Malades et précaires : cibles prioritaires du plan d’économies Bayrou

16 juillet 2025

Franchises doublées, ALD rabotées, arrêts maladie dans le viseur : le SNPI dénonce un projet injuste, brutal, et dangereux pour la santé des plus fragiles. Un à un, les garde-fous tombent. Ce 15 juillet, le Premier ministre François Bayrou a dévoilé les grandes lignes de son plan d’économies pour «  redresser les comptes publics  ». Moyens retenus : faire payer les malades.

Les chiffres claquent comme une sentence  : un Français sur cinq vit avec une affection de longue durée (ALD). Jusqu’ici, cette reconnaissance ouvrait la porte à une prise en charge intégrale et à une chance de vivre sans regarder chaque ordonnance avec angoisse. En un discours, le Premier ministre François Bayrou vient de fissurer ce rempart social.

Le Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI alerte sur une série de mesures qui, sous couvert de rigueur budgétaire, risquent d’aggraver la fracture sanitaire et de mettre en danger les patients les plus vulnérables. Car derrière les lignes budgétaires se trouvent des vies, des familles, des réalités que les soignants connaissent mieux que personne.

ALD : d’un droit protecteur à un remboursement au rabais

Jusqu’à présent, le statut d’affection de longue durée (ALD) garantissait aux patients atteints de maladies chroniques graves une exonération du ticket modérateur. Cette reconnaissance leur permettait de vivre avec leur pathologie sans être asphyxiés par les frais médicaux. Mais le gouvernement prévoit désormais de restreindre cette prise en charge aux seuls traitements jugés «  strictement nécessaires  ».

Tout ce qui relève du soin de soutien, de la prévention des complications, de la qualité de vie (antalgiques, séances de kinésithérapie, dispositifs médicaux, bilans réguliers...) pourrait être exclu du périmètre de remboursement à 100 %.

"Pour le SNPI, c’est une décision absurde sur le plan humain et irresponsable sur le plan sanitaire. Parce qu’il ne suffit pas de prescrire un traitement de fond pour prendre soin d’un patient atteint de sclérose en plaques, de diabète ou d’insuffisance cardiaque. Vivre avec une ALD, ce n’est pas suivre un protocole figé, c’est affronter au quotidien des douleurs, des risques de rechute, des effets secondaires, des troubles associés. Couper dans ces soins dits « périphériques », c’est précariser davantage ceux que la maladie a déjà fragilisés." alerte Thierry Amouroux, le porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI.

Ce qu’il faut, ce n’est pas réduire la prise en charge, c’est l’organiser. Le SNPI propose une approche de long terme, fondée sur la continuité et la co-construction.

Il est temps de sortir de la logique de bilans ponctuels. Nous demandons la mise en place de parcours de soins complets et pris en charge intégralement pour les patients en ALD, incluant l’éducation thérapeutique du patient (ETP), un accompagnement diététique, l’accès à une activité physique adaptée, le soutien psychologique si nécessaire. Cette approche globale permettrait non seulement d’améliorer la qualité de vie, mais aussi de réduire les complications évitables.

Il s’agit de construire des protocoles de soins comme socles d’un engagement mutuel soignant-patient, en lien avec les associations de patients. Et de financer ces parcours de manière forfaitaire, autour d’équipes traitantes pluridisciplinaires (médecins, infirmiers, pharmaciens, diététiciens, kinésithérapeutes…). Parce que la santé n’est pas un coût, c’est un investissement.

Dans le même temps, le gouvernement annonce le doublement du plafond annuel des franchises médicales, porté à 100 euros. Après l’augmentation déjà intervenue en 2024, c’est un nouveau coup de massue. Derrière ce chiffre, ce sont des milliers de patients chroniques qui devront désormais arbitrer entre leurs soins et leurs dépenses courantes. Une franchise n’est pas un impôt progressif. Elle pèse d’autant plus lourd qu’on est malade. Et elle frappe d’autant plus fort qu’on est précaire. Ce sont donc ceux qui ont le plus besoin du système de santé qui en seront les premières victimes.

