Harcèlement moral ou management autoritaire ?
12 août 2018
Des comportements du supérieur hiérarchique excédant les limites du pouvoir de direction peuvent constituer un harcèlement moral. C’est ce que rappelle une décision de la Cour de cassation du 19 juin 2018.
Une salariée d’une école hôtelière avait déposé plainte pour harcèlement moral contre son responsable hiérarchique. Celui-ci avait été relaxé. La Cour d’appel avait jugé que les comportements du responsable de cuisine tels les claquements de doigts pour appeler le personnel, le ton excessif adopté pour s’adresser à lui, les remarques inadaptées sur le travail, bien que critiquables, ne constituaient pas un harcèlement moral. Elle avait pris en considération le fait que ces propos, gestes et attitudes étaient tenus à l’égard de tout le personnel et dans le contexte particulier du travail en cuisine.
Mais l’arrêt est cassé. Pour la Cour de cassation, des comportements qui excèdent les limites du pouvoir de direction constituent un harcèlement moral quelle qu’ait été la manière de travailler de la salariée.
Cour de cassation, chambre criminelle, Audience publique du mardi 19 juin 2018, N° de pourvoi : 17-82649 : https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000037135765&fastReqId=1813401416&fastPos=1
Elle CASSE et ANNULE, en ses seules dispositions relatives aux intérêts civils, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Versailles, en date du 24 mars 2017 :
"aux motifs que M. Jean Marie X... est prévenu d’avoir :
– à Guyancourt entre le 1er septembre 2004 et le 30 juin 2005, par des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel,
– en employant des termes humiliants et dévalorisants « comment on peut engager des bons à rien comme cela » ou « si vous ne savez pas porter vous n’avez qu’à pas prendre des métiers d’homme », des attitudes et des gestes inadaptés, claquements de doigts, cris pour s’adresser notamment à Mme Latifa A... ,
– ces agissements ayant entraîné une importante dépression chez la victime » ;
– que M. X... a affirmé ne pas avoir su que Mme A... , était handicapée, cette connaissance n’est pas établie par les éléments de l’enquête ni par les dépositions des témoins, son attitude envers elle, identique à celle envers tout le reste du personnel, confirme ce point car il lui demandait de faire son travail comme aux autres avec autant d’exigence, il a tenu toujours le même discours, certes trop directif, peut-être trop exigeant, trop abrupt, à la limite de l’acceptable pour faire face à tous les problèmes sous sa seule responsabilité, M. X... a toujours eu des difficultés relationnelles avec le personnel comme cela ressort de son dossier professionnel ;
– que le proviseur du lycée en a été averti et a aussi attiré son attention sur ce point, tout en l’encourageant dans son travail difficile dans lequel il réussissait, notant qu’"une minorité" se plaignait de son comportement ;
– qu’en aucun cas il n’a été fait état à son encontre de harcèlement même s’il pouvait s’adresser "mal" au personnel en ne sachant pas communiquer avec lui ;
– qu’aucune mesure n’a été prise par la direction pour pallier ce problème relationnel ou "d’incompatibilité d’humeur" comme l’ont mentionné certains salariés, il ressort que les propos dénoncés "comment on peut engager des bons à rien comme cela", certes désobligeants, n’apparaissent pas avoir été prononcés à plusieurs reprises à l’égard de la prévenue, le terme "bons à rien" étant une expression selon le prévenu caractérisant tout travail mal fait ;
– que de même la phrase "si vous ne savez pas porter vous n’avez qu’à pas prendre des métiers d’homme" a été prononcée à une reprise dans une situation précise et non de manière répétée, quant aux attitudes et gestes inadaptés et cris, s’il ressort du dossier que la manière dont M. X... s’adressait au personnel était autoritaire, dans la mesure où il claquait des doigts et criait, ce comportement, certes inadapté en termes de management du personnel, ne caractérise pas suffisamment des faits de harcèlement moral dénoncés, ces propos, gestes et attitudes étant tenus à l’égard de tout le personnel, dans le contexte particulier du travail en cuisine, un doute subsiste sur la caractérisation de l’infraction qui doit bénéficier au prévenu ;
"aux motifs adoptés que sont établis les claquements de doigts pour appeler le personnel, le ton parfois excessif de M. X... pour s’adresser au personnel, des remarques inadaptées sur la qualité du travail de Mme A... ;
– que, de même, les scènes relatives au lavage insatisfaisant du sol sont décrites par plusieurs témoins ; que M. X..., averti depuis longtemps de la nécessité d’assouplir sa gestion du personnel, n’a manifestement pas entendu les recommandations répétées de sa hiérarchie et a persisté à utiliser des méthodes critiquables ;
– que pour autant, il ne résulte pas de la procédure et des débats que M. X... se soit livré à des agissements répétés qui caractérisent le délit de harcèlement moral à l’encontre de Mme A... ;
– que la scène relative au lavage du sol, certes brusque, n’est pas constitutive de harcèlement et est décrite comme unique ;
– que les claquements de doigts, les critiques désobligeantes sur la qualité du travail et le ton adopté par M. X... ne suffisent pas à caractériser le délit de harcèlement, même si Mme A... a pu réellement et légitimement mal supporter la méthode de gestion du personnel de M. X... ; qu’en conséquence, M. X... doit être relaxé ;
"1°) alors que des agissements répétés, qui excèdent l’exercice normal d’un pouvoir de direction et ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail d’autrui pouvant altérer sa santé physique ou mentale, caractérisent des faits de harcèlement moral ; qu’en excluant tout harcèlement de la part de M. X..., supérieur hiérarchique de Mme A... , sans rechercher si les propos, attitudes et gestes répétitifs, dont elle admettait le caractère déplacé, inadapté et désobligeant à l’égard de Mme A... , n’avaient pas excédé l’exercice normal du pouvoir de direction d’un supérieur hiérarchique direct à l’encontre de la personne placée sous sa direction, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision au regard des articles susvisés ;
"2°) alors qu’un comportement général ou une manière de parler déplacée et inappropriée constituent, s’ils ont un caractère habituel, des agissements répétés constitutifs d’un fait de harcèlement, peu important que les actes reprochés et réitérés ne soient pas identiques entre eux ; que la cour d’appel a prononcé la relaxe de M. X... et exclu toute faute après avoir pourtant constaté un comportement général de sa part à l’égard de Mme A... , consistant dans des propos désobligeants ou inadaptés et des gestes déplacés ; qu’en statuant comme elle l’a fait, quand il ressortait de ses constatations l’existence d’un comportement constitutif, par son caractère habituel, d’agissements répétés caractérisant des faits de harcèlement, la cour d’appel a violé les articles susvisés ;
"3°) alors que le harcèlement moral étant caractérisé par des actes répétés, le juge doit appréhender dans leur ensemble les faits considérés comme établis, peu important que pris isolément les actes dénoncés n’aient été, chacun, commis qu’une fois ;
– que pour relaxer M. X... et exclure toute faute même civile de sa part, la cour d’appel a retenu que ses propos désobligeants n’avaient été tenus chacun qu’une fois et que les attitudes, gestes et cris inadaptés étaient tenus à l’égard de tout le personnel dans la situation particulière d’une cuisine ;
– qu’en statuant ainsi par des motifs isolant chaque fait et sans examiner si le comportement du prévenu à l’égard de Mme A... n’était pas, dans son ensemble, constitutif, par son caractère habituel, d’agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail de cette dernière susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, la cour d’appel a violé les articles susvisés" ;