Analyse du protocole salarial issu du Ségur de la Santé (hôpitaux, cliniques, EHPAD) : bientôt une pénurie infirmière ?
13 juillet 2020
Si vous partagez notre analyse, pensez au "j’aime" en fin d’article, merci !
Pour ce qui est des mesures annoncées en avril 2021, avec un effet futur, voir l’article https://www.syndicat-infirmier.com/Revalorisation-salariale-des-soignants-2021-Segur-de-la-Sante.html
En conclusions du Ségur de la Santé, l’accord passé entre le ministère et 3 syndicats (FO 24%, CFDT 24%, UNSA 5% des voix aux élections) concerne tous les agents de la fonction publique hospitalière, c’est-à-dire les personnels des établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux, qu’ils aient la qualité d’agent titulaire ou contractuel.
Six organisations, dont la CGT, SUD, l’AMUF des médecins urgentistes, et le syndicat infirmier SNPI CFE-CGC dénoncent l’imposture du Ségur, car les attentes des professionnels étaient :
– rouvrir des lits
– créer des postes
– revaloriser les salaires
Le communiqué est en téléchargement en fin d’article.
– https://www.bfmtv.com/economie/segur-de-la-sante-un-syndicat-alerte-sur-une-prochaine-penurie-d-infirmieres_AN-202007130218.html
– https://www.caducee.net/actualite-medicale/15000/segur-de-la-sante-le-snpi-redoute-une-penurie-d-infirmieres.html
Voyons ensemble le détail des mesures, et le décalage par rapport aux besoins :
*** Mesure 1 : création d’un complément de traitement indiciaire à hauteur de 49 points d’indice, représentant 183 euros nets par mois pour les agents titulaires et contractuels dont le versement interviendra à compter de janvier 2021 avec effet rétroactif au 1er septembre 2020 pour 24 points d’indice et au 1er mars 2021 pour 25 points d’indice.
Cette revalorisation prendra la forme :
– d’un complément de traitement indiciaire de points d’indice accordé à l’ensemble des personnels rémunérés sur une grille indiciaire ;
– d’un complément de salaire équivalent à la revalorisation d’un fonctionnaire du même corps pour les agents contractuels (dont la rémunération n’est pas sous forme de points d’indice).
Le complément de traitement indiciaire, nouveau dispositif de rémunération spécifique à la fonction publique hospitalière et pris en compte pour la retraite, sera créé par une disposition législative inscrite dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021.
Il prendra effet au 1er janvier 2021, au moment de l’entrée en vigueur de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 (avec un effet rétroactif au 1er septembre 2020, pour 90 euros)
Analyse SNPI :
– Les hospitaliers n’auront pas un centime en 2020. Après parution de la loi, puis des décrets et arrêtés d’application, ce n’est que sur le salaire perçu fin janvier que les agents percevront les 90 euros (avec un effet rétroactif au 1er septembre).
– Ils devront donc attendre un an après leur engagement face au COVID19, pour être revalorisés.
"Tout le monde est mal payé à l’hôpital, donc tous les agents devaient être revalorisés. Pour autant, nous préférons l’équité que l’égalité. Il n’est pas juste qu’un administratif en télétravail perçoive la même somme qu’une infirmière qui a risqué sa peau et celle de ses proches, en combattant le COVID19 sans masque adapté (manque de FFP2, rationnement des masques chirurgicaux) avec un sac poubelle sur le dos au lieu d’une surblouse" dénonce Thierry Amouroux, le porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI CFE-CGC.
« Alors que les soignants se sont donnés sans compter, on se retrouve face une discussion de marchand de tapis ! Les 300 euros demandés pour tous les infirmiers salariés (public ou privé), correspondent au différentiel calculé par l’OCDE entre le salaire infirmier en France et le salaire moyen infirmier des autres pays. Nous demandons donc un rattrapage salarial qui n’est même pas la fourchette haute. » résume Thierry Amouroux. "Nous étions sous-payés de 20%. Avec cette mesure dans un an nous serons toujours sous-payés, mais de 10%, c’est inadmissible ! Les jeunes professionnels vont quitter l’hôpital pour aller travailler à l’étranger, et l’hôpital va faire face à une pénurie d’infirmière."
Au passage, la revalorisation annoncée pour juillet est abandonnée, nous avions aussitôt dénoncé cette fakenews du gouvernement, les mesures ayant besoin d’un support législatif. Mais pour les soignants la chute est rude : suite aux engagements du Président de la République et du Premier Ministre sur une revalorisation significative, et aux propos du Ministre de la Santé dans le JDD sur les 40.000 euros annuels, les infirmières passent de l’idée de 300 euros dès juillet, à 90 euros dans un an ! La colère est à la hauteur des fausses promesses.
