Astreinte et sujétion liée à une fonction

28 juillet 2010

Décision de la Cour de Cassation concer­nant une IDE sala­riée d’une cli­ni­que :
Cass. soc., 13 juillet 2010, n° 08-44.092

Lorsqu’une astreinte est une sujé­tion liée à une fonc­tion et que le titu­laire de cette fonc­tion n’y est pas sys­té­ma­ti­que­ment soumis, sa sup­pres­sion par l’employeur ne cons­ti­tue pas une modi­fi­ca­tion du contrat de tra­vail. C’est la solu­tion rete­nue par la cham­bre sociale de la Cour de cas­sa­tion dans une affaire où une infir­mière sala­riée qui effec­tuait des astrein­tes en vertu d’un accord d’entre­prise fai­sant appli­ca­tion des dis­po­si­tions de la conven­tion col­lec­tive de l’hos­pi­ta­li­sa­tion privée à but lucra­tif, s’est vue reti­rer ces astrein­tes par l’employeur, en raison de l’éloignement du domi­cile de celle-ci et du nou­veau lieu d’acti­vité de la Polyclinique dans laquelle elle exer­çait.

La sala­riée, invo­quant la modi­fi­ca­tion uni­la­té­rale de son contrat de tra­vail, a saisi la juri­dic­tion prud’homale de diver­ses deman­des ten­dant à ce que son employeur soit condam­née, d’une part, à la réaf­fec­ter à des astrein­tes et gardes selon une fré­quence iden­ti­que à celle des col­lè­gues de sa caté­go­rie, d’autre part, à lui verser des dom­ma­ges-inté­rêts au titre du pré­ju­dice finan­cier subi du fait de la sup­pres­sion des astrein­tes. Déboutée de ses deman­des par la cour d’appel, elle se pour­voit en cas­sa­tion.

Le pour­voi est rejeté : selon la Haute juri­dic­tion, lorsqu’une astreinte est une sujé­tion liée à une fonc­tion et que le titu­laire de cette fonc­tion n’y est pas sys­té­ma­ti­que­ment soumis, sa sup­pres­sion par l’employeur ne cons­ti­tue pas une modi­fi­ca­tion du contrat de tra­vail. L’astreinte est une sujé­tion liée à la fonc­tion d’infir­mière et celle-ci n’y est pas sys­té­ma­ti­que­ment sou­mise en appli­ca­tion des dis­po­si­tions conven­tion­nel­les appli­ca­bles, donc l’employeur pou­vait pro­cé­der à la sup­pres­sion des astrein­tes dans l’exer­cice de son pou­voir de direc­tion. Le chan­ge­ment de lieu d’acti­vité de la sala­riée s’était effec­tué dans le même sec­teur géo­gra­phi­que si bien que le contrat de tra­vail de la sala­riée n’avait pas été modi­fié.

REPUBLIQUE FRANCAISE, AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt sui­vant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt atta­qué (Orléans, 26 juin 2008), que Mme X... a été enga­gée le 17 août 1990 par la société Polyclinique Florimond Robertet, deve­nue la société Polyclinique de Blois, en qua­lité d’infir­mière ;
- que la sala­riée effec­tuait des astrein­tes en vertu d’un accord d’entre­prise du 24 sep­tem­bre 2002 fai­sant appli­ca­tion des dis­po­si­tions de la conven­tion col­lec­tive de l’hos­pi­ta­li­sa­tion privée à but lucra­tif du 18 avril 2002 ;
- qu’à la suite de la déci­sion de l’employeur de ne plus confier d’astrein­tes à Mme X..., à comp­ter du 1er sep­tem­bre 2006, en raison de l’éloignement du domi­cile de celle-ci du nou­veau lieu d’acti­vité de la Polyclinique de Blois, la sala­riée, invo­quant la modi­fi­ca­tion uni­la­té­rale de son contrat de tra­vail, a saisi la juri­dic­tion prud’homale de diver­ses deman­des ;

Attendu que la sala­riée fait grief à l’arrêt de l’avoir débou­tée de sa demande ten­dant à ce que la société Polyclinique de Blois soit condam­née, d’une part, à la réaf­fec­ter à des astrein­tes et gardes selon une fré­quence iden­ti­que à celle des col­lè­gues de sa caté­go­rie, d’autre part, à lui verser des dom­ma­ges-inté­rêts au titre du pré­ju­dice finan­cier subi du fait de la sup­pres­sion des astrein­tes, alors, selon le moyen :