Arrêts maladie : la santé au travail sous pression

Le gouvernement entend aussi renforcer le contrôle des arrêts maladie. Une manière à peine voilée de les dissuader. Augmenter les jours de carence aurait un effet dévastateur. Car pour beaucoup de salariés, en particulier les plus modestes, ne pas être indemnisé pendant plusieurs jours, c’est renoncer à s’arrêter de travailler, même malade. Mais travailler en étant malade, c’est risquer de s’aggraver. C’est aller au bout de l’épuisement. C’est exposer les collègues, les patients, les proches. Et c’est nier la réalité du terrain.

Les infirmiers le savent : l’arrêt de travail est souvent un acte de soin en soi. Il permet au corps de récupérer, d’éviter la récidive ou la chronicisation. Le fragiliser, c’est alimenter un cercle vicieux. Ce n’est pas une mesure d’efficacité : c’est une stratégie de culpabilisation.

Nous rejetons fermement cette orientation. Le SNPI plaide au contraire pour :
 La prévention des risques professionnels, y compris les risques psychosociaux, qui sont responsables d’un nombre croissant d’arrêts.
 Un accompagnement actif contre la désinsertion professionnelle, avec des dispositifs de maintien dans l’emploi, des aménagements de poste, et un soutien renforcé pour les personnes en situation d’ALD.
 L’amélioration des règles d’indemnisation, avec un meilleur taux de compensation dès le premier jour, notamment pour les patients en ALD ou les salariés exposés à des risques majeurs.

Franchises doublées, patients sacrifiés

À force de rogner sur les remboursements, on pousse les patients à retarder, voire à renoncer à des soins essentiels. Aujourd’hui déjà, 12 % des Français n’ont pas de complémentaire santé. Les cotisations des mutuelles ont augmenté de 8 % en 2024, et rien ne semble freiner cette inflation. Ceux qui n’ont pas accès à des contrats collectifs (chômeurs, indépendants, contrats précaires)seront les premiers à subir cette double peine : payer plus pour être moins couverts.

En 2024, déjà 14 % des patients chroniques ont différé au moins un acte vital faute de moyens. Avec les nouvelles franchises, ce chiffre explosera. Ces retards de prise en charge conduisent à une aggravation des pathologies, avec des hospitalisations plus longues et plus coûteuses. Un boomerang budgétaire que Bercy feint d’ignorer.

Pendant ce temps, l’État continue d’accorder 75 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales aux entreprises, sans compensation. Une somme colossale, qui prive la Sécurité sociale de ses ressources. Et pourtant, jamais remise en question. Pourquoi ce silence sur ce sujet ? Pourquoi les assurés, déjà frappés par la hausse du coût de la vie, devraient-ils supporter seuls les efforts de redressement ? Pourquoi ne jamais s’interroger sur l’efficacité réelle de ces exonérations ?

Les réformes des dernières années ont laissé des traces. En 2023, les remboursements des soins dentaires ont été réduits. En 2024, les franchises médicales ont grimpé. Aujourd’hui, le spectre des coupes budgétaires s’étend à toutes les consultations. Le modèle solidaire d’une Sécurité sociale universelle s’efface progressivement, remplacé par une logique assurantielle. Ceux qui pourront payer seront soignés. Les autres attendront.

Le SNPI appelle à une mobilisation de tous les professionnels de santé, des patients, des syndicats, des associations. Il exige une concertation immédiate, une réorientation des politiques publiques, un investissement dans la prévention, la coordination des soins et les parcours de santé. Parce qu’un pays ne se redresse pas en sacrifiant ses malades. Parce qu’un système de santé n’a de sens que s’il protège les plus fragiles.

Être malade ne doit jamais devenir un luxe. Et la solidarité, jamais un fardeau.

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