Fin de vie : nous ne serons pas les professionnels du « secourisme à l’envers » !

16 décembre 2023

Ce 13 décem­bre, nous avons décou­vert avec cons­ter­na­tion le texte pré­senté au Président de la République, il y a quel­ques semai­nes, « rela­tif à l’accom­pa­gne­ment des mala­des et de la fin de vie » .

Le contenu indi­gent de ce docu­ment sus­cite l’inquié­tude et la colère des pro­fes­sion­nels de santé tant le carac­tère approxi­ma­tif des pro­po­si­tions témoi­gne d’une grave méconnais­sance de l’exis­tant, d’une forte igno­rance des tâches assu­mées notam­ment par les équipes de soins de sup­port, et d’une absence totale d’évaluation des besoins humains et de finan­ce­ment des mesu­res pré­co­ni­sées.

Notre inquié­tude se fonde sur le souci des plus fra­gi­les et des plus vul­né­ra­bles que nous accom­pa­gnons au quo­ti­dien. C’est ce que nous appre­nons auprès d’eux qui nous incite à pren­dre la parole pour mani­fes­ter notre préoc­cu­pa­tion.

Sur la méthode d’abord, ces révé­la­tions vien­nent à nou­veau illus­trer l’inexis­tence de toute « co-cons­truc­tion », déjà dénon­cée par nos mêmes orga­ni­sa­tions soi­gnan­tes en juin der­nier.

Ce texte est bien la preuve qu’il n’y a jamais eu de réelle concer­ta­tion entre le minis­tère et les soi­gnants qui seraient pour­tant les pre­miers impli­qués, selon les termes mêmes de ce projet.

En effet, l’ensem­ble des dis­po­si­tions vont à rebours des deman­des adres­sées par les soi­gnants :

1) Dans ce texte, l’eutha­na­sie et le sui­cide assisté intè­grent direc­te­ment le conti­nuum de soins, tant par son ins­crip­tion dans le Code de la santé publi­que que par son inté­gra­tion aux nomen­cla­tu­res de la Sécurité Sociale, à rebours de notre enga­ge­ment qui nous ensei­gne que « donner la mort n’est pas un soin ». Les rédac­teurs vont jusqu’à affir­mer qu’il convient de mettre en place un « secou­risme à l’envers », terme qui à lui seul dépeint à quel point les rédac­teurs de ces mesu­res sont « hors sol » et mépri­sent l’opi­nion des pro­fes­sion­nels de santé.

2) Dans ce contexte, le chan­ge­ment de voca­bu­laire initié dans le cadre de la « stra­té­gie décen­nale » et visant à rem­pla­cer les soins pal­lia­tifs (la prise en charge de la dou­leur et les soins onco­lo­gi­ques de sup­port) par les « soins d’accom­pa­gne­ment » prend une dimen­sion inquié­tante. Est-ce le moyen d’insé­rer l’eutha­na­sie et le sui­cide assisté dans le panel des soins ?

3) Ce projet ouvre la pos­si­bi­lité d’avoir recours à l’eutha­na­sie pra­ti­quée par un tiers (qui peut être un « proche »), selon un schéma qui se rap­pro­che des modè­les étrangers les plus per­mis­sifs. Il est d’ailleurs clai­re­ment indi­qué que ce docu­ment intro­duit dans le droit cette notion sans la « nommer ». N’est-ce pas une façon cyni­que d’avan­cer masqué ? Qu’en sera-t-il des per­son­nes vul­né­ra­bles notam­ment âgées, qui déjà si sou­vent crai­gnent d’être un poids pour leur entou­rage ?

4) Dans la pro­cé­dure d’accès à la mort pro­vo­quée des­si­née dans ce texte, il n’y a ni contrôle a priori, ni prise de déci­sion col­lec­tive. Le méde­cin se retrouve seul et tout-puis­sant, ce qui cons­ti­tue un grave retour en arrière par rap­port à la loi de 2005 et va à l’encontre d’années d’évolutions en faveur du déve­lop­pe­ment d’équipes de soins.

5) Les infir­miers sont impli­qués de manière très forte dans la pro­cé­dure, à rebours d’une volonté expri­mée, à plu­sieurs repri­ses, de voir res­pecté le sens de leur mis­sion.