1°/ que la rému­né­ra­tion cons­ti­tue un élément du contrat de tra­vail qui ne peut être sup­primé sans l’accord du sala­rié ;
- que cons­ti­tue une modi­fi­ca­tion du contrat de tra­vail exi­geant l’accord du sala­rié la sup­pres­sion par l’employeur de ses astrein­tes entraî­nant une sup­pres­sion de leur rému­né­ra­tion ;
- que la norme col­lec­tive prévue par l’arti­cle L. 3121-7 du code du tra­vail, qui a pour objet d’orga­ni­ser les astrein­tes et leur rému­né­ra­tion, n’a pas pour effet de confé­rer un carac­tère col­lec­tif au prin­cipe même de cette rému­né­ra­tion, lequel demeure régi par le carac­tère synal­lag­ma­ti­que du contrat de tra­vail, à moins que cette norme col­lec­tive n’impose à tous les sala­riés l’accom­plis­se­ment obli­ga­toire des astrein­tes et, par­tant, leur paie­ment ;
- qu’après avoir rap­pelé que les dis­po­si­tions conven­tion­nel­les appli­ca­bles ne ren­daient pas les astrein­tes obli­ga­toi­res pour les infir­miè­res, la cour d’appel, qui a cepen­dant consi­déré que la sup­pres­sion indi­vi­duelle des astrein­tes de Mme X... par l’employeur et, par­tant, la sup­pres­sion de leur rému­né­ra­tion, ne cons­ti­tuaient pas une modi­fi­ca­tion du contrat de tra­vail, au motif que les astrein­tes et leur rému­né­ra­tion avaient été pré­vues par une norme col­lec­tive, a violé, par refus d’appli­ca­tion, les arti­cles 1134 du code civil et L. 1221-1 du code du tra­vail, et, par fausse appli­ca­tion, l’arti­cle L. 3121-7 du même code ;

2°/ les dis­po­si­tions du décret du 4 jan­vier 2002 rela­tif au temps de tra­vail et à l’orga­ni­sa­tion du tra­vail dans les établissements men­tion­nés à l’arti­cle 2 de la loi n° 86-33 du 9 jan­vier 1986 por­tant dis­po­si­tions sta­tu­tai­res rela­ti­ves à la fonc­tion publi­que hos­pi­ta­lière ne sont appli­ca­bles que dans les établissements publics hos­pi­ta­liers ;
- qu’en rele­vant que l’arti­cle 20 de ce décret pré­voit que les cri­tè­res et les para­mè­tres pris en compte pour l’orga­ni­sa­tion des astrein­tes relè­vent du pou­voir de direc­tion de la Polyclinique de Blois, établissement de droit privé, la cour d’appel a violé, par fausse appli­ca­tion, les dis­po­si­tions pré­ci­tées de l’arti­cle 20 du décret du 4 jan­vier 2002 ;

3°/ que cons­ti­tue une modi­fi­ca­tion du contrat de tra­vail le chan­ge­ment de lieu de tra­vail entraî­nant la sup­pres­sion des astrein­tes et, par­tant, leur rému­né­ra­tion ; qu’en rele­vant que le chan­ge­ment de lieu de tra­vail s’était effec­tué dans le même sec­teur géo­gra­phi­que et ne cons­ti­tuait dès lors pas une modi­fi­ca­tion du contrat de tra­vail, quand il était cons­tant que la sup­pres­sion des astrein­tes qui avait pour ori­gine le chan­ge­ment du lieu de tra­vail avait entraîné la sup­pres­sion de leur rému­né­ra­tion, la cour d’appel a violé, par refus d’appli­ca­tion, les arti­cles 1134 du code civil et L. 1221-1 du code du tra­vail ;

Mais attendu, d‘abord, que lorsqu’une astreinte est une sujé­tion liée à une fonc­tion et que le titu­laire de cette fonc­tion n’y est pas sys­té­ma­ti­que­ment soumis, sa sup­pres­sion par l’employeur ne cons­ti­tue pas une modi­fi­ca­tion du contrat de tra­vail ; que la cour d’appel qui a relevé que l’astreinte est une sujé­tion liée à la fonc­tion d’infir­mière et que celle-ci n’y est pas sys­té­ma­ti­que­ment sou­mise en appli­ca­tion des dis­po­si­tions conven­tion­nel­les appli­ca­bles, a pu en déduire que l’employeur pou­vait pro­cé­der à la sup­pres­sion des astrein­tes dans l’exer­cice de son pou­voir de direc­tion ;

