Consultation infirmière : des réalités de terrain à la reconnaissance

18 juillet 2025

Chaque jour, dans l’ombre des cabi­nets, des ser­vi­ces ou des domi­ci­les, les infir­miè­res mènent des consul­ta­tions sans le dire. Poser les mains, inter­ro­ger le corps, écouter les silen­ces. Elles le font parce que le patient revient de l’hôpi­tal sans repè­res. Parce que l’aggra­va­tion silen­cieuse d’une mala­die chro­ni­que mérite autre chose qu’un coup de télé­phone ou un rendez-vous dans trois mois. Mais tant que cette pra­ti­que ne sera ni for­ma­li­sée, ni sou­te­nue, ni ensei­gnée à la hau­teur de ses enjeux, elle res­tera fra­gile. Or dans un sys­tème de santé en ten­sion, c’est une piste d’avenir qu’on ne peut plus se per­met­tre d’igno­rer.

"La consul­ta­tion infir­mière est une ren­contre pro­fes­sion­nelle struc­tu­rée, à visée diag­nos­ti­que, éducative et pré­ven­tive. Elle com­mence par un entre­tien cli­ni­que et un examen du patient, mène à l’élaboration d’un diag­nos­tic infir­mier, à la pla­ni­fi­ca­tion de soins, à des conseils ou à des pres­crip­tions dans le champ de com­pé­ten­ces de l’infir­mière. Elle mobi­lise un rai­son­ne­ment cli­ni­que fondé sur l’ana­lyse des don­nées, l’évaluation glo­bale de la per­sonne et de son envi­ron­ne­ment. Mais elle ne se limite pas à la tech­ni­que : elle s’ins­crit dans une démar­che de cocons­truc­tion, en s’appuyant sur une rela­tion de confiance, d’écoute et de res­pect de l’auto­no­mie de la per­sonne soi­gnée." pré­cise Thierry Amouroux, le porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI.

Elle peut être réa­li­sée à la demande de celui-ci ou sur orien­ta­tion d’un pro­fes­sion­nel, en pré­sen­tiel ou à dis­tance, pour du suivi, de la pré­ven­tion, ou un appui ponc­tuel dans une situa­tion aiguë. Elle fait appel à l’ensem­ble des com­pé­ten­ces du métier infir­mier  : cli­ni­ques, rela­tion­nel­les, péda­go­gi­ques, orga­ni­sa­tion­nel­les, popu­la­tion­nel­les. Et pour­tant, en France, elle reste peu visi­ble. Parce qu’elle ne figure pas dans la nomen­cla­ture, parce qu’elle n’est pas sys­té­ma­ti­sée dans les pra­ti­ques, parce qu’elle n’est pas tou­jours clai­re­ment ensei­gnée comme telle. Parce qu’on conti­nue à atten­dre des infir­miè­res qu’elles fas­sent des gestes avant qu’elles ne posent des ques­tions.

Une réa­lité bien ins­tal­lée à l’inter­na­tio­nal

Dans plu­sieurs pays, la consul­ta­tion infir­mière ne relève pas d’une pra­ti­que avan­cée, mais d’une exper­tise pro­fes­sion­nelle plei­ne­ment assu­mée par des infir­miè­res géné­ra­lis­tes, for­mées en trois ans. Au Royaume-Uni, de nom­breu­ses «  nurse-led cli­nics  » sont ani­mées par des infir­miè­res expé­ri­men­tées, sans for­ma­tion uni­ver­si­taire com­plé­men­taire, qui assu­rent des consul­ta­tions de suivi en dia­bé­to­lo­gie, en santé car­dio­vas­cu­laire ou en soins pal­lia­tifs. Elles évaluent l’état du patient, assu­rent l’éducation thé­ra­peu­ti­que, iden­ti­fient les signes d’alerte et orien­tent si besoin.

Au Canada, dans cer­tai­nes pro­vin­ces comme l’Ontario, des cli­ni­ques com­mu­nau­tai­res sont pilo­tées par des infir­miè­res diplô­mées en Licence (pas en master). Elles y assu­rent des consul­ta­tions pré­ven­ti­ves, des bilans de santé, le suivi de mala­dies chro­ni­ques et la coor­di­na­tion avec les autres acteurs de soins.