Sur la base de ce texte, le gou­ver­ne­ment doit être cons­cient qu’il n’y aura aucun accord avec les soi­gnants. Quant aux capa­ci­tés pal­lia­ti­ves futu­res de notre pays, ce n’est pas en bap­ti­sant stra­té­gie ce qui était aupa­ra­vant appelé plan, en étendant la durée des pro­po­si­tions de 5 à 10 ans et en bap­ti­sant soins d’accom­pa­gne­ment ce qui aujourd’hui s’appel­lent soins de sup­port et soins pal­lia­tifs que se fait une poli­ti­que volon­ta­riste.

Nous répé­tons ce que nous disons depuis des mois : l’urgence est de se concen­trer sur le déve­lop­pe­ment des soins pal­lia­tifs, la prise en charge de la dou­leur et les soins onco­lo­gi­ques de sup­port, deman­des qui font consen­sus et qui appel­lent des moyens finan­ciers. 400 per­son­nes meu­rent chaque jour sans béné­fi­cier d’une prise en charge appro­priée. L’accom­pa­gne­ment de la fin de vie ne sau­rait être pris en otage par un projet poli­ti­que qui sus­cite de la défiance et qui accen­tuera les divi­sions dont notre pays souf­fre déjà tant.

Signataires :
 AFSOS : Association Française des Soins Oncologiques de sup­port
 ANFIPA : Association Nationale Française des Infirmier.e.s en pra­ti­ques avan­cées
 Claromed : Association pour la cla­ri­fi­ca­tion du rôle du méde­cin dans les contex­tes de fin de vie
 Conseil National Professionnel de Gériatrie
 FFAMCO-EHPAD : Fédération Française des Associations de Médecins Coordonnateurs en Ehpad
 FFIDEC : Fédération Française des Infirmières Diplômées d’État Coordinatrices
 FNEHAD : Fédération Nationale des Établissements d’Hospitalisation à Domicile
 MCOOR : Association Nationale des Médecins Coordonnateurs et du Secteur Médico-social
 SFAP : Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs
 SFC : Société Française du Cancer
 SFGG : Société fran­çaise de Gériatrie et Gérontologie
 SMCG – CSMF : Syndicat des Médecins Coordonnateurs, EHPAD et autres struc­tu­res,
géné­ra­lis­tes ou géria­tres - Confédération des Syndicats Médicaux Français
 SNGC : Syndicat National de Gérontologie Clinique
 SNGIE : Syndicat National des Généralistes et des Gériatres Intervenant en EHPAD
 SNPI : Syndicat National des Professionnels Infirmiers
 SNFDT : Société fran­co­phone de Néphrologie Dialyse et Transplantation
 2SPP : Société fran­çaise de Soins Palliatifs Pédiatriques
 Unicancer soins pal­lia­tifs : groupe soins pal­lia­tifs Unicancer

Voir également :
 Fin de vie : le pré­pro­jet de loi sus­cite la « colère » du col­lec­tif des soi­gnants oppo­sés à l’aide active à mourir
https://www.lemonde.fr/societe/arti­cle/2023/12/14/fin-de-vie-le-pre-projet-de-loi-sus­cite-la-colere-du-col­lec­tif-des-soi­gnants-oppo­ses-a-l-aide-active-a-mourir_6205827_3224.html
 Loi fin de vie : « Nous ne serons pas les pro­fes­sion­nels du “secou­risme à l’envers” », s’insur­gent des soi­gnants
https://www.lefi­garo.fr/actua­lite-france/loi-fin-de-vie-nous-ne-serons-pas-les-pro­fes­sion­nels-du-secou­risme-a-l-envers-s-insur­gent-des-soi­gnants-20231214
 Fin de vie : « les soi­gnants n’ont pas été écoutés » cri­ti­que le Dr Claire Fourcade
https://www.rcf.fr/arti­cles/actua­lite/fin-de-vie-les-soi­gnants-nont-pas-ete-ecou­tes-cri­ti­que-le-dr-claire-four­cade
 Projet de loi fin de vie : les soi­gnants ont l’impres­sion de se « faire mar­cher dessus »
https://www.gene­thi­que.org/fin-de-vie-les-soi­gnants-ont-lim­pres­sion-de-se-faire-mar­cher-dessus/
 Un « secou­risme à l’envers » : des soi­gnants dénon­cent le rôle du méde­cin envi­sagé dans le projet de loi sur la fin de vie
https://www.lequo­ti­dien­du­me­de­cin.fr/sante-societe/un-secou­risme-len­vers-des-soi­gnants-denon­cent-le-role-du-mede­cin-envi­sage-dans-le-projet-de-loi-sur

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