Protection sociale : les exonérations creusent le déficit, pas les soins

13 juillet 2025

Le défi­cit de la Sécurité sociale existe, oui. Mais il est faible. Ce qui est grave, ce sont les men­son­ges qu’on raconte pour le jus­ti­fier. Le Premier minis­tre entend annon­cer, le 15 juillet, des coupes dans les dépen­ses de l’État et dans les comp­tes sociaux. Officiellement, il s’agi­rait d’éviter le déra­page bud­gé­taire. Mais les chif­fres racontent une tout autre his­toire. Derrière les dis­cours d’aus­té­rité, ce sont des choix poli­ti­ques qui fra­gi­li­sent notre modèle de pro­tec­tion sociale. Et sans mesu­rer les consé­quen­ces, sani­tai­res comme socia­les, de cette nou­velle cure d’amin­cis­se­ment.

En 2024, le défi­cit des régi­mes de base de la Sécurité sociale et du Fonds de soli­da­rité vieillesse (FSV) s’élève à 15,3 mil­liards d’euros. Rapporté aux dépen­ses tota­les (537 Md€), le défi­cit repré­sente à peine 2,8 %. Et moins de 0,7 % du PIB. Bref, ce n’est pas une urgence comp­ta­ble.

En com­pa­rai­son, le défi­cit bud­gé­taire de l’État pour 2024 dépasse les 154 mil­liards d’euros, soit dix fois plus. Les comp­tes sociaux sont donc loin d’être le trou sans fond qu’on décrit. À la vérité, ce sont même eux qui ont amorti le choc de la pan­dé­mie, évité des failli­tes mas­si­ves, et permis le redé­mar­rage économique post-Covid. C’est une dette d’uti­lité publi­que.

Alors pour­quoi cette fébri­lité gou­ver­ne­men­ta­le  ? Pourquoi vou­loir frap­per là où les dégâts seraient les plus visi­bles pour la popu­la­tion, alors que l’effort bud­gé­taire pour­rait être réparti autre­ment  ? Parce que ce défi­cit, plus poli­ti­que qu’économique, arrange ceux qui veu­lent délé­gi­ti­mer le sys­tème pour mieux en déman­te­ler les fon­da­tions.

Il faut le mar­te­ler : les dépen­ses socia­les ne déra­pent pas. Selon la DREES, leur pro­gres­sion est modé­rée (+3,8 %), et infé­rieure à l’infla­tion (+4,9 %). Quant à l’Objectif natio­nal de dépen­ses d’assu­rance mala­die (ONDAM), il a été stric­te­ment res­pecté : 256,4 mil­liards d’euros en 2024, selon le minis­tère de la Santé. La part de l’hôpi­tal reste com­pri­mée et la pré­ven­tion conti­nue d’être le parent pauvre des prio­ri­tés publi­ques. Il n’y a donc pas d’embal­le­ment des dépen­ses.

Le vrai pro­blème, ce sont les recet­tes. Depuis 2017, les exo­né­ra­tions de coti­sa­tions socia­les patro­na­les ont lit­té­ra­le­ment explosé. En 2017, elles s’élevaient à 35 mil­liards d’euros. En 2023, elles attei­gnent près de 75 mil­liards d’euros. Soit plus du double. Et la quasi-tota­lité de cette somme échappe au finan­ce­ment de la Sécurité sociale, faute de com­pen­sa­tion inté­grale par l’État. En clair : l’État vide les cais­ses, puis se scan­da­lise qu’elles soient à sec.

Ce méca­nisme est bien docu­menté par des économistes comme Antoine Bozio ou Étienne Wasmer (qui ont rendu à Michel Barnier en octo­bre 2024 un rap­port sur les poli­ti­ques d’exo­né­ra­tions de char­ges). Les allè­ge­ments sur les bas salai­res, deve­nus per­ma­nents, agis­sent comme une trappe à Smic. Ils blo­quent la pro­gres­sion des rému­né­ra­tions et coû­tent de plus en plus cher. Le tout sans évaluation sérieuse de leur effi­ca­cité en termes d’emploi dura­ble ou de com­pé­ti­ti­vité. C’est une stra­té­gie de court terme, qui trans­forme la coti­sa­tion sociale (salaire dif­féré des tra­vailleurs) en varia­ble d’ajus­te­ment du marché du tra­vail. Sans débat. Sans vision.

Investir dans la santé, c’est inves­tir dans l’avenir.

Plutôt que d’asphyxier le sys­tème, il faut en conso­li­der les fon­da­tions. Car les dépen­ses de santé ne sont pas des char­ges. Ce sont des inves­tis­se­ments sociaux, qui ont des effets directs sur la qua­lité de vie, la pro­duc­ti­vité, la par­ti­ci­pa­tion au marché du tra­vail, et la réduc­tion des iné­ga­li­tés.

Les rap­ports s’accu­mu­lent pour poin­ter l’insuf­fi­sance des moyens accor­dés aux hôpi­taux, à la méde­cine de ville, à la pré­ven­tion. Le Haut Conseil pour l’avenir de l’assu­rance mala­die, comme la Cour des comp­tes ou France Stratégie, appel­lent tous à chan­ger de modèle : ren­for­cer l’effi­cience, certes, mais sur­tout inves­tir davan­tage dans les ser­vi­ces publics de santé.