Aux États-Unis, de nom­breux cen­tres de santé com­mu­nau­tai­res – les nurse-mana­ged health cen­ters – emploient des regis­te­red nurses for­mées en trois ans pour assu­rer la conti­nuité de soins auprès de popu­la­tions vul­né­ra­bles. Leur mis­sion : pré­ve­nir, accom­pa­gner, éduquer et réagir face aux situa­tions à risque.

Dans les pays nor­di­ques, la figure de l’infir­mière réfé­rente repose sou­vent sur des infir­miè­res géné­ra­lis­tes inté­grées dans des équipes de soins pri­mai­res. Elles par­ti­ci­pent à l’accueil, à l’évaluation et au suivi régu­lier des patients, notam­ment dans les zones rura­les ou sous-dotées, avec des pro­to­co­les par­ta­gés mais sans statut de pra­ti­que avan­cée.

En Europe du Sud, l’Espagne et le Portugal ont déve­loppé des modè­les de consul­ta­tions infir­miè­res inté­grées aux soins chro­ni­ques, ani­mées par des pro­fes­sion­nels de pre­mier recours titu­lai­res du diplôme de base, avec un com­plé­ment de for­ma­tion ciblé mais non uni­ver­si­taire.

L’Organisation mon­diale de la santé ne s’y est pas trom­pée : dans son pro­gramme «  Santé 21  » pour la région Europe, elle pro­meut depuis plus de vingt ans le rôle de l’infir­mière de famille comme levier d’équité et d’accès aux soins. Un rôle acces­si­ble dès la for­ma­tion ini­tiale, dès lors qu’il est reconnu, accom­pa­gné, struc­turé.

Donner un cadre à une rela­tion soi­gnante de qua­lité

En France, des consul­ta­tions infir­miè­res de ce type exis­tent déjà, mais dans une grande hété­ro­gé­néité et sans reconnais­sance for­melle. Dans les cen­tres de santé, les ser­vi­ces hos­pi­ta­liers, les EHPAD, les mai­sons de santé plu­ri­pro­fes­sion­nel­les ou au domi­cile, les 640.000 infir­miè­res géné­ra­lis­tes évaluent des situa­tions, sui­vent des patients chro­ni­ques, assu­rent de l’éducation à la santé, iden­ti­fient des situa­tions à risque. Elles le font avec les com­pé­ten­ces acqui­ses en for­ma­tion ini­tiale et ren­for­cées par l’expé­rience, mais sou­vent sans cadre expli­cite, sans temps dédié, sans légi­ti­mité reconnue.

On les retrouve dans les filiè­res plaies, dou­leur, cancer, dia­bète ou santé men­tale, par­fois sous l’étiquette d’« infir­mière res­source » ou d’« infir­mière coor­di­na­trice », mais sans que cela n’ouvre droit à une véri­ta­ble consul­ta­tion dans le par­cours de soins. Or, comme dans d’autres pays, il ne s’agit pas ici de trans­fé­rer des com­pé­ten­ces médi­ca­les, ni de recréer une pra­ti­que avan­cée. Il s’agit de struc­tu­rer une pra­ti­que déjà répan­due, qui mobi­lise plei­ne­ment le cœur du métier infir­mier : l’évaluation cli­ni­que, la rela­tion de soin, l’éducation, la coor­di­na­tion.

La consul­ta­tion infir­mière se déploie aussi dans d’autres champs, trop sou­vent oubliés : les infir­miè­res de santé au tra­vail et les infir­miè­res de l’Éducation natio­nale en sont des figu­res exem­plai­res. Dans les entre­pri­ses, les infir­miè­res de santé au tra­vail reçoi­vent les sala­riés en entre­tien cli­ni­que, iden­ti­fient les fac­teurs de risque, repè­rent les signaux fai­bles, orien­tent, écoutent, infor­ment. Elles jouent un rôle clé dans le dépis­tage, le main­tien en emploi et la pré­ven­tion des trou­bles liés à l’acti­vité pro­fes­sion­nelle.