Comme pour la prime COVID19, variable selon
– des critères géographique (40 départements à 1500 euros, 60 départements à 500 euros (hôpital) ou 1000 euros (EHPAD)
– le bon vouloir des directeurs d’une centaine d’établissements hospitaliers (listés dans le décret)
le gouvernement estime qu’il y a des soignants plus méritants que d’autres, avec un tri des soignants selon le lieu d’exercice :
– à terme plus 183 euros à l’hôpital
– plus 160 euros dans les établissements privés La mesure devra faire l’objet de négociations dans chaque convention collective, pour les établissements de la FEHAP, FHP, CLCC.
– rien pour les infirmières et les aides-soignantes de la fonction publique territoriale (PMI, centres de santé, crèches,…) et de l’Education Nationale, qui ont portant renforcé les équipes hospitalières pendant le pic épidémique. Même chose pour les infirmières de santé au travail qui dépendent d’autres conventions collectives.
*** Mesure 2 : reconnaître les spécificités des personnels soignants médico-techniques et de la rééducation avec une révision et une revalorisation des grilles indiciaires qui devra, autant que de possible, intervenir avant la fin du premier trimestre 2021.
Le protocole issu du Ségur de la santé prévoit pour 2021 d’étudier :
– De porter en catégorie B les aides-soignants et les auxiliaires de puériculture avec application de la grille type de la catégorie B issue du nouvel espace statutaire, sans remettre en cause la catégorie active ;
– D’intégrer les corps infirmiers (infirmiers en soins généraux, infirmiers spécialisés, cadres de santé paramédicaux, infirmiers en pratique avancée) dans la grille « type » de la catégorie A ;
– De revaloriser les corps de la catégorie B et de la catégorie A ,mis en extinction à la suite du protocole Bachelot, à due proportion de la revalorisation des corps de la catégorie A comparables ;
Analyse SNPI : il est clairement indiqué que "Les reclassements dans les grilles se feront à indice égal ou à défaut immédiatement supérieur", donc c’est une mesure à trois francs, six sous. Pas de hausse salariale à attendre rapidement !
*** Mesure 3 : doubler les ratios promus-promouvables pour les années 2020 et 2021.
Le ministère a accepté de doubler cette année les ratios de promus/promouvables par rapport à 2019. Même chose l’an prochain : cette accélération du passage en classe supérieure concernera tous les emplois des filières du soin, médico-techniques et de la rééducation.
*** Mesure 4 : rendre plus simples et plus transparents les régimes indemnitaires
En 2022, le nouveau régime indemnitaire a vocation à fusionner l’ensemble des régimes indemnitaires existants, à l’exception
– de l’indemnité de résidence,
– du supplément familial de traitement,
– de l’indemnité de sujétion des aides-soignantes,
– des primes liées au temps de travail (heures supplémentaires, travail de nuit, travail des dimanches et des jours fériés),
– des primes liées à l’exercice de fonctions dans un département ultramarin
Analyse SNPI : il est clairement indiqué que "La mise en place du nouveau dispositif se fera sans perte de rémunération indemnitaire pour les agents concernés." Il y a donc une forte probabilité qu’il baisse pour les autres, afin de réaliser des économies !
*** Mesures 5,6, 7 : La promotion professionnelle tout au long de la carrière
Analyse SNPI : Rien de concret, des déclarations d’intention qui vont faire l’objet d’une mission de travail. "L’état des lieux réalisé par la mission sera accompagné d’un bilan chiffré sur le montant des engagements financiers nécessaires. Il sera suivi d’un plan d’actions national sur la formation, élaboré en concertation avec les organisations syndicales représentatives, présenté au plus tard le 1er janvier 2022."
*** Mesures 8 à 13 : La remise en cause de l’organisation du temps de travail
Les mesures suivantes seront développées à compter de 2021 :
– Des projets pilotes visant, dans le respect de la durée légale du travail, à faire évoluer l’organisation du travail seront développés dans les établissements. Ces projets pilotes pourront permettre une construction de plannings en pleine autonomie par les agents du service avec une validation par les encadrants pour garantir le bon fonctionnement du service et la prévisibilité des obligations de travail ;
– Ces projets étudieront les modalités du développement de l’hospitalisation programmée basée sur l’augmentation des capacités d’hospitalisation de semaine et d’hospitalisation de jour afin de permettre une diversification des organisations de travail proposées aux personnels soignants (activités diurnes exclusives, roulements sans week-end …) ;
– L’amélioration des remplacements avec la mise en place de pools dotés de chartes de fonctionnement et de plan de montée en compétences afin de permettre le remplacement systématique des absences de plus de 48 heures ;
– La revalorisation des heures supplémentaires avec la majoration des montants d’indemnisation des 5 premières heures supplémentaires afin de limiter le recours à l’intérim en utilisant les ressources internes ;
– L’ouverture de la possibilité d’une contractualisation individuelle sur la réalisation d’un quota annuel d’heures supplémentaires dans les limites prévues par la réglementation ;
– La revalorisation de la monétisation des jours placés sur le CET dans le cadre de l’harmonisation entre les trois versants de la fonction publique ;
– La mise en place de dispositifs d’annualisation du temps de travail permettant d’ajuster le temps de travail en fonction des variations de l’activité tout au long de l’année à l’intérieur de cycles hebdomadaires compris entre 32h et 40h ;
– La mise en place de forfait jours pour les agents volontaires afin de leur permettre de mieux organiser leur temps de travail et de présence
– La réduction à 11h de la durée du repos quotidien.
