La profession infirmière passe en alerte rouge

3 septembre 2023

Dans une lettre ouverte, le Collège infirmier français (CIF) alerte sur la situation inquiétante des effectifs infirmiers en France. Des indicateurs viennent confirmer ce constat.

Les récen­tes don­nées sta­tis­ti­ques de la DREES publiées le 24 aout 2023 révè­lent que les infir­miè­res sont nom­breu­ses à jeter leur blouse quel­ques années après avoir débuté leur car­rière. Une infir­mière sur deux quitte son poste hos­pi­ta­lier après 10 ans d’exer­cice. Seulement 48% res­tent à leur poste au bout de 15 ans.

Parmi les rai­sons mises en évidence, des salai­res injus­te­ment sous-évalués contrai­re­ment à leurs homo­lo­gues euro­péens ou ailleurs dans le monde et le manque avéré de reconnais­sance qui est tou­jours cons­tant depuis de nom­breu­ses années, auquel s’ajou­tent aujourd’hui des condi­tions et un volume de tra­vail jamais atteints. Les infir­miè­res y font face grâce à leur enga­ge­ment et dévoue­ment.

Cependant, elles s’épuisent par manque de per­son­nels au risque de la sécu­rité des soins et la mise en péril des patients. Elles vivent un sen­ti­ment de déva­lo­ri­sa­tion et d’aban­don. C’est pour­quoi, il est indis­pen­sa­ble que les pou­voirs publics enga­gent une vraie poli­ti­que de reconnais­sance et reva­lo­ri­sa­tion de la pro­fes­sion.

La for­ma­tion uni­ver­si­taire aurait dû enri­chir les pres­ta­tions et contri­buer à leur reconnais­sance. L’hôpi­tal-entre­prise n’a pas évolué et pré­ca­rise de plus en plus ses infir­miers soumis à une orga­ni­sa­tion de tra­vail tou­jours plus dense avec moins de res­sour­ces.

Le CIF regroupe un grand nombre d’orga­ni­sa­tions pro­fes­sion­nel­les de dif­fé­ren­tes com­po­san­tes et de dif­fé­rents sec­teurs d’acti­vi­tés, aussi bien géné­ra­lis­tes que des spé­cia­li­tés et Infirmières en pra­ti­ques avan­cées. Le CIF a une vision exhaus­tive des par­ties pre­nan­tes de la pro­fes­sion infir­mière. Cette pro­fes­sion se diver­si­fie et se carac­té­rise par une mul­ti­tude de com­pé­ten­ces et d’exper­tise dans dif­fé­rents domai­nes d’acti­vi­tés. Si des pro­fes­sion­nels choi­sis­sent de rester géné­ra­lis­tes à l’hôpi­tal, d’autres devien­nent infir­miè­res libé­ra­les à domi­cile ou en CPTS, d’autres infir­miè­res en santé sco­laire, ou en santé au tra­vail, d’autres choi­sis­sent de se spé­cia­li­ser, deve­nir infir­miè­res en pra­ti­que avan­cée ou s’orien­ter vers le mana­ge­ment ou la gou­ver­nance.

Professionnelle reconnue comme acteur indis­pen­sa­ble du sys­tème de santé, l’infir­mière vit des condi­tions de tra­vail dif­fi­ci­les, une non-reconnais­sance de ses com­pé­ten­ces, voire une méconnais­sance avérée. Elle exerce dans des condi­tions qui ne sont plus accep­ta­bles dans notre ère moderne. Si les études ont consi­dé­ra­ble­ment évolué, leurs condi­tions de tra­vail res­tent tout autant pro­lé­ta­ri­sées et lais­sent peu de place à la démar­che cli­ni­que et à l’ana­lyse réflexive.

En 1978, pour la pre­mière fois, une loi reconnais­sait aux infir­miers une auto­no­mie dans les soins. Néanmoins, les condi­tions de tra­vail n’ont pas réel­le­ment changé. En 1988, le mou­ve­ment de grève était natio­nal, et les reven­di­ca­tions tou­jours les mêmes. Le rôle auto­nome appelé com­mu­né­ment rôle propre n’a pas été évalué à sa juste mesure. Le voca­ble rôle propre a été pré­ju­di­cia­ble sou­vent asso­cié au propre et au sale, à la toi­lette, et à la réfec­tion des lits. Le rôle auto­nome n’est abso­lu­ment pas limité à l’hygiène, d’où de mau­vai­ses repré­sen­ta­tions. Le rôle auto­nome repré­sente toute la partie invi­si­ble pré­do­mi­nante de la pro­fes­sion de l’infir­mière à l’hôpi­tal et dans tous lieux d’exer­cice.

L’arri­vée de la T2A n’a pas été un atout. Elle a accé­léré la dégra­da­tion des condi­tions de tra­vail et de la reconnais­sance de la pro­fes­sion. La logi­que économique a été vio­lente et pré­ju­di­cia­ble.

