Puéricultrices : la santé communautaire pour les tout-petits

5 juillet 2009

Article paru en juin 2009 sur le site de Serge Cannasse, "Carnets de Santé".

Claire Delmas est infir­mière pué­ri­cultrice et délé­guée régio­nale Ile de France de l’ANPDE (Association natio­nale des pué­ri­cultri­ces diplô­mées et des étudiantes). Elle nous expli­que ici en quoi consiste son métier, lar­ge­ment méconnu des autres pro­fes­sion­nels de santé et pour­tant fon­da­men­tal pour l’accueil des jeunes enfants dans les crè­ches.

Quelle est la for­ma­tion d’une pué­ri­cultrice ?

L’immense majo­rité des pué­ri­cultri­ces sont des infir­miè­res, quel­ques unes des sages-femmes. Elles sui­vent une for­ma­tion d’un an, répar­tie pour moitié entre ensei­gne­ments théo­ri­ques et stages pra­ti­ques. Ces der­niers sont effec­tués dans les trois grands types d’ins­ti­tu­tions où elles sont appe­lées à exer­cer : les ser­vi­ces hos­pi­ta­liers, où tra­vaille la moitié d’entre elles (pédia­trie, urgen­ces pédia­tri­ques, réa­ni­ma­tion néo­na­tale, essen­tiel­le­ment), le sec­teur sani­taire extra-hos­pi­ta­lier (PMI sur­tout), où se trouve un quart d’entre elles, et enfin les struc­tu­res d’accueil à la petite enfance (crè­ches muni­ci­pa­les, asso­cia­ti­ves, d’entre­pri­ses, hos­pi­ta­liè­res). Actuellement, il est pos­si­ble de com­men­cer la for­ma­tion immé­dia­te­ment après avoir obtenu le diplôme d’infir­mière, mais je pense qu’il est pré­fé­ra­ble d’avoir une expé­rience pro­fes­sion­nelle anté­rieure. C’était une obli­ga­tion il y a quel­ques années, mais je sup­pose que la pénu­rie de pro­fes­sion­nel­les expli­que le chan­ge­ment sur ce point.

Vous tra­vaillez dans une crèche dépar­te­men­tale. Quelles sont vos fonc­tions ?

La pre­mière est d’enca­drer, accom­pa­gner, former et évaluer une équipe d’accueil des enfants en bas-âge. En fait d’ailleurs partie la for­ma­tion des nou­vel­les pro­fes­sion­nel­les, dont la qua­li­fi­ca­tion est de moins en moins assu­rée par leur ensei­gne­ment ini­tial. La seconde est d’assu­rer l’inté­gra­tion de la crèche dans le réseau des autres modes d’accueil sur le ter­ri­toire d’une com­mune. Je par­ti­cipe donc à la com­mis­sion d’attri­bu­tion de la ville qui répar­tit les modes de garde des enfants en fonc­tion des deman­des des famil­les et de cri­tè­res d’admis­sion, aux côtés des élus et des autres res­pon­sa­bles de la petite enfance. Cela sup­pose de bien connaî­tre les offres d’accueil exis­tant dans la ville.

Enfin, je par­ti­cipe à la prise en charge glo­bale de l’enfant accueilli et de sa famille, depuis le pre­mier entre­tien avec celle-ci et l’arri­vée de l’enfant jusqu’à son départ pour l’école mater­nelle. Je dois veiller à ce que son séjour se fasse dans de bonnes condi­tions de sécu­rité phy­si­que et psy­chi­que.

Quelle est la dif­fé­rence avec un éducateur de jeunes enfants ?

Il est plus orienté vers l’éveil, l’auto­no­mie et l’appren­tis­sage de l’enfant, alors que notre for­ma­tion nous rend plus atten­ti­ves à sa famille et son envi­ron­ne­ment. Sa démar­che est plus éducative et sociale, la notre, plus glo­bale et plus insé­rée dans une dyna­mi­que de santé com­mu­nau­taire. Nous sommes très com­plé­men­tai­res, ce qui expli­que mon choix de tra­vailler avec une adjointe éducatrice de jeunes enfants.

Avez vous un rôle de pré­ven­tion auprès des parents ?

Bien entendu comme nous voyons les enfants quo­ti­dien­ne­ment, nous nous aper­ce­vons obli­ga­toi­re­ment des pro­blè­mes qui les affec­tent. Discuter avec les parents me permet de réa­li­ser quels sont les pro­ces­sus en jeu, les recours pos­si­bles, les expli­ca­tions à donner, etc. Nous avons un rôle impor­tant de sou­tien à la paren­ta­lité, chez de jeunes adul­tes qui doi­vent appren­dre à être parents, bien sou­vent isolés et dans des condi­tions de pré­ca­rité.

D’autre part, nous avons les moyens de tra­vailler dans une dimen­sion de santé com­mu­nau­taire. Ainsi, dans le Val de Marne, nous inter­ve­nons dans le cadre d’une mis­sion bucco-den­taire. Nous don­nons aussi beau­coup d’atten­tion aux repas donnés à la crèche. Cette dimen­sion com­mu­nau­taire passe par un tra­vail en réseau avec les PMI, les struc­tu­res muni­ci­pa­les et les élus. Comme les méde­cins géné­ra­lis­tes, nous avons également un rôle impor­tant de signa­le­ment des enfants en danger, ce qui est sou­vent oublié.

Pensez vous que les parents renon­cent plus faci­le­ment qu’autre­fois à éduquer leurs enfants ?