Attendu ensuite, que la cour d’appel a retenu que le chan­ge­ment de lieu d’acti­vité de la Polyclinique de Blois s’était effec­tué dans le même sec­teur géo­gra­phi­que ; qu’elle a pu déci­der, nonobs­tant le motif erroné mais sura­bon­dant tiré de l’appli­ca­tion de l’arti­cle 20 du décret n° 2002-9 du 4 jan­vier 2002 rela­tif au temps de tra­vail et à l’orga­ni­sa­tion dans les établissements publics hos­pi­ta­liers, inap­pli­ca­ble en l’espèce, que le contrat de tra­vail de la sala­riée n’avait pas été modi­fié ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pour­voi ;

Condamne Mme X... aux dépens ;

Vu l’arti­cle 700 du code de pro­cé­dure civile, rejette les deman­des ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cas­sa­tion, cham­bre sociale, et pro­noncé par le pré­si­dent en son audience publi­que du treize juillet deux mille dix.

MOYEN ANNEXE au pré­sent arrêt

Moyen pro­duit par la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat aux Conseils, pour Mme X...

Le moyen repro­che à l’arrêt atta­qué d’AVOIR débouté Madame X... (sala­riée) de sa demande ten­dant à ce que la Société POLYCLINIQUE DE BLOIS (employeur) soit condam­née, d’une part, à remet­tre en vigueur l’ensem­ble des dis­po­si­tions du contrat de tra­vail et à réaf­fec­ter en consé­quence la sala­riée à des astrein­tes et gardes selon une fré­quence iden­ti­que à celle des col­lè­gues de sa caté­go­rie, et d’autre part, à verser à Madame X... des dom­ma­ges-inté­rêts de 10.337,04 € au titre du pré­ju­dice finan­cier subi du fait de la sup­pres­sion des astrein­tes ;

AUX MOTIFS QUE Madame X... a été embau­chée le 3 mai 1990 en qua­lité d’infir­mière de salle d’opé­ra­tions à mi-temps sous contrat à durée déter­mi­née, lequel a été trans­formé en contrat à durée indé­ter­mi­née à temps com­plet le 17 août sui­vant ;
- qu’il résulte des arti­cles L. 3121-5 et L. 3121-7 du Code du tra­vail que ceux-ci ne pré­voient pas la mise en place de l’astreinte par le biais des rela­tions indi­vi­duel­les de tra­vail dans le cadre du contrat de tra­vail, de sorte que c’est le statut col­lec­tif qui s’impose au sala­rié ;
- qu’il s’ensuit que la sup­pres­sion de ces sujé­tions ne cons­ti­tue pas une modi­fi­ca­tion du contrat de tra­vail, même dans l’hypo­thèse où elles y seraient expres­sé­ment visées, peu impor­tant le nombre d’heures effec­tuées anté­rieu­re­ment ou les enga­ge­ments uni­la­té­raux de ce der­nier ;
- que la conven­tion col­lec­tive unique du 18 avril 2002, appli­ca­ble à partir du pre­mier mai 2002, a donné lieu à un accord de sub­sti­tu­tion du 24 sep­tem­bre 2002 met­tant un terme aux accords anté­rieurs et aux usages inter­nes, y com­pris l’accord aty­pi­que du 22 juillet 1999 qui offrait la pos­si­bi­lité pour le per­son­nel assu­jetti aux astrein­tes d’un héber­ge­ment sur place sans contre­par­tie sala­riale tou­te­fois ;
- que cette conven­tion col­lec­tive, pas plus que l’accord de 2002, ne pré­voient que la fonc­tion d’infir­mière impli­que sys­té­ma­ti­que­ment des astrein­tes ;
- que la POLYCLINIQUE DE BLOIS était en droit de sup­pri­mer uni­la­té­ra­le­ment les astrein­tes confiées jusqu’alors à sa sala­riée, nonobs­tant toute dis­po­si­tion contraire du contrat de tra­vail ou enga­ge­ment uni­la­té­ral anté­rieur, étant rap­pelé que les cri­tè­res et les para­mè­tres pris en compte pour l’orga­ni­sa­tion des astrein­tes relè­vent de son pou­voir de direc­tion, confor­mé­ment à l’arti­cle 20 du décret du 4 jan­vier 2002 rela­tif au temps de tra­vail et à l’orga­ni­sa­tion dans les établissements hos­pi­ta­liers ;
- que le trans­fert de l’acti­vité de la POLYCLINIQUE DE BLOIS dans le même bassin d’emplois n’emporte pas modi­fi­ca­tion du contrat de tra­vail du fait de l’employeur ;

