Convention nationale 66 : bilan d’une négociation

5 mars 2012

L’inter­rup­tion, pour un temps indé­ter­miné, des négo­cia­tions concer­nant la révi­sion de conven­tion natio­nale 66 nous donne l’occa­sion de tenter un décryp­tage des enjeux à venir.
La Convention Collective Nationale de Travail des établissements et ser­vi­ces pour per­son­nes ina­dap­tées et han­di­ca­pées a fêté ses 45 ans.

Depuis l’ave­nant 265 en 1999, elle n’a pas connu de rema­nie­ments impor­tants. C’est dire si une révi­sion pou­vait s’avérer utile, voire néces­saire. Des chan­ge­ments légis­la­tifs et un contexte finan­cier ont entrainé de pro­fonds chan­ge­ments tant dans les pra­ti­ques que dans la ges­tion. A noter que ce sont essen­tiel­le­ment les contrain­tes bud­gé­tai­res qui déclen­chè­rent les séries de dis­cus­sion de ces trois der­niè­res années.

La demande des employeurs

La demande des employeurs argu­men­tait la néces­sité de pren­dre en compte l’émergence de nou­veaux métiers et une néces­saire révi­sion de « l’envi­ron­ne­ment conven­tion­nel » pour répon­dre aux nou­veaux enjeux. Que des nou­veaux métiers soient appa­rus depuis 1966 est une évidence. Il suffit de se sou­ve­nir com­ment s’effec­tuaient le suivi comp­ta­ble, la ges­tion des dos­siers des usa­gers ou encore la « prise en charge des han­di­ca­pés » pour savoir que les métiers, les pra­ti­ques et les moyens ont consi­dé­ra­ble­ment évolué.

Au moment où les prin­ci­pes d’inclu­sion et de sou­tien au milieu ordi­naire orien­tent les pra­ti­ques pro­fes­sion­nel­les, des contrain­tes finan­ciè­res de plus en plus fortes sont posées aux employeurs. Ce sont les dif­fi­cultés finan­ciè­res, ren­for­cées par la crise finan­cière, qui obli­gent, sans que cela puisse se dire, la révi­sion de la conven­tion. Certains ne crai­gnent d’ailleurs pas d’affir­mer que la conven­tion coûte trop cher ou qu’il faudra choi­sir entre les salai­res et les emplois.

Réduire les coûts de pro­duc­tion

A ces deux motifs (inté­gra­tion des nou­veaux métiers, contrain­tes bud­gé­tai­res), la réponse appor­tée consiste à révi­ser la clas­si­fi­ca­tion et les rému­né­ra­tions. Penser pou­voir résou­dre les dif­fi­cultés que tra­verse le sec­teur asso­cia­tif avec un schéma de cau­sa­lité simple entre dif­fi­culté et solu­tion est une illu­sion. Cela revient à lais­ser dans l’ombre ce qui fait pro­blème pour pou­voir réduire les coûts de pro­duc­tion. L’absence de débat conduit à conclure que les salai­res sont trop élevés avant d’avoir inter­rogé les pres­ta­tions (adé­qua­tion, coût, effi­ca­cité.. ;).

Certes la masse sala­riale est un élément expli­cite. Représentant entre 70% et 80% des bud­gets elle n’est néan­moins qu’une des com­po­san­tes. On pour­rait même ima­gi­ner des inter­ven­tions où elle repré­sen­te­rait encore davan­tage pour un coût global infé­rieur. Son contrôle est pré­senté comme un objec­tif depuis une dizaine d’années au moins, notam­ment autour de la ques­tion du calcul du GVT. Les employeurs et la DGCS sont à la recher­che de l’outil qui per­met­trait de pilo­ter la masse sala­riale. Comme tous les outils sta­tis­ti­ques, ils sont sur­tout valeur d’obser­va­tion mais peu­vent être de faible uti­lité pour l’élaboration des poli­ti­ques dyna­mi­ques.

Absence d’accord sur les désac­cords

A partir de ces deux éléments d’entrée dans la négo­cia­tion, il eut fallu pour­sui­vre la dis­cus­sion pour que nous puis­sions tomber d’accord sur ce qui fait pro­blème dans le déve­lop­pe­ment asso­cia­tif de ser­vi­ces de qua­lité. La négo­cia­tion a souf­fert d’une dif­fi­culté métho­do­lo­gi­que. Une véri­ta­ble négo­cia­tion voit chaque par­ti­ci­pant tenter de faire valoir ce qui est impor­tant et ce à partir de quoi il se déter­mine pour ses prises de posi­tion.

Il n’en a pas été ainsi. Les employeurs ont abordé la dimi­nu­tion des coûts à tra­vers la remise en cause d’un acquis des sala­riés et l’ins­tau­ra­tion d’une appro­che mana­gé­riale pri­vi­lé­giant l’indi­vi­dua­li­sa­tion des rému­né­ra­tions. Sous cou­vert de valo­ri­sa­tion des par­cours pro­fes­sion­nels ou d’une prise en compte de la diver­sité des situa­tions de tra­vail, les employeurs ont moins cher­ché à trou­ver des solu­tions à l’évolution du contexte qu’à vou­loir ren­for­cer leur posi­tion d’employeur.