Analyse SNPI : Pour le gouvernement, c’était le point dur, avec la remise en cause idéologique des 35h (alors que les hôpitaux sont en 38h depuis 2002).
– De grosses inquiétudes sur la "contractualisation individuelle des heures sup" et l’annualisation du temps de travail (nous avions déjà les horaires alternés matin/AM). Demander aux infirmières de faire 5h supplémentaires chaque semaine, ce n’est pas une revalorisation salariale, mais "travailler plus pour gagner plus" ! Il est probable que les directions s’emparent rapidement de cette mesure, pour inciter fortement au "volontariat". Or fatiguer davantage des soignants épuisés, c’est augmenter le risque d’erreurs de soins.
– La réduction de la durée de repos quotidien est également un signal dangereux pour la sécurité des soins.
– La mesure sur la suppléance ne comporte aucun engagement, et restera vraisemblablement un vœux pieux.
*** Chapitre Restaurer le travail collectif : liste sans date ni moyens
– Mesure 16 : systématiser les réunions d’échanges professionnels
– Mesure 17 : former au management tous les responsables d’équipe
– Mesure 18 : faire de l’amélioration de la qualité de vie au travail une priorité en termes de formation et d’organisation du travail
– Mesure 19 : solliciter des appuis extérieurs au service reconnus pour aider au règlement d’une situation bloquée
– Mesure 20 : garantir les temps de transmission sur le temps de travail
***Chapitre Valoriser l’engagement collectif
Le décret n°2020-255 du 13 mars 2020 a créé la prime d’intéressement collectif dans la fonction publique hospitalière. Cette prime a vocation à renforcer la qualité du service rendu et à valoriser l’engagement des équipes dans des projets collectifs.
La voie de la négociation locale devra être privilégiée pour la définition d’objectifs prioritaires non financiers et d’indicateurs de résultats collectifs intéressant l’ensemble des fonctions exercées dans les établissements comme, par exemple :
– la qualité des soins,
– la qualité de l’accueil,
– la mise en place de projets améliorant les organisations et l’aménagement du travail,
– l’optimisation de l’utilisation des plateaux techniques.
Les montants servis au titre de l’engagement seront identiques pour tous les membres d’une équipe, quel que soit le statut, impliqués dans le dispositif.
*** 7500 nouveaux postes budgétés
Actuellement 7500 postes infirmiers ne sont pas pourvus, car il faut en vouloir pour travailler sous-payé, en sous-effectif, avec des conditions de travail déplorables dans certains endroit. Sans revalorisation adapté, encore plus d’infirmiers vont partir à l’étranger.
« 30% des jeunes infirmiers abandonnent déjà la profession dans les 5 ans qui suivent le diplôme. Le fait d’avoir travaillé avec des sacs poubelles en guise de surblouses et des masques inadaptés va accélérer le phénomène », annonce Thierry Amouroux.
Le gouvernement propose de créer 7500 nouveaux postes. Ils seront budgétés, mais seront-ils pourvus ? Les hôpitaux publics comptent 1,2 millions d’agents, c’est donc une goutte d’eau ! Le SNPI réclame d’une part 10% de personnel en plus dans les hôpitaux, c’est-à-dire la création de 20.000 postes infirmiers. Ce qui va permettre d’établir des ratios de patients par infirmière selon les services (sur l’exemple de la réa, dialyse…). Et d’autre part le doublement des effectifs soignants dans les EHPAD, pour atteindre le ratio agents/résidents de l’Allemagne et des pays nordiques.
L’Allemagne compte 13 infirmières pour 1000 habitants, la France 10, soit 30% de moins (par contre la France a 35% d’administratifs en plus).
« Au-delà des salaires, rendez-nous les 11,3 milliards d’économies imposées aux hôpitaux depuis 10 ans ! »
*** En ce moment les hôpitaux ferment des lits
Le ministère a refuser de s’engager sur un moratoire de fermeture de lits dans le protocole.
En 20 ans, 95 services d’urgences et 100.000 lits ont été fermés, selon la Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques (Drees). « Nous demandons simplement que les capacités d’accueil à l’hôpital soient dignes d’une sixième puissance mondiale », résume Thierry Amouroux, le porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI CFE-CGC, qui réclame « la réouverture de 20.000 lits. Avec 5 fois plus de lits de réanimations (5000 vs 25000), l’Allemagne a eu 4 fois moins de morts par le COVID19. »