ALORS, D’UNE PART, QUE la rému­né­ra­tion cons­ti­tue un élément du contrat de tra­vail qui ne peut être sup­primé sans l’accord du sala­rié ; que cons­ti­tue une modi­fi­ca­tion du contrat de tra­vail exi­geant l’accord du sala­rié la sup­pres­sion par l’employeur de ses astrein­tes entraî­nant une sup­pres­sion de leur rému­né­ra­tion ;
- que la norme col­lec­tive prévue par l’arti­cle L. 3121-7 du Code du tra­vail, qui a pour objet d’orga­ni­ser les astrein­tes et leur rému­né­ra­tion, n’a pas pour effet de confé­rer un carac­tère col­lec­tif au prin­cipe même de cette rému­né­ra­tion, lequel demeure régi par le carac­tère synal­lag­ma­ti­que du contrat de tra­vail, à moins que cette norme col­lec­tive n’impose à tous les sala­riés l’accom­plis­se­ment obli­ga­toire des astrein­tes et, par­tant, leur paie­ment ;
- qu’après avoir rap­pelé que les dis­po­si­tions conven­tion­nel­les appli­ca­bles ne ren­daient pas les astrein­tes obli­ga­toi­res pour les infir­miè­res, la Cour d’appel, qui a cepen­dant consi­déré que la sup­pres­sion indi­vi­duelle des astrein­tes de Madame X... par l’employeur et, par­tant ,la sup­pres­sion de leur rému­né­ra­tion, ne cons­ti­tuaient pas une modi­fi­ca­tion du contrat de tra­vail, au motif que les astrein­tes et leur rému­né­ra­tion avaient été pré­vues par une norme col­lec­tive, a violé, par refus d’appli­ca­tion, les arti­cles 1134 du Code civil et L. 1221-1 du Code du tra­vail, et, par fausse appli­ca­tion, l’arti­cle L. 3121-7 du même Code ;

ALORS, D’AUTRE PART, QUE les dis­po­si­tions du décret du 4 jan­vier 2002 rela­tif au temps de tra­vail et à l’orga­ni­sa­tion du tra­vail dans les établissements men­tion­nés à l’arti­cle 2 de la loi n° 86-33 du 9 jan­vier 1986 por­tant dis­po­si­tions sta­tu­tai­res rela­ti­ves à la fonc­tion publi­que hos­pi­ta­lière ne sont appli­ca­bles que dans les établissements publics hos­pi­ta­liers ; qu’en rele­vant que l’arti­cle 20 de ce décret pré­voit que les cri­tè­res et les para­mè­tres pris en compte pour l’orga­ni­sa­tion des astrein­tes relè­vent du pou­voir de direc­tion de la POLYCLINIQUE DE BLOIS, établissement de droit privé, la Cour d’appel a violé, par fausse appli­ca­tion, les dis­po­si­tions pré­ci­tées de l’arti­cle 20 du décret du 4 jan­vier 2002 ;

ET ALORS, AU DEMEURANT, QUE cons­ti­tue une modi­fi­ca­tion du contrat de tra­vail le chan­ge­ment de lieu de tra­vail entraî­nant la sup­pres­sion des astrein­tes et, par­tant, leur rému­né­ra­tion ; qu’en rele­vant que le chan­ge­ment de lieu de tra­vail s’était effec­tué dans le même sec­teur géo­gra­phi­que et ne cons­ti­tuait dès lors pas une modi­fi­ca­tion du contrat de tra­vail, quand il était cons­tant que la sup­pres­sion des astrein­tes qui avait pour ori­gine le chan­ge­ment du lieu de tra­vail avait entraîné la sup­pres­sion de leur rému­né­ra­tion, la Cour d’appel a violé, par refus d’appli­ca­tion, les arti­cles 1134 du Code civil et L. 1221-1 du Code du tra­vail.

Partager l'article