Euthanasie L’appel des soignants aux députés : « Protégez les personnes les plus vulnérables et les valeurs du soin ! »

Euthanasie L'appel des soignants aux députés : « Protégez les personnes les plus vulnérables et les valeurs du soin ! »

27 mai 2024

Tribune publiée dans le Figaro du 27.05.024

Mesdames et mes­sieurs les dépu­tés,

Vous débu­tez aujourd’hui l’examen d’un projet de loi qui pour­rait radi­ca­le­ment modi­fier l’accom­pa­gne­ment des per­son­nes en fin de vie, les pra­ti­ques soi­gnan­tes et les repré­sen­ta­tions col­lec­ti­ves du soin. Le texte qui vous est pro­posé est en rup­ture pro­fonde avec les réa­li­tés que nous, aides-soi­gnants, infir­miers, psy­cho­lo­gues, méde­cins, expé­ri­men­tons au quo­ti­dien avec les per­son­nes que nous soi­gnons. Il est aussi en grand déca­lage avec les pro­mes­ses faites ces der­niers mois.

On nous assu­rait une loi d’excep­tion, qui ne serait « ni un droit ni une liberté » mais concer­ne­rait seu­le­ment quel­ques per­son­nes dans des situa­tions rares de grande souf­france. Le projet adopté par la com­mis­sion spé­ciale est au contraire un modèle dont l’objec­tif, assumé par les votants, est la pos­si­bi­lité d’accé­der à la mort pro­vo­quée, assis­tée par des soi­gnants, dans les situa­tions médi­ca­les les plus larges y com­pris celles qui lais­sent espé­rer plu­sieurs années de vie.

On nous annon­çait des « cri­tè­res stricts » d’éligibilité. L’obser­va­tion des expé­rien­ces étrangères fai­sait crain­dre, qu’ à court ou moyen terme, ils ne seraient que pro­vi­soi­res. La com­mis­sion spé­ciale nous a mal­heu­reu­se­ment donné raison bien plus tôt que nous ne l’aurions ima­giné. Les cri­tè­res du texte actuels sont larges et flous, donner la mort devient « un soin » et le choix de l’eutha­na­sie ou du sui­cide assisté est laissé à la per­sonne sans consi­dé­ra­tion des condi­tions fami­lia­les, socia­les ou finan­ciè­res de ce choix. Aucun cri­tère strict n’est non plus défini quant à la per­sonne qui devra effec­tuer le geste mortel.

On nous pro­met­tait une « loi de fra­ter­nité, qui conci­lie l’auto­no­mie de l’indi­vidu et la soli­da­rité de la nation ». Les mots ont un sens. « La loi a une fonc­tion expres­sive, elle dit les valeurs et les choix d’une société. » (Badinter 2008). Le projet de loi qui vous est pro­po­sée répond à une vision pro­fon­dé­ment indi­vi­dua­liste et liber­taire de notre société, comme si la mort n’était pas à la fois un événement intime et pro­fon­dé­ment col­lec­tif, et comme si l’impli­ca­tion d’un tiers n’était pas un chan­ge­ment majeur. En auto­ri­sant la mort pro­vo­quée comme réponse à la souf­france, ce projet de loi cons­ti­tue une inci­ta­tion impli­cite à deman­der la mort pour les per­son­nes âgées, vul­né­ra­bles, pré­cai­res, iso­lées, celles-là mêmes que la loi est sup­po­sée pro­té­ger. Il pour­rait être plus facile d’obte­nir une réponse à une demande de mort qu’à des soins dignes d’une démo­cra­tie quand il faut aujourd’hui par­fois plus de six mois pour obte­nir un rendez-vous en centre anti-dou­leur.

On nous par­lait d’un « équilibre », « fruit d’une réflexion pro­fonde et col­lec­tive ». Or des repè­res éthiques fon­da­men­taux sont balayés. L’expé­rience des pro­fes­sion­nels, mem­bres des orga­ni­sa­tions signa­tai­res, montre que les deman­des de mort sont ambi­va­len­tes, fluc­tuan­tes, ont besoin d’être enten­dues mais ne répon­dent pas aux lois de l’offre et de la demande : elles dis­pa­rais­sent quand on a pris le temps de sou­la­ger, de com­pren­dre les mobi­les sou­ter­rains qui pous­sent la per­sonne à vou­loir dis­pa­raî­tre. Les valeurs du soin sont dévoyées en leur essence-même puisqu’on nous pro­pose de renon­cer à cher­cher tou­jours la voie du sou­la­ge­ment. Soulager en s’ajus­tant à chaque situa­tion sin­gu­lière au risque de la sur­ve­nue de la mort ne sera jamais la même chose que pro­vo­quer déli­bé­ré­ment la mort d’une per­sonne en souf­france.

