un système déjà sous tension. Encore faut-il trouver un créneau. Et un remplaçant. Et une place en formation. Dans un hôpital en sous-effectif, chaque jour de formation est un casse-tête. En libéral, c’est une perte de revenus. Dans les deux cas, la prescription vaccinale ne sera pas la priorité.
Et pourtant, l’enjeu est bien réel. En matière de vaccination, la France reste à la traîne. Les taux de couverture vaccinale contre le papillomavirus, la grippe saisonnière ou les rappels du DTP sont encore loin des objectifs de santé publique.
640.000 infirmiers sont massivement présents sur le terrain : à l’hôpital, en libéral, en milieu scolaire, en entreprise. Ce sont eux que les patients voient. Ce sont eux qui rassurent, expliquent, injectent. Ce sont eux qui pourraient prescrire, lors d’un simple échange, sans qu’il faille un rendez-vous chez le médecin. Mais non : il faudra attendre.
Ouvrir la prescription aux infirmiers permettrait un accès plus rapide, plus fluide, au plus près des patients. Un geste prescrit sur le lieu de soins, sans nécessiter une visite médicale préalable. Un échange, un acte, une couverture élargie.
Mais cette opportunité est manquée. Parce que 10h30 n’ont pas été intégrées dans un programme de 4.600 heures. Parce que les administrations sanitaires sont plus promptes à produire des décrets qu’à les appliquer.
Pour un pays qui s’est fixé pour objectif de renforcer la prévention, c’est un angle mort majeur. Pour des patients isolés, en zone sous-dotée, ou à la marge du système de soins, c’est une perte de chance concrète. Pour les soignants, c’est une frustration de plus, et un signal confus envoyé à toute une profession : compétence reconnue, mais inappliquée.
Chaque réforme s’accompagne de son lot de normes, d’arrêtés, de référentiels, de circulaires. Mais face aux réalités concrètes des besoins en santé publique, la réactivité manque. Les textes sont publiés. Mais leur traduction dans les cursus, les emplois du temps, les actes de soin, tarde, parfois des années.
Ce n’est pas une exception. C’est un mode de fonctionnement. Un précédent éclaire le scénario actuel : l’éducation thérapeutique du patient (ETP). Depuis 2018, les professionnels de santé doivent justifier d’un certificat de formation de 40h pour participer à un programme d’ETP. Là encore, il s’agit d’une compétence au cœur du métier infirmier : accompagner les patients dans la compréhension, l’adhésion, et la gestion de leur traitement.
Mais sept ans plus tard, cette formation n’est toujours pas intégrée au programme national des IFSI. Quelques instituts, plus engagés ou soutenus par leur ARS, l’ont fait d’eux-mêmes. Les autres non. Résultat : depuis 2018, chaque année, 25 000 étudiants infirmiers sortent sans cette compétence pourtant réglementaire. Aucune obligation, aucune incitation, aucun calendrier. L’ETP reste réservée aux professionnels déjà en poste, formés à part, parfois des années après leur diplôme.
Là encore, le patient attend. Là encore, le système patine. Et là encore, la formation initiale reste à la traîne des textes réglementaires. Pourquoi ? Par inertie, ou par volonté de freiner la montée en compétences des infirmiers ?
Faut-il vraiment attendre 2029 pour que les jeunes infirmiers puissent prescrire un vaccin ?
Combien d’années faudra-t-il encore pour traduire une réforme en acte concret ?
Et combien de patients, faute de prescription, ne seront simplement… pas vaccinés ?