Pas du tout. Contrairement à ce qui se dit par­fois, ils ne lâchent pas prise, mais ils sont de plus en plus confron­tés à une pré­ca­rité sociale : celle qui est liée au cho­mâge ou au manque d’argent, même avec un tra­vail, et celle de leur couple (beau­coup se sépa­rent). En 2008, 40 % des famil­les du Val de Marne étaient mono­pa­ren­ta­les. Pour cer­tai­nes, du fait des aides qu’elles reçoi­vent, il est même moins cher de mettre leur enfant à la crèche que de le garder à la maison ! Beaucoup de parents me confient leur peur de perdre leur tra­vail.

Quels rap­ports avez vous avec les méde­cins ?

Traditionnellement, nous tra­vaillons en étroite rela­tion avec les pédia­tres, ce qui est logi­que. Mais il y en a de moins en moins. Or une crèche n’a pas le droit de fonc­tion­ner sans méde­cin réfé­rent. Notre crèche ayant beau­coup de ber­ceaux, nous avons encore une pédia­tre, mais dont le temps de tra­vail heb­do­ma­daire a été ramené de 6 à 2 heures.

La col­la­bo­ra­tion avec un méde­cin est d’autant plus impor­tante que nous accueillons les enfants beau­coup plus lar­ge­ment qu’avant, par exem­ple, même avec une fièvre à 38°C. Nous avons besoin de pro­to­co­les cons­truits avec les pra­ti­ciens pour répon­dre à plu­sieurs situa­tions, par exem­ple, l’accueil d’un enfant aller­gi­que, ou asth­ma­ti­que, ou dré­pa­no­cy­taire. Un décret de 2007 rend le pédia­tre res­pon­sa­ble des normes de sécu­rité de l’établissement, des pro­to­co­les médi­caux et de son hygiène. Pour beau­coup de crè­ches, il faut donc trou­ver un méde­cin, qui peut très bien être un géné­ra­liste. Le pro­blème se pose moins pour les crè­ches muni­ci­pa­les des villes où existe un CMS (Centre muni­ci­pal de santé).

Il y a actuel­le­ment plu­sieurs débats sur la poli­ti­que de la petite enfance. Êtes vous en faveur de l’aug­men­ta­tion du nombre d’enfants enca­drés par une même pro­fes­sion­nelle ?

Le nombre d’enfants que peut garder une assis­tante mater­nelle est passé de 3 à 4, malgré l’avis contraire de l’ensem­ble des pro­fes­sion­nels de la petite enfance. Avec quatre enfants d’âges dif­fé­rents, ce sera au détri­ment de la sécu­rité : elles tra­vaillent déjà au moins 10 à 12 heures par jour, par­fois le week-end, elles vont cher­cher à l’école les frères et sœurs, elles doi­vent faire les cour­ses et la cui­sine, etc. Certains jour­na­lis­tes ont pré­tendu qu’elles étaient très conten­tes parce que cela leur don­ne­rait des reve­nus sup­plé­men­tai­res, mais c’est com­plè­te­ment faux. Quant à la for­ma­tion qui a dou­blée de 60h à 120h, elle est très bien, mais peu de moyens ont été pro­po­sés.

J’enca­dre des auxi­liai­res de pué­ri­cultri­ces. Leur métier est dif­fi­cile : ça n’est pas que du chan­ge­ment de cou­ches-culot­tes, contrai­re­ment à ce qu’a pu dire un minis­tre. Chaque enfant est unique et a sa propre his­toire, qui dépend de celle de sa famille, dès ses pre­miers mois de vie. Bien s’en occu­per demande beau­coup de patience, d’énergie et de savoir-faire. Suivre un groupe de huit petits pen­dant 7 à 8 heures par jour est déjà énorme, bien plus que ce qui est la norme dans beau­coup de pays, notam­ment en Europe du Nord.

A cela on nous répli­que que cer­tai­nes écoles mater­nel­les accueillent des enfants de deux ans. Le taux d’enca­dre­ment y est de deux adul­tes pour 28 ou 29 enfants. Mais qu’ils soient psy­cho­lo­gues, méde­cins de PMI, pué­ri­cultri­ces, auxi­liai­res de pué­ri­culture, éducateurs, tous les pro­fes­sion­nels sont d’accord pour affir­mer qu’à quel­ques excep­tions près, l’école mater­nelle n’est pas faite pour les enfants de deux ans !

D’une manière géné­rale, il faut bien com­pren­dre que c’est chez les tout-petits que la pré­ven­tion est la plus effi­cace, notam­ment pour appren­dre les com­por­te­ments favo­ri­sant une bonne santé. Plusieurs réfor­mes se sont faites contre notre avis, que les gens des minis­tè­res ont fait sem­blant d’écouter : tout était déjà écrit.

Etes vous en faveur de l’inté­gra­tion des pué­ri­cultri­ces dans la filière de for­ma­tion LMD (licence-master-doc­to­rat) ?

Bien sûr ! La spé­cia­li­sa­tion de pué­ri­culture fait partie des trois pra­ti­ques avan­cées infir­miè­res qui devraient être dis­pen­sées au niveau master, le diplôme d’infir­mière étant au niveau licence. Tout le monde a inté­rêt à les pro­mou­voir, comme l’a bien montré la mis­sion Berland sur les délé­ga­tions de com­pé­tence : pour répon­dre à la pénu­rie de méde­cins et pour pro­po­ser un par­cours pro­fes­sion­nel plus valo­ri­sant pour les infir­miè­res.

Entretien paru en mai 2009 dans la Revue du pra­ti­cien méde­cine géné­rale, et en juin 2009 sur le site de Serge Cannasse, "Carnets de Santé"

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