En outre, com­ment valo­ri­ser au niveau des salai­res 750 000 infir­miers ? Pourtant si rien n’est fait et selon la théo­rie de SIEGRIST sur les ris­ques psycho-sociaux, nous nous diri­geons vers une situa­tion encore plus dif­fi­cile, voire dra­ma­ti­que. Les réfor­mes de santé se sont suc­cé­dées, sans prise en compte des com­pé­ten­ces réel­les des IDE par les pou­voirs publics.

Un sen­ti­ment de mal-être ren­forcé à l’été 2016, après le sui­cide de cinq soi­gnants. Aujourd’hui, le malaise per­siste dans la pro­fes­sion. Un malaise qui dure depuis plus de 50 ans, aggravé par la pan­dé­mie puis la situa­tion satu­rée des urgen­ces, des ser­vi­ces qui fer­ment etc.. et les vio­len­ces et d’agres­sions .

Se pose alors la ques­tion de l’idéo­lo­gie et la réa­lité. Pourquoi 10% des étudiants infir­miers quit­tent les ins­ti­tuts en L1, c’est-à-dire dès la pre­mière année de licence ? L’écart est bien réel et le choc de la réa­lité tout autant. Les stages sont une période pro­pice aux aban­dons notam­ment les pre­miers stages en L1. Selon la FNESI, il y a une cer­taine mal­trai­tance. Vu les effec­tifs en stage, les pro­fes­sion­nels n’ont pas le temps d’’accom­pa­gner des étudiants bien sou­vent livrés à eux-mêmes. A l’ins­ti­tut, ils appren­nent la démar­che de réflexi­vité, et en stage, la non-réflexi­vité. La confron­ta­tion lors des stages à une orga­ni­sa­tion peu évoluée tay­lo­rienne et déva­lo­ri­sante ne motive pas les étudiants. De plus, les tuteurs se font rares en raison d’un manque d’effec­tifs. 3400 étudiants ont aban­donné en pre­mière année selon la DREES. Augmenter le nombre d’étudiants en pre­mière année n’est pas la solu­tion puisqu’ils aban­don­nent leurs études.

A ce jour, si on se réfère aux don­nées chif­frées de la DREES, 15 000 infir­miè­res man­quent. Les causes de ces départs ou réo­rien­ta­tions sont connues des pro­fes­sion­nels infir­miers mais ne sont par réel­le­ment enten­dues. Médecins, tech­no­cra­tes ou poli­ti­ques s’expri­ment aisé­ment sur une pro­fes­sion qu’ils sont loin de connaî­tre. Le CIF a adressé des contri­bu­tions sur l’évolution de la pro­fes­sion infir­mière. Il demande à être entendu et écouté à ce sujet. Il est temps d’arrê­ter l’hémor­ra­gie avant qu’il ne soit trop tard.

Il devient urgent d’amé­lio­rer les condi­tions de tra­vail et de valo­ri­ser cette pro­fes­sion à la mesure de son niveau de res­pon­sa­bi­lité avant qu’il ne soit trop tard. L’attrac­ti­vité dont tous par­lent passe par cette reva­lo­ri­sa­tion à l’instar des ensei­gnants à l’éducation natio­nale. Quel mépris pour cette pro­fes­sion reconnue uni­ver­sel­le­ment ! L’attrac­ti­vité du métier d’aide-soi­gnant est néces­saire mais celle de la pro­fes­sion IDE devient une urgence. Un métier exi­geant au niveau des com­pé­ten­ces et res­pon­sa­bi­li­tés au ser­vice des patients.

Enfin, c’est à la pro­fes­sion de se posi­tion­ner, de déci­der, d’élaborer ses réfé­ren­tiels, de refon­der sa pro­fes­sion. Notre pro­fes­sion est repré­sen­tée par des direc­teurs des soins, cadres de santé, des orga­ni­sa­tions diver­ses exper­tes et spé­cia­li­sées, tous com­pé­tents pour orga­ni­ser leur pro­fes­sion, en col­la­bo­ra­tion avec l’Ordre natio­nal des infir­miers qui repré­sente l’auto­rité dans l’exer­cice infir­mier. Reconnaissance et condi­tions de tra­vail sont les 2 cri­tè­res pré­pon­dé­rants de l’attrac­ti­vité de la pro­fes­sion. Sans cela, le sys­tème de santé affai­bli par un manque d’infir­miers s’expose à une perte de la qua­lité des soins et de ce fait à la pré­ca­ri­sa­tion de la Santé de la popu­la­tion.

Gilberte HUE, Présidente du CIF

 Le Comité infir­mier appelle à valo­ri­ser la pro­fes­sion à hau­teur de "son niveau de res­pon­sa­bi­lité"
https://www.infir­miers.com/pro­fes­sion-ide/le-comite-infir­mier-appelle-valo­ri­ser-la-pro­fes­sion-hau­teur-de-son-niveau-de-res­pon­sa­bi­lite
 Le CIF alerte sur la situa­tion inquié­tante des effec­tifs infir­miers en France
https://toute-la.veille-acteurs-sante.fr/212179/le-cif-alerte-sur-la-situa­tion-inquie­tante-des-effec­tifs-infir­miers-en-france-com­mu­ni­que/

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