"Car une popu­la­tion en bonne santé, c’est une popu­la­tion plus auto­nome, plus active, plus contri­bu­tive. Le coût de l’inac­tion est consi­dé­ra­ble. La mau­vaise santé des tra­vailleurs pèse sur l’emploi, l’absen­téisme, les car­riè­res inter­rom­pues, les pen­sions d’inva­li­dité, les arrêts de longue durée. Les dépen­ses évitées aujourd’hui se payent cher demain. Réduire les moyens, c’est frag­men­ter les par­cours, délé­gi­ti­mer les métiers du soin, et accroî­tre les rup­tu­res de prise en charge. A l’inverse, inves­tir dans la rela­tion de soin, c’est rendre le sys­tème plus humain, plus per­ti­nent, plus dura­ble." alerte Thierry Amouroux, le porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI.

Il faut donc repen­ser l’inves­tis­se­ment social comme un levier de crois­sance inclu­sive. C’est le sens des pro­po­si­tions faites par plu­sieurs économistes dans la lignée de l’OCDE ou de l’OMS. Asphyxier bud­gé­tai­re­ment les hôpi­taux est un choix à courte vue. La pré­ven­tion, les soins pri­mai­res, l’adap­ta­tion des struc­tu­res au vieillis­se­ment, sont des prio­ri­tés struc­tu­rel­les. Pas des ajus­te­ments secondai­res.

Et à cette stra­té­gie d’inves­tis­se­ment, la pro­fes­sion infir­mière apporte une vision essen­tielle. Car la santé, ce n’est pas seu­le­ment soi­gner des mala­dies. C’est aussi accom­pa­gner les per­son­nes, dans leur par­cours de vie, dans leurs vul­né­ra­bi­li­tés, dans leurs choix. C’est pré­ve­nir plutôt que répa­rer, éduquer plutôt que culpa­bi­li­ser, obser­ver, écouter, et créer du lien. Les infir­miè­res sont aux pre­miè­res loges des frac­tu­res sani­tai­res, socia­les, envi­ron­ne­men­ta­les. Elles savent que la santé ne se résume pas à une enve­loppe bud­gé­taire : c’est une pro­messe de dignité, d’équité, de conti­nuité.

La pro­tec­tion sociale n’est pas une varia­ble d’ajus­te­ment

L’annonce de coupes immi­nen­tes dans les comp­tes sociaux, au nom d’une rigueur bud­gé­taire qui ignore les désé­qui­li­bres struc­tu­rels, cons­ti­tue un non-sens. D’autant plus qu’elle inter­vient dans un contexte de fra­gi­li­sa­tion des hôpi­taux, de fuite de soi­gnants épuisés dans le sani­taire et le médico-social, et de ten­sions iné­di­tes sur l’accès aux soins.

L’État peut maî­tri­ser ses dépen­ses. Mais il n’a pas le droit d’appau­vrir le modèle soli­daire issu du Conseil natio­nal de la Résistance. Les comp­tes sociaux ne sont pas une caisse annexe de Bercy. Ce sont des droits sociaux finan­cés par le tra­vail. La Sécurité sociale repose sur un prin­cipe de soli­da­rité inter­gé­né­ra­tion­nelle, de mutua­li­sa­tion des ris­ques, de répar­ti­tion. Elle n’a pas été conçue comme un budget d’équilibre, mais comme un projet poli­ti­que d’émancipation.

Confondre coti­sa­tion et impôt, salaire dif­féré et sub­ven­tion, c’est affai­blir l’adhé­sion au sys­tème. C’est ouvrir la voie à une pri­va­ti­sa­tion ram­pante, où chacun serait ren­voyé à ses moyens pour accé­der à la santé ou à la retraite. Ce n’est pas un scé­na­rio théo­ri­que. Comme infir­miers, nous voyons quo­ti­dien­ne­ment que c’est déjà ce que vivent cer­tains assu­rés, contraints de renon­cer à des soins pour des rai­sons finan­ciè­res, ou de patien­ter des mois faute de pro­fes­sion­nels dis­po­ni­bles.

Le choix qui se pro­file n’est pas seu­le­ment comp­ta­ble. Il est civi­li­sa­tion­nel. Quand l’aus­té­rité l’emporte sur la soli­da­rité, c’est tout le pacte social qui s’effon­dre.

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 Selon un rap­port de France Stratégie, la sup­pres­sion de l’ISF a causé un manque à gagner de 4,5 mil­liards d’euros. Calcul effec­tué en 2023 par le Comité d’évaluation des réfor­mes de la fis­ca­lité du capi­tal, à la demande du gou­ver­ne­ment :
https://www.vie-publi­que.fr/en-bref/291443-impot-de-soli­da­rite-sur-la-for­tune-isf-le-cout-de-son-rem­pla­ce­ment
 Le PFU (flat tax) coûte 1,8 mil­liard d’euros chaque année à l’État, et pro­fite prin­ci­pa­le­ment aux couche les plus aisées, sans un effet démon­tré signi­fi­ca­tif sur la crois­sance. Ce coût a été pré­cisé dans le rap­port économique, social et finan­cier annexé aux pro­jets de loi de finan­ces (loi de finan­ces 2022 à 2024).
https://www.tresor.eco­no­mie.gouv.fr/Articles/2024/10/14/publi­ca­tion-du-rap­port-eco­no­mi­que-social-et-finan­cier-plf-pour-2025

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