On nous garan­tis­sait une pro­cé­dure enca­drée. Nous décou­vrons que celle-ci sera expé­di­tive : une simple demande orale, for­mu­lée sans témoin, ce qui n’existe nulle part ailleurs dans le monde, devant « un méde­cin » indé­fini, sans pro­cé­dure col­lé­giale, suf­fira à obte­nir la mort. Des pro­ches pour­ront pra­ti­quer le geste mortel, ce qu’une fois encore, aucun autre pays n’a ne serait-ce qu’envi­sagé, avec les ris­ques de trau­ma­tis­mes ou d’abus que cela pour­rait entraî­ner. On s’aper­çoit que le geste létal pour­rait être pra­ti­qué n’importe où, sans pré­ven­tion quant aux déri­ves pré­vi­si­bles.

On par­lait d’un « modèle fran­çais ». Or, la seule excep­tion fran­çaise se situe dans la coer­ci­tion qu’impo­se­rait ce texte : aux phar­ma­ciens, dépour­vus de clause de cons­cience ; aux établissements sani­tai­res et aux établissements médico-sociaux qui seraient « tenus » d’orga­ni­ser la pro­cé­dure mor­telle en leurs murs ; à l’ensem­ble des soi­gnants enfin, dont l’enga­ge­ment même sera menacé par un « délit d’entrave ». Celui-ci vien­drait les réduire au rôle de pres­ta­tai­res de ser­vice, désar­més face aux deman­des de mort et confron­tés à une judi­cia­ri­sa­tion. Et qu’en sera -t-il de ce délit d’entrave face à nos efforts de pré­ven­tion du sui­cide ?

Ce texte ins­taure une pro­fonde frac­ture. Il va faire peser sur les per­son­nes les plus vul­né­ra­bles une pres­sion consi­dé­ra­ble. Ce que nous pré­di­sions depuis des mois s’est réa­lisé en quel­ques jours par l’adop­tion des amen­de­ments pro­po­sés par des mem­bres de la com­mis­sion spé­ciale et les « condi­tions stric­tes » ont dis­paru avant même la pre­mière lec­ture à l’Assemblée.

Mesdames et mes­sieurs les dépu­tés, rap­pe­lez-vous, durant l’épidémie de COVID vous applau­dis­siez aux fenê­tres de vos enfer­me­ments. La République pri­vi­lé­giait avant tout les valeurs du soin et nous deman­dait de nous mobi­li­ser avec force et témé­rité.
Mesdames et mes­sieurs les dépu­tés, que devons-nous faire pour être écoutés ? Aidez-nous à sau­ve­gar­der les valeurs du soin. Elles por­tent en elles les valeurs de la société de demain.

Texte publié dans le Figaro.

Signataires :
• 2SPP : Société Française de Soins Palliatifs Pédiatriques
• AFSOS : Association Francophone des Soins Oncologiques de Support
• ANCIIM : Association Nationale des Cadres de Santé
• ANFIPA : Association Nationale Française des Infirmier.e.s en Pratique Avancée
• APPI : Association de Promotion de la Profession Infirmière
• CLAROMED : Association pour la Clarification du Rôle du Médecin dans le contexte des fins de vie.
• CNPG : Collège National Professionnel de Gériatrie
• CNPAS : Conseil National Professionnel des Aides-Soignants
• FFIDEC : Fédéraction Française des Infirmières Diplomées d’Etat Coordinatrices
• FFAMCO : Fédération Française des Associations de Médecins Coordonnateurs en EHPAD
• FNEHAD : Fédération Nationale des Établissements d’Hospitalisation Domicile
• M3P : Association des Psychologues Cliniciens et Psychologues Psychothérapeutes.
• MCOOR : Association Nationale des Médecins Coordonnateurs en EHPAD et du Secteur médico-social
• SFAP : Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs
• SFC : Société Française du Cancer
• SFGG : Société Française de Gériatrie et Gérontologie
• SNPI : Syndicat National des Professionnels Infirmiers
• Convergence Infirmière : Syndicat natio­nal d’infir­miè­res libé­ra­les
• SFP : Société Française de Pédiatrie
• SMP : Société Médico Psychologique
• SNGC : Syndicat National de Gérontologie Clinique
• SFNDT : Société Française de Néphrologie Dialyse Transplantation
• UFML : Union Française pour une Médecine Libre

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