Dans les établissements sco­lai­res, les infir­miè­res accueillent chaque jour des élèves qui consul­tent pour des dou­leurs, des malai­ses, des détres­ses psy­cho­lo­gi­ques, des dif­fi­cultés d’hygiène ou d’ali­men­ta­tion. Elles pro­cè­dent à des évaluations cli­ni­ques, pren­nent en compte le contexte fami­lial, social, affec­tif, et contri­buent à la cons­truc­tion d’un par­cours de soin adapté. Leur exper­tise rela­tion­nelle, éducative et pré­ven­tive est cen­trale, mais rare­ment nommée pour ce qu’elle est : une consul­ta­tion infir­mière à part entière.

Ces pra­ti­ques, pour­tant bien établies, gagne­raient à être reconnues comme telles, inté­grées dans un cadre commun, valo­ri­sées pour ce qu’elles appor­tent en termes de santé publi­que, de repé­rage pré­coce et d’équité d’accès aux soins. Car elles démon­trent, elles aussi, que la consul­ta­tion infir­mière ne se limite ni à l’hôpi­tal ni au soin tech­ni­que : elle irri­gue tous les lieux de vie.

Le besoin est là. Les com­pé­ten­ces sont là. Ce qui manque, c’est un cadre clair, lisi­ble, sécu­ri­sant, pour faire de la consul­ta­tion infir­mière une moda­lité reconnue et effi­ciente de prise en charge, au ser­vice des patients comme du sys­tème de santé.

La reconnais­sance de cette com­pé­tence a fran­chi une étape majeure avec l’adop­tion de la loi infir­mière du 27 juin 2025, qui ins­crit expli­ci­te­ment la consul­ta­tion infir­mière dans le champ d’exer­cice de la pro­fes­sion. Ce pro­grès légis­la­tif salue enfin la capa­cité des infir­miè­res à pren­dre part, de manière auto­nome, à l’évaluation et au suivi des patients dans leur champ de com­pé­ten­ces. Mais aucune des avan­cées por­tées par ce texte ne pourra être mise en œuvre sans les décrets et arrê­tés d’appli­ca­tion, tou­jours atten­dus. Comme pour la loi sur les ratios ou sur la pra­ti­que avan­cée, l’absence de mesu­res régle­men­tai­res concrè­tes bloque l’accès réel aux droits nou­veaux. Ce silence admi­nis­tra­tif fra­gi­lise une ambi­tion col­lec­tive pour­tant saluée par la pro­fes­sion, les patients et les ter­ri­toi­res en ten­sion.

Au fond, ce qui dis­tin­gue la consul­ta­tion infir­mière d’un acte isolé, c’est la démar­che. Il ne s’agit pas seu­le­ment de faire un pan­se­ment, de pren­dre une ten­sion ou d’appli­quer une consi­gne médi­cale. Il s’agit d’évaluer un besoin de santé, d’iden­ti­fier une situa­tion à risque, de cocons­truire une réponse avec la per­sonne. Il s’agit de faire le lien entre le vécu, le corps, le soin et le quo­ti­dien. De tra­duire le lan­gage médi­cal en projet de vie. De redon­ner du sens, là où la mala­die fra­gi­lise et déso­riente.

La consul­ta­tion infir­mière n’est pas un luxe. C’est une néces­sité, dans un sys­tème de santé qui a besoin de proxi­mité, de pré­ven­tion, de lien humain. C’est aussi une reconnais­san­ce  : celle d’une pro­fes­sion qui ne se réduit pas à des gestes tech­ni­ques, mais qui pense, qui accom­pa­gne, qui guide. Le soin, ce n’est pas seu­le­ment répa­rer. C’est com­pren­dre, pré­ve­nir, faire alliance. La consul­ta­tion infir­mière est au cœur de cette logi­que. Il est temps qu’elle le soit aussi au cœur de notre sys­tème de santé.

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