La dis­cus­sion n’a pas été orien­tée sur la recher­che des points de désac­cords et sur les défis à rele­ver. En guise de réponse à la ques­tion des coûts des pres­ta­tions, les pro­po­si­tions des employeurs se bor­naient à pro­po­ser la réduc­tion des rému­né­ra­tions et des avan­ta­ges annexes. En ce qui concerne la reconnais­sance des nou­veaux métiers les pro­po­si­tions com­por­taient une pano­plie de chefs de pro­jets, de res­pon­sa­bles qua­lité, de coor­di­na­teurs… qui rele­vaient plus de fonc­tions que de véri­ta­bles métiers et qui n’auraient contri­bués à une réduc­tion des coûts qu’en rem­pla­çant les cadres exis­tants.

Absence de pros­pec­tive.

A aucun moment le pro­blème du coût n’a été abordé en termes d’orien­ta­tions, d’orga­ni­sa­tion ou de mana­ge­ment. La pros­pec­tive a semblé irré­mé­dia­ble­ment figée dans la reconduc­tion du passé. Faute de poser les pro­blè­mes à résou­dre, cer­tai­nes pro­po­si­tions don­naient l’impres­sion de vou­loir trai­ter de pro­blè­mes du passé. Le poids de la culture ins­ti­tu­tion­nelle a lour­de­ment pesé. Jusque dans la pro­po­si­tion de tra­vailler à l’élaboration d’une conven­tion unique, la stra­té­gie appa­raît prin­ci­pa­le­ment comme défen­sive. Les employeurs ont défendu leurs posi­tions d’employeurs et ont enfermé les sala­riés dans une posi­tion pas­sive pour mieux pou­voir les taxer de se can­ton­ner à une posi­tion de défense des acquis. Il faut tirer les leçons de ces trois années de pié­ti­ne­ment.

Une conven­tion unique à la res­cousse ?

Envisager une conven­tion unique, même étendue, ne cons­ti­tue pas en soi une révo­lu­tion dans la manière d’abor­der les pro­blè­mes. Si elle peut repré­sen­ter un pacte impli­cite entre les employeurs asso­cia­tifs, elle ne change en rien la situa­tion et n’assu­re­rait pas davan­tage leur posi­tion sur le marché. C’est encore une fois réduire le pro­blème de l’évolution des inter­ven­tions socia­les et médi­co­so­cia­les au seul pro­blème du coût du tra­vail, sans tenir compte de l’évolution de l’envi­ron­ne­ment. Il est temps que les employeurs pren­nent en compte la réa­lité au lieu de la faire payer aux sala­riés.

Situation concur­ren­tielle non assu­mée

Plus que le pro­blème de la baisse des coûts, c’est la ques­tion de la concur­rence qui est pre­mière. En quel­ques années nous sommes passés de l’examen des bud­gets sans indi­ces de com­pa­rai­son, à la fixa­tion d’indi­ca­teurs et à la mise en concur­rence par le biais des appels à pro­jets. Dans le même temps, l’État signi­fie aux opé­ra­teurs asso­cia­tifs ses nou­vel­les atten­tes. De la sol­li­ci­ta­tion d’une sub­ven­tion, ils sont appe­lés à répon­dre pour la four­ni­ture d’une pres­ta­tion dans des condi­tions et des coûts de plus en plus enca­drés.

Les poli­ti­ques en direc­tion des per­son­nes en situa­tion de vul­né­ra­bi­lité pas­sent de moins en moins par des prises en charge, pour adop­ter les prin­ci­pes d’accom­pa­gne­ment, de sou­tien et d’accom­pa­gne­ment hors les murs. Ces der­niers, com­bi­nés à la contrainte de réduc­tion des dépen­ses publi­ques pour­ront accé­lé­rer la désins­ti­tu­tion­na­li­sa­tion asso­ciée aux poli­ti­ques de cohé­sion sociale.

La ques­tion pri­mor­diale dans le cadre concur­ren­tiel est de déter­mi­ner la meilleure réponse aux atten­tes et d’avoir un avan­tage d’« effi­cience » plus favo­ra­ble que le concur­rent. Cela ne passe pas for­cé­ment par une baisse des rému­né­ra­tions et des qua­li­fi­ca­tions. L’évaluation des effets, au regard des buts attein­dre, sera là pour en témoi­gner. Dans la situa­tion de concur­rence il n’est pas utile d’évoquer une légi­ti­mité qui repo­se­rait sur le passé. Les opé­ra­teurs du lucra­tif ont en commun avec ceux de l’asso­cia­tif de devoir cons­truire leur légi­ti­mité sur l’inno­va­tion (capi­ta­lisme et économie de marché obli­gent).

Préparer l’ouver­ture des pro­chai­nes négo­cia­tions

La dis­cus­sion avec les finan­ceurs ne se limite à faire des économies mais doit s’élaborer autour des répon­ses en accord avec les atten­tes fixées par les poli­ti­ques publi­ques. Réduire les coûts n’a jamais cons­ti­tué un objec­tif poli­ti­que, tout au plus ges­tion­naire. Les éléments que nous avons évoqués, mais qui ont été absents dans les dis­cus­sions, nous don­nent à penser que nous n’avons assisté pour le moment qu’à un pré­lude.

Il nous appar­tient de nous pré­pa­rer à une nou­velle étape pour faire en sorte que soient enga­gées de véri­ta­bles négo­cia­tions. Les enjeux et des objec­tifs suf­fi­sam­ment expli­ci­tes devront être posés. Les orga­ni­sa­tions d’employeurs sau­ront-elles faire aux sala­riés la place, qui leur revient par le biais de leurs orga­ni­sa­tions syn­di­ca­les, pour la cons­truc­tion des nou­vel­les répon­ses ?

Source : FFASSscopie N° 80, à consul­ter en ligne sur www.cfecgc-san­te­so­